Critique cinéma: Chocolat
La prodigieuse destinée de Chocolat, premier artiste noir à connaître un succès phénoménal dans le Paris du début du XXème siècle méritait plus que vivement d’être racontée au cinéma. Tout le talent et toute l’ambiguïté psychologique de cet artiste, injustement tombé dans l’oubli, sont ici enfin restitués grâce ce très beau travail de mise en scène, d’écriture et d’interprétation (mention spéciale à Omar Sy et James Thierrée), orchestré par Roschdy Zem.
Parler d’un artiste noir, tombé dans l’oubli et à travers un film d’époque était en soi, déjà, un sacré challenge. La seule solution pour tourner ce film, selon les producteurs Éric et Nicolas Altmayer, (Mandarin Films) à l’initiative du projet, était de le confier à une « tête d’affiche » telle qu’Omar Sy.
Ce dernier l’accepta immédiatement, sentant d’emblée la richesse de cette vie en dents de scie d’un artiste rare: « Pour un acteur, ce personnage est un véritable cadeau parce que la vie de Chocolat est pleine de reliefs. C’est l’occasion de jouer des scènes de comédie, de drame, de cirque, d’amour, de bagarres, d’euphorie avec le succès, puis de déclin avec l’alcool, la drogue. »
Chocolat nait véritablement sur la scène d’un cirque de province à la fin du XIXème siècle (le cirque Delvaux qu’orchestre avec poigne son directeur, incarné ici avec panache par Frédéric Pierrot), grâce à l’acuité artistique d’un homme, le clown Georges Footit (James Thierrée), en perte de vitesse après des années fastes, interpellé par la prestation de Rafael Padilha, ce fils d’esclave, abonné aux rôles de cannibales, terrifiant petits et grands spectateurs et qu’il baptisera « Chocolat ».
Un cadre artistique très réaliste
Le duo Footit et Chocolat est né. L’occasion ici pour nous de saluer la prestation très juste et nuancée de James Thierrée qui, en homme de spectacle et de cirque, a lui-même composé les numéros de clowns, avec la complicité généreuse d’Omar Sy. James Thierrée compose un personnage à la fois brillant sur scène, passionné par son métier, orgueilleux, côté face ; seul et dépressif, en perpétuel questionnement, se sentant en rivalité avec Chocolat et son succès grandissant, côté pile. Toutefois, il ne faut pas s’arrêter à l’âpreté apparente de cet homme qui admire son ami et partenaire en secret.
Roschdy Zem a su avec brio reconstituer ce Paris artistique bouillonnant du début du XXème siècle, tant à l’image que dans sa collaboration avec le scénariste et auteur de théâtre Cyril Gély (L’Autre Dumas, Diplomatie).
La force du film réside aussi dans le choix de raconter cette vie, ancrée dans un cadre artistique très précis, très réaliste (la vie dans un cirque de province littéralement « boueux », celle dans un théâtre parisien ayant pignon sur rue). Sans oublier de montrer le poids social que subit Chocolat tout au long de sa vie, du fait du racisme très violent de l’époque.
Une belle histoire d’amour se tisse aussi en coulisses entre Chocolat et Marie, femme amoureuse résolument moderne, soutien irréprochable jusque dans les jours les plus sombres de l’artiste. Clotilde Hesme l’incarne ici de façon remarquable.
Chocolat, c’est une plongée humaine dans le Paris artistique de la Belle Epoque, racontée avec fougue et talent, sans aucune baisse de rythme. N’oublions pas les rôles secondaires tout aussi réjouissants confiés à Olivier Gourmet, Noémie Lvovsky, les frères Podalydès, Alice de Lencquesaing et Olivier Rabourdin (génial directeur du Théâtre Antoine).
A déguster dès le 3 février en salles !…