Avignon 2012: Entretien avec la comédienne Fane Desrues
C’est lors du Festival d’Avignon que nous avons rencontré la comédienne Fane Desrues, 28 ans, passionnée, engagée dans son sens le plus intégral, au service d’un personnage fort : Murielle cette « femme rompue » écrite par Simone de Beauvoir en 1972. Au théâtre de la Luna, comme sur le plateau de l’Essaïon, il y a quelques mois, à Paris, elle livre un travail fort, d’une rare maturité de jeu.
Quel a été votre déclic pour devenir comédienne ?
Enfant, j’ai d’abord suivi un parcours en musique classique (piano, flute traversière et chant) en horaires aménagés de 8 à 18 ans. C’était un parcours très rigide pour une enfant et une adolescente comme moi. Et à quinze ans, j’ai découvert le théâtre. De tempérament stressée par les examens, le théâtre m’a véritablement épanouie. J’y ai découvert cette adrénaline d’aller sur scène.
A dix-huit ans, j’ai arrêté la musique et je suis passée au théâtre pour lequel j’ai consacré beaucoup plus de temps. J’étais en fac de théâtre à l’université Paris III puis j’ai suivi plusieurs écoles de théâtre. La dernière, la plus importante est le Sudden Théâtre avec Raymond Acquaviva, même si dans la pratique, j’ai attendu la troisième année pour travailler enfin avec lui.
Comment avez-vous rencontré Julien Cottereau, votre compagnon depuis dix ans ?
J’ai rencontré Julien quand j’avais dix-huit ans. On a fait nos parcours chacun de notre côté, lui bien avancé depuis longtemps et moi, suivant mon petit bonhomme de chemin.
Il m’a vraiment fait découvrir l’art du clown. Ce n’était pas du tout une discipline qui m’attirait. Et finalement, je m’y sens très bien. Même si c’est un des arts les plus difficiles par rapport au théâtre parce qu’il y a un gros travail sur soi qu’il faut faire : travailler avec ses défauts, sa vie, son être. Il faut vraiment s’accepter.
Comment s’est fait le choix de monter cette pièce avec Julien ?
On a choisi la pièce, il y a deux ans. Je suis vraiment tombée en amour de cette pièce. Ça ne partait pas du tout d’une envie de faire un « seul en scène ». Mais j’ai été bouleversée par le texte et cela a pris deux, trois mois avant que je me dise : « allez, on commence à faire les démarches ! » Julien ne devait pas mettre en scène. Je pensais plus à une femme pour la mise en scène. Et il a lu la pièce qui lui a vraiment donné envie de faire ce travail avec moi.
« Ce travail de mise en scène avec Julien m’a laissé beaucoup de liberté sur scène »
Parlons justement de ce travail de mise en scène…
Oui, Julien a fait un très beau travail mais c’est surtout en y amenant son univers à travers les lumières, le son. Tout y est travaillé avec précision, ce qui me laisse beaucoup de liberté sur scène. J’ai mis beaucoup de temps à apprendre le texte, avec peu de répétitions car on avait un planning très serré. Avec en plus un vrai patchwork de sentiments à interpréter. Dans notre collaboration avec Julien autour de ce texte, il y a eu toute une évolution. C’est quelqu’un de très exigeant, qui voulait une mise en scène au cordeau avec à peu près 80 tops en lumière et 80 tops en son. A la régie aussi, c’est un vrai partenaire de jeu. Et s’il foire, je foire et vice versa. Il y a vraiment un lien très fort. Comme dans le spectacle de Julien, Imagine-toi, c’est une mise en scène très coordonnée.
Il y a aussi un important travail de chorégraphie dans cette mise en scène…
J’ai travaillé sur le spectacle avec une chorégraphe, Mayalen Otondo. Et dans la pièce, j’avais vraiment envie de travailler sur cette folie qu’elle génère et qui devait s’exprimer aussi par le corps.
J’ai vraiment adoré travailler avec Mayalen : on a travaillé beaucoup sur l’impro, elle a lu la pièce plusieurs fois et a essayé de voir quels extraits pourraient être les plus forts pour les exprimer.
Comment qualifier le personnage de Murielle que vous interprétez ?
C’est un personnage qui est débordant dans tous les sens du terme. Elle en veut à elle-même, elle en veut aux autres, elle crache sur tout ce qui bouge, la moindre fourmi. Elle s’appuie sur ça, sinon elle tombe. Et deux ans après que je le monte, je suis encore bouleversée. C’est un texte extrêmement cher pour moi et que j’ai envie de porter encore longtemps.
Je sais que le théâtre de l’Essaïon a vraiment aimé notre travail. C’est bon de savoir qu’on est suivi !
Quel est votre état d’esprit avant d’entrer en scène ?
Je prie. Quand le spectateur arrive dans la salle et que je suis déjà sur scène, je prie. Mais en même temps, je n’ai pas vraiment besoin de ça parce que dès que le texte me vient, que j’ouvre la bouche, je me sens dans la chair de cette femme.
Jouer toutes ces femmes à des âges différents, c’était un vrai challenge…
La premier point difficile pour me lancer dans cette aventure, c’est que je n’avais pas l’âge de ce rôle. Ça m’a arrêté… mais pas longtemps! Je voulais quoiqu’il arrive défendre ce personnage, cette femme et cette histoire.
Par rapport à cette question, au départ on s’est demandé si je devais changer ma voix, s’il fallait que je me maquille. Puis, un peu avant qu’on commence les répétitions, j’ai vu un monologue de Patrice Chéreau avec Romain Duris qui jouait une sorte de SDF et où il avait transformé sa voix pour être crédible. Je l’ai trouvé très peu convainquant ! (rires)
Là, je me suis dit : j’assume l’âge que j’ai. On montre aussi le fait que les mères irresponsables, ça existe et qu’il y a un non-jugement envers la personne, que la maternité n’est pas une évidence, pour beaucoup de femmes.
Quels sont vos projets après Le Monologue de la Femme rompue ?
J’ai envie de monter un spectacle pour enfants, à base de clown, chant lyrique et danse, avec trois femmes sur scène. Tout ce que j’aime mais qui n’a vraiment rien à voir avec La Femme rompue. Un univers beaucoup plus joyeux, dans le partage familial.
Parce qu’avec cette pièce, quand on a une petite fille, c’est impossible qu’elle soit dans les loges ou sur scène. Elle a vraiment besoin de ne pas entendre ce texte sortir de ma bouche. Mais j’aimerai bien continuer ces deux spectacles. Je trouve qu’il y a eu un bon bouche-à-oreille à Avignon, pour un texte aussi difficile. Je suis fière de voir qu’il y a des gens qui aiment notre travail.
Entretien réalisé à Avignon, en juillet 2012.
Crédits Photos: Clément Hallet.
Pour en savoir plus sur la comédienne, n’hésitez pas à découvrir son site : http://www.fanedesrues.com/