ENTRETIEN-HOMMAGE : JOCELYN QUIVRIN

Cet entretien a été réalisé en janvier 2007, lors de la promotion de Jacquou le Croquant où Jocelyn Quivrin incarnait le (très méchant et très remarqué) comte de Nansac, rôle important face à Gaspard Ulliel. J’ai tenu ici à rendre hommage à ce comédien et réalisateur, aussi talentueux à l’écran que généreux et chaleureux en interview.

Il paraît qu’au départ vous n’aviez pas envie de jouer Nansac, le méchant dans Jacquou le Croquant ?

Ce n’est pas tout à fait exact. Au début, Laurent Boutonnat m’avait proposé un autre rôle qui pour plein de raisons ne m’intéressait pas assez. Disons que j’ai rencontré Laurent et ça s’est très bien passé. Il m’a donné le scénario à lire et je l’ai tout de suite adoré. Je l’ai vraiment lu d’une traite. Je l’ai trouvé bouleversant avec des personnages magnifiques. Mais le personnage qu’il me proposait ne m’intéressait pas.

Donc je l’ai appelé et lui ai dit sincèrement : Ecoutez Laurent, je suis vraiment désolé de vous dire ça, comme je trouve le scénario formidable mais je me connais, si je joue ce rôle-là, je ne vais pas être heureux.

Je lui ai développé ça pendant un quart d’heure et il ne disait rien au téléphone, et je me disais : « ça se trouve il va me raccrocher au nez ! ». En fait, il m’écoutait et il a réfléchi et à la fin de la discussion il m’a dit : « écoutez, Jocelyn, est-ce que le rôle du Comte de Nansac vous intéresserait ? –Bien, sûr, c’est évident ! –Non mais, relisez le scénario- Mais je n’ai pas besoin de relire le scénario ! Je vous dit oui tout de suite ! » Et on a fait les essais avec le maquillage réalisé par Didier Laverne (qui est le maquilleur de Polanski et qui a fait la Môme, aussi) et c’était suffisamment crédible pour que Laurent et Pathé décident de foncer !

Au de-là du maquillage quels sont les détails qui vous ont aidé à rentrer dans le personnage de Nansac ?

Justement, c’est une accumulation de détails. Il n’y a pas une chose en particulier. Je ne vais pas tous vous les énumérer, ça serait trop long ! J’ai travaillé pendant plusieurs moi en prenant le texte, en lisant, relisant le scénario. On trouve des idées d’attitudes, des postures, des façons de marcher. Après, ça passe par le physique : pour la partie où j’étais plus vieux, j’avais demandé à ce qu’il me fasse un espèce de ventre qui me fasse grossir dans ma tenue. C’est l’idée que quand on joue un personnage plus âgé, on ne se déplace pas de la même façon. On est un peu plus raide, plus voûté. Tout un tas de détails… L’intonation, la voix. En fait, il n’y a pas une recette miracle, sinon ça se saurait ! Je considère ça plutôt comme un petit travail d’artisan, de se dire : tiens, je pourrais prendre ça et un petit peu de ça…

J’imagine qu’on se régale quand on joue un rôle de méchant. Que vouliez-vous apporter à votre personnage avec Laurent Boutonnat ?

De ne pas le rendre trop caricatural. On a toujours été d’accord avec Laurent sur deux choses : on ne voulait pas racheter le personnage ! C’est une ordure, c’est clair et net. Mais en même temps, Laurent a toujours voulu qu’il soit un personnage type héros flamboyant. C’est quand même un jouisseur, c’est un personnage qui aime la vie, qui chasse, qui mange, qui fait des buffets, qui certainement a des histoires avec les femmes. C’est un peu le sous-texte ! Ce ne sont pas forcément des choses qu’on voit à l’écran mais on les invente pour donner de l’épaisseur à son personnage. C’est un mec finalement assez souriant, (à part à la fin où pendant le dernier quart d’heure du film, il se fait casser la gueule !). Mais le reste du temps, il est assez charmant ! Même quand les croquants viennent lui implorer un pardon à genoux, il reste assez digne. On voulait garder ce côté aristocratique, un peu souriant.

Quelles ont été les scènes les plus difficiles à jouer ?

Je dirai que dès qu’il y a du jeu, c’est toujours assez agréable. Ce qui est compliqué quand on est comédien, c’est l’attente et quand on a peu de branches pour se rattraper. Par exemple, la scène du bal qui a duré quinze jours. Ca a été vraiment dur. Je passe sur les détails météorologiques (il faisait très chaud, etc). Mais il y a un moment où on est un petit peu perdu dans la continuité de la scène. Parce qu’on a fait tellement d’axes, il y avait tellement de monde. C’est un peu dur parfois de se remettre dans l’énergie, de se reconcentrer. On est un peu paumés. Je préfère les scènes de jeu où on est avec un acteur et qu’on se parle. Les acteurs aiment bien ça en général ! Après quand c’est des trucs techniques, c’est un peu moins marrant à faire.

Avec Gaspard Ulliel, comment avez-vous préparé ce genre de scène ?

La danse sert beaucoup, en fait. C’est assez naturel. Il y a toute une chronologie dans la scène. Ce qui est marrant c’est que j’aime bien les personnages qui ont une trajectoire dans les films. Et je trouve que à ce moment-là de l’intrigue, qui est une charnière dans le film, c’est aussi une trajectoire dans la trajectoire ! C’est-à-dire que les aristocrates arrivent au milieu des villageois très arrogants, très conquérants. Ça frémit. Ils se font un petit peu « taquinés » en deuxième partie de séquence, ensuite, ils essaient de garder cette espèce d’arrogance sur scène, et ils se font prendre à leur propre jeu. Et là, la scène bascule et se retourne contre eux. Et c’est pour ça qu’on ne savait plus parfois où on en était.

Et jouer un personnage de plus en plus vieux…

C’est assez rare qu’on vous propose ça et comme je ne suis pas très vieux (quand j’ai commencé à tourner le film, j’avais 25 ans !). Bizarrement j’ai eu très peur en préparant le rôle, j’avais le trac et une fois qu’on est sur le tournage, ça change ! Il y a un moment où il faut y aller. A ce moment-là, j’ai eu moins d’inhibitions quand j’étais vieilli parce que le fait d’être costumé, vieilli, grimé, grossi fait qu’on s’éloigne beaucoup de ce qu’on est et ça vous laisse une espèce de liberté très forte et ça désinhibe vraiment ! Et finalement, je trouve que les scènes du comte de Nansac vieilli ont été moins éprouvantes à tourner que les autres.

Comment décririez-vous Laurent Boutonnat sur le plateau ?

Positif. Energique. Inconscient. Sympathique. Ce qui est agréable avec Laurent, c’est que ce n’est pas quelqu’un qui travaille dans la confrontation. C’est quelqu’un qui sait ce qu’il veut. Ce n’est pas quelqu’un qui parle forcément beaucoup aux acteurs mais il sait assez bien où il va donc je me suis très vite bien entendu avec lui. C’est quelqu’un d’assez pudique. Il peut paraître assez distant mais quand on perce un peu la glace, il est formidable. Au début du tournage, il me disait de beaucoup sourire. Il disait ça pour élargir ce qu’incarne le personnage.

Votre personnage est un solitaire, est-ce que cela a déteint sur vous au moment du tournage ?

Je me suis senti seul à des moments, c’est vrai ! Quand on est en Roumanie avec des scènes comme ça à tourner, avec beaucoup de figurants, les gens se montrent assez distants. C’est une question assez pertinente : c’est la première fois où je me suis senti seul dans ce pays lointain. Mais de toute façon sur des longs tournages comme celui-ci, on a tendance à rapprocher son comportement de son personnage. Enfin, je ne me suis pas mis à tuer ou fouetter des figurants (rires). Par exemple, je viens de terminer le tournage de 99 francs et comme c’était une comédie, on se marrait tout le temps parce que l’ambiance était très détendue et que quand on a envie d’être drôle, on a besoin d’être très détendu. Bien vu !

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Gaspard Ulliel, à propos de Jocelyn Quivrin :

C’est le seul acteur que je connaissais un peu intimement dans la vie. J’ai d’ailleurs été très surpris le premier jour de tournage où j’étais avec lui : il était tout de suite à fond dans son personnage. Il avait vraiment dès le départ une vraie idée de son personnage. C’est quelqu’un qui travaille beaucoup en amont et ça s’est senti, parce que les premières scènes qu’il a tournées sont les plus dure à jouer, celles où il est âgé.

Entretiens réalisés en janvier 2007.
Crédits Photos: Droits réservés.

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