Critique théâtre: La Chanson de l’éléphant
C’est au Petit-Montparnasse qu’il faut venir en ce moment pour y découvrir un véritable spectacle de qualité. Depuis une dizaine de jours déjà, et pour la première fois, Jean-Baptiste Maunier (le génial interprète des Choristes) brûle littéralement les planches, aux côtés de Pierre Cassignard toujours au top et de Christine Bonnard, intrigante à souhait. Sans oublier Anthony, l’éléphant en peluche qui stigmatise toute la souffrance et les rêves de son propriétaire…
L’histoire de la création de cette œuvre est en soi déjà particulière : elle débute à Montréal, à l’occasion d’un exercice d’écriture. Encouragé par son professeur, Nicolas Billon en tire une pièce en un acte qu’il souhaite produire lui-même. Mais c’est le directeur artistique du Festival Stratford du Canada, Richard Monette qui découvre la pièce et invite l’auteur à participer au Birmingham Conservatory for Classical Theatre Training de Stratford. La pièce est créée en 2005 au Canada et jouée en France pour la première fois cette année au Petit-Montparnasse.
Pierre Cassignard incarne le docteur Greenberg, directeur d’un hôpital psychiatrique canadien, ayant peu à peu délaissé sa vocation première de thérapeute, soucieux de la bonne administration de son hôpital. Face à la disparition de l’un de ses collègues psychiatres, le docteur Lawrence, il se trouve obligé d’interroger Michaël (Jean-Baptiste Maunier), cet étrange patient qui est le dernier à avoir vu Lawrence avant sa disparition.
Clinique, moderne, ingénieuse, cette mise en scène de Bruno Dupuis instaure un climat progressivement inquiétant, étouffant mais toujours haletant. On apprécie particulièrement l’utilisation de cette écran- fenêtre, au centre de la scène, projetant le dédale des couloirs de l’hôpital, à l’image de la psychologie tourmentée de Michaël.
Jean-Baptiste Maunier, la « révélation »
Cette fenêtre est régulièrement fermée puis réouverte par les protagonistes de la pièce. Eh oui, rien n’est simple dans cette intrigue qui démarre comme une enquête policière et distille peu à peu des notes de thriller psychologique.
La force de cette pièce est justement de constituer un duel psychologique riche, sorte de savant kaléïdoscope de moments de tension violente, de lâcher-prise émotionnelle et d’humour de la part de chacun des protagonistes. Peu à peu, les frontières thérapeute-patient s’effritent. On ne sait plus qui interroge qui. Qui manipule qui.
Pierre Cassignard incarne avec aisance ce personnage de Greenberg qui doit accepter de pénétrer dans le labyrinthe psychologique de Michaël ; ce dernier n’ayant pas peur de formuler des allégations d’abus sexuels graves. Son personnage n’est pas neutre, non plus. Il ne ressortira pas non plus indemne de cet affrontement. C’est aussi ce qui en fait sa richesse.
Face à lui, il y a Michaël, ce patient, intelligent, provocateur, enfant au-dedans malgré sa taille immense de jeune adulte, avec ses failles et ses coups d’éclat. Un colosse bien fragile que Jean-Baptiste Maunier incarne avec brio.
On sent chez ce jeune comédien une véritable joie de jouer (qu’accompagne probablement une grande frousse avant l’entrée en scène, la marque des grands). Jouer justement ce personnage qui lui-même a toutes les cartes en main dans cet étrange affrontement doit être particulièrement jouissif pour un comédien, qui fait ici ses premiers pas sur scène.
En bref, il ne faut pour rien au monde manquer ce duel magnifique, servi par des comédiens qui donnent l’impression au moment des nombreux et chaleureux rappels d’avoir tout donné…
La Chanson de l’Eléphant de Nicolas Billon
Mise en scène de Bruno Dupuis
Avec Pierre Cassignard, Jean-Baptiste Maunier, Christine Bonnard
Décor: Sophie Jacob
Lumières: Marie-Hélène Pinon
Assistant à la mise en scène: Jeoffrey Bourdenet
Théâtre du Petit-Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
Du mardi au samedi à 21h et le dimanche à 15h.
Résa: 01 43 22 77 74
Crédits Photos: LOT