Miam, miam ! L’Interview exclusive d’Edouard Baer !
Petite souris dans le dédale des couloirs du théâtre Marigny où se joue actuellement Miam Miam, le nouveau spectacle d’Edouard Baer, je suis allée frapper hier soir à la porte de ce grand et chaleureux artiste. Et c’est à l’improviste que ce dernier, alors plongé dans la relecture de son texte, m’a accordé quelques minutes d’entretien, le charme et la gentillesse en prime!
Votre marque de fabrique, c’est l’improvisation. Mais derrière ce bel édifice, comment se passe vraiment votre travail d’écriture ?
Je note d’abord des petites idées, des choses que j’aimerai traiter: un rendez-vous amoureux, une conversation d’hommes quand ils sont entre eux, qu’est-ce que c’est qu’un entretien d’embauche, des choses comme ça. Après j’organise des ateliers avec les acteurs; on cherche des choses. On essaie de parler de ça. Les phrases me viennent, je les leur donne. Parfois on filme, on retranscrit cette séance, et là-dessus, je réécris une scène et petit à petit, par sédimentation, cela se fait. Finalement, j’écris plus « oralement », en le dictant à mes comédiens. Tout d’un coup, la scène me vient et je la joue, on filme ça dans mon bureau, et après c’est mon assistante qui retranscrit tout.
Un vrai travail d’équipe donc. Pouvez-vous nous parler des comédiens de votre troupe ?
Il y a Jean-Michel Lahmi avec qui j’étais au même cours de théâtre. A la même époque, Léa Drucker était à la rue Blanche où je fréquentais les gens du Conservatoire, donc je les connais depuis plus de quinze ans. Idem pour Atmen Kélif. Il y en a d’autres que j’ai rencontré après les auditions du Grand Mezzé qu’on faisait au Rond Point: Diane Bonnot qui faisait du théâtre de rue. J’ai fait des auditions avec rien de précis en tête: des gens portaient des numéros. Et là, j’ai rencontré Laura Sillanpââ, la marionettiste qui propose un univers étonnant. Patrick Boshard, c’est quelqu’un qui n’est pas du tout acteur, qui est barbu et qui est un peu notre mascotte. Christophe Meynet, je l’ai rencontré quand je faisais une émission de radio à Radio Nova: il apportait des choses, il passait par là… Il voulait vraiment en être.
Alka Balbir, je l’avais choisi dans le spectacle précédent pour incarner la jeune fille dont on rêve et Jean-Philippe Heurteaut, le pianiste, c’est mon frère compositeur qui nous l’a amené. Philippe Duquesne, je l’admirais aussi beaucoup.
En fait, ce sont des gens avec qui je m’entends bien dans la vie. Parce qu’il faut beaucoup d’intimité pour jouer ce genre de spectacle et accepter d’entrer dans ce projet qui, au début, a un texte qui va beaucoup fluctuer, entre l’écriture et la première.
Maintenant, on peut le dire, c’est officiel: le texte est rôdé!
Le texte est bien sauf que je me laisse un peu des espaces d’improvisation dans mes monologues. Tout ce qui est «à jouer ensemble » est écrit: voici le scénario (Edouard Baer me montre son texte), c’est comme un scénario de film, finalement. Mais moi, j’ai des espaces dans mes monologues où suivant l’inspiration, je peux me balader sans que cela change la mise en scène, puisque les autres n’attendent pas une phrase précise pour répondre.
Quelles sont les thématiques qui vous tenaient à coeur en créant ce spectacle ?
Il y a de tout: l’amour, l’amitié, le travail… D’abord, cela traite de l’enthousiasme: sur l’idée de retrouver du plaisir à faire les choses. Ce sont des acteurs un peu fatigués qui tout à coup, par le fait de jouer comme des enfants à reconstituer un restaurant, à faire semblant, s’amusent, s’enthousiasment et retrouvent de l’appétit.
Et justement, votre appétit, vous le ressentez pour quel type de projet théâtral ou cinématographique aujourd’hui ?
Pour y croire, pour être enthousiaste, il faut se dire que c’est quelque chose d’important qu’on défend, que c’est fort. Que ce n’est pas juste du temps qui passe. Il faut que cela ne soit pas seulement drôle, que cela parle de plein de choses, que cela soit riche, vu l’énergie que ça prend! Il ne faut pas juste passer une heure et demie agréable. L’idée, c’est que ça habite un petit peu les gens, comme un petit monde qui reste en soi, quand on a des petits coups de cafard; on se dit « tiens, il y a ce petit monde qui existe aussi!.. »
Par rapport à Looking for Mr Castang, l’intrigue semble plus resserrée…
Tout à fait. Je pense qu’il faut d’abord que cela soit accessible, que l’histoire mieux racontée permette plus de folie à l’intérieur, à partir du moment où l’on est dans un cadre plus clair.
Le rire, c’est quelque chose de très intime
En quoi votre rapport avec « la bonne bouffe » et le fait que vous ayiez vous-même un restaurant est-il important pour vous ?
J’aime la nourriture parce que j’aime son histoire, ce à quoi elle est liée, comment elle est fait, d’où elle vient. Même si je m’en moque dans le spectacle (où je me moque d’une certaine fascination qu’ont les urbains pour la ruralité), mais en même temps j’aime bien l’idée de savoir comment ça a poussé, comment c’est fait, comment c’est apporté, comment c’est travaillé. Comme on dit, « c’est le fruit de la vigne et du travail des hommes ». C’est ça qui est assez beau dans le vin, dans le pain, dans les plats. Et j’aime bien cette tradition française de manger en groupe, de converser en mangeant. J’aime bien les repas qui s’éternisent. J’aime bien le vin, les mélanges de gens à table. Une façon de vivre qui me plaît!
Quels sont les sujets sur lesquels vous pouvez perdre votre légendaire humour ?
Il n’y a pas de sujet qui fâche mais des gens qui vous énervent, qui vous agacent, que vous ne comprenez pas, avec qui ça ne vous amuse pas de rire. Le fameux « On peut rire de tout mais pas avec tout le monde » de Desproges, ça veut juste dire qu’il faut qu’on parle de la même chose. Finalement, c’est très intime de rire devant quelqu’un: il faut bien connaître la personne en face de soi.
Comment dirigez-vous vos acteurs ?
J’essaie que cela soit adapté. Je crois que la bonne direction d’acteurs, c’est pas un truc théorique, c’est de s’adapter à chacun : il y a des gens qui ont besoin d’explications intellectuelles, ou cérébrales, d’autres qui ont besoin d’exemples, d’autres qui ont besoin qu’on leur dise oui ou non, d’autres à qui il ne faut rien dire… C’est vraiment ça la direction d’acteurs, c’est de connaître les gens. Ce n’est pas d’avoir raison, c’est faire que les choses se fassent. C’est passionnant: cela consiste à réfléchir à comment se faire comprendre, comment obtenir de l’autre ce pourquoi il est le meilleur. Par exemple, pour qu’Atmen Kélif comprenne qu’il a un charme incroyable, et qu’il accepte de chanter en crooner…
En guise de conclusion, quel est votre plat préféré ?
J’ai un truc avec le canard, avec la peau du canard qui craque et le gras juste en dessous, et la chair… Avec un vin du sud ouest un peu puissant…
Un grand merci à Edouard Baer pour son accueil si chaleureux et sa disponibilité sans faille…