A Single Man : de la classe et de l’âme
Bien sûr, le pitch du premier film de Tom Ford, le génial fashion designer, n’est pas très gai: il raconte la profonde solitude d’un homme (éblouissant Colin Firth!), suite à la mort accidentelle de son amant. En programmant son suicide, il décide de profiter de la vie, une dernière fois, le temps d’une journée… On s’attendait à un film froid et esthétisant. On en ressort bouleversé. La saveur de la vie, c’est le grand cadeau de ce film intense et classe.
Au coeur de ce film, il y a ce romantisme violent et pudique à la fois, incarné à la perfection par le comédien britannique, Colin Firth. Qui d’autre que ce dernier pouvait exprimer toute cette souffrance poignante de la perte de l’être aimé, et ce regard critique et humoristique typiquement anglais qu’il pose sur cette société américaine des années 60 qu’il s’apprête à quitter ?
La complexité de ce personnage un peu austère en apparence, qui n’a vécu jusqu’à présent que par et pour l’image qu’il souhaitait véhiculer auprès de ses étudiants ou de son entourage, en fait un sésame évident pour le comédien dans la course à l’Oscar.
Une récompense qui serait ici parfaitement justifiée, tant ce personnage permet d’explorer toute une palette de sentiments dans cette redécouverte de la saveur de la vie qui s’opère comme par magie dans cette ultime journée. Ce professeur universitaire, caché derrière ses lunettes noires, sa chemise amidonnée, ses cheveux gominés et son costume impeccable (dessiné par Tom Ford, évidemment!) va faire de bien étranges rencontres, qui vont le « révéler », l’aider à se libérer de tout ce carcan de faux-semblants alors imposée aux homosexuels, cette « minorité invisible » qui semble pourtant terroriser la société américaine bien-pensante de l’époque.
C’est ainsi l’occasion pour ce personnage d’initier une réflexion intéressante sur la question des minorités de nos sociétés occidentales, à l’origine de la peur et de conflits grandissants. Ce professeur quitte cependant bien vite ce statut de « donneur de leçons » pour continuer de vivre cette dernière journée le plus humainement possible.
Des flashs-backs de sa relation amoureuse passée s’immiscent dans les moments émotionnels de sa journée. Celle-ci perd elle-même toute temporalité. On est dans une sorte d’univers recréé, onirique à souhait.
Et la grande idée visuelle de Tom Ford dans ce récit est justement de montrer par la palette de couleurs de sa caméra, comment son personnage oscille constamment entre son sentiment de solitude (Tom Ford utilise alors un noir et blanc austère) et sa curiosité et le bien-être qu’il finit par éprouver au contact de ses quelques rencontres inattendues (incarnées par des couleurs chaudes et positives).
Autour de Colin Firth, il y a la présence de Julianne Moore à la beauté sixties incandescente, au ton libre et faussement enjoué. Ce second rôle est défendu corps et âme par cette comédienne, à la cinquantaine raffinée.
Le jeune comédien qui redonne le goût de vivre à Colin Firth est incarné avec beaucoup de justesse par Nicholas Hoult, (on avait pu découvrir dans le rôle du petit garçon aux côtés de Hugh Grant, dans le génial About a boy de Nick Hornby). Il joue à la fois la carte de la séduction et de l’ambiguïté sexuelle, tout en y apportant une troublante naïveté.
En ressortant de la salle de cinéma, le parallèle avec ce film splendide de James Ivory, Maurice, qui traitait également de l’homosexualité, est évident. Avec une vraie recherche esthétique et cinématographique, Tom Ford explore le sentiment amoureux dans ce qu’il a de plus douloureux, et utilise la figure de l’homosexuel, de manière étonnamment pudique, pour nous interroger de façon originale sur ce qui peut lier de manière indélébile deux amants, séparés par la mort. Ce retour à la vie va sublimer avec âme cette relation amoureuse passionnée. Et passionnante.
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