Critique cinéma: Pas son genre de Lucas Belvaux
Déroutant et pourtant très réaliste, romantique mais jamais à l’eau de rose, le récit de cette rencontre qui n’aurait jamais dû avoir lieu (entre ce professeur de philo parisien qui ne veut pas s’engager sentimentalement et cette pétillante coiffeuse mère célibataire arrageoise) a de quoi nous interpeller. Car le fossé socio-culturel, au fond, n’est pas le sujet principal du film mais l’élément moteur pour nous parler différemment de l’amour.
Le film débute sur une scène de rupture amoureuse. Elle semble très pénible pour la femme, nettement moins pour l’homme, Clément (Loïc Corbery), agrégé de philosophie et romancier parisien. Parisien jusqu’au bout des ongles, il serait bon de le préciser. Volage, lâche vis-à-vis de ses conquêtes féminines, ce personnage est un épicurien, pas forcément un don juan. Et paradoxalement, c’est un handicapé du sentiment, un personnage rigide, qui ne sait pas lâcher prise.
La nouvelle de sa mutation à Arras semble plus l’affecter que celle de s’être fait quitté, une énième fois. A ce propos, ces quelques scènes d’introduction me paraissent un peu trop nerveuses. On n’a pas vraiment le temps de connaître l’environnement initial de Clément, malgré quelques allers et retours Paris-Arras plus tard dans le film.
A Arras, le bout du monde pour Clément, vit Jennifer, 35 ans, coiffeuse, qui assume avec le sourire son statut de mère célibataire. Méfiante vis-à-vis des hommes, Jennifer rêve pourtant secrètement du prince charmant. Bref, ces deux-là n’auraient jamais dû se rencontrer et une coupe de cheveux par un après-midi de désœuvrement pour Clément va tout bouleverser…
Violence des échanges en milieu arrageois
Adapté du roman de Philippe Vilain, Pas son genre suit avec attention les trajectoires psychologiques de ces deux protagonistes que tout oppose. Chaque personnage, par sa différence socio-culturelle très marquée, apporte énormément à l’autre. Mais en même temps chacun souffre de n’appartenir jamais vraiment à l’univers de l’autre. Chacun pourtant va s’ouvrir peu à peu… mais pas au même moment!
Mais parlons un peu aussi du jeu des acteurs qui est ici particulièrement remarquable : Emilie Dequenne transcende ce personnage de coiffeuse provinciale par son charisme habituel bien sûr et joue avec sa présence pétillante et enjouée. Elle laisse entrevoir aussi, par petites touches, la souffrance interne de son personnage malgré les paillettes qu’elle tient à mettre dans sa vie, auprès de son fils et de ses amies (sa famille reconstituée).
Ce n’est pas un personnage mièvre, loin de là. Son énergie, sa bonne humeur, son franc-parler sont comme des armes contre la grisaille ambiante.
Loïc Corbery, sociétaire de la Comédie Française, pour son premier grand rôle au cinéma, interprète un personnage pour le moins antipathique mais qui va s’humaniser progressivement au contact de Jennifer, petit à petit. C’est un personnage très intérieur, qui ne lâche rien ou presque. Un personnage pas commode à interpréter mais que le comédien parvient aisément à rendre accessible, voire émouvant.
Le film de Lucas Belvaux n’est pas une comédie sur le fossé social, ce n’est pas non plus une comédie romantique à proprement parler. C’est un étrange cocktail, fait de ces deux ingrédients, et de bien d’autres, qui, agité, nous désarçonne jusqu’à la fin. A déguster dès le 30 avril prochain au cinéma !
Pas son genre Un film de Lucas Belvaux Adapté du roman de Philippe Vilain (éditions Grasset et Fasquelle) Avec Emilie Dequenne, Loïc Corbery… Sortie le 30 avril 2014