Les Cartes du Pouvoir de Beau Willimon (scénariste et dramaturge américain dont on doit, entre autres, la série TV addictive House of Cards) fait partie des pièces très attendues de la rentrée théâtrale parisienne. J’ai eu le privilège de compter parmi les premières personnes à l’avoir découvert sur la scène du théâtre Hébertot et mes attentes n’ont pas été déçues. Loin de là !…

C’est un projet ambitieux que de mettre en scène cette pièce dévoilant les arcanes du pouvoir américain, lors des primaires à l’élection présidentielle, auxquelles le dramaturge a personnellement assisté par le passé (notamment lors de la campagne d’Hillary Clinton). A tel point qu’au cinéma, en 2011, George Clooney, féru de politique, s’était emparé de la pièce pour l’adapter au grand écran et l’interpréter aux côtés de Ryan Gosling.

Francis Lombrail, nouveau directeur du théâtre Hébertot, a décidé de miser sur un sujet humain fort, une mise en scène résolument moderne et un casting brillant. Gageons que le récit de cette descente aux enfers de Stephen Bellamy (interprété par le charismatique Raphaël Personnaz), attaché de presse aux dents longues, au service de Paul Zara (Thierry Frémont toujours remarquable), directeur de campagne chevronné va conquérir facilement le suffrage du public.

Sur le fond en effet, l’écriture est alerte, moderne, réaliste, nuancée. La problématique de l’intégrité dans l’exercice de ces métiers de l’ombre, proches du pouvoir, de l’amitié et admiration professionnelle mutuelle qu’un mentor et son disciple peuvent éprouver, soudainement balayée par le spectre de la trahison : tout concourt à plonger les personnages dans un abyme de sentiments contradictoires, délicieuse palette pour des comédiens du calibre de Frémont et Personnaz, ainsi que les autres comédiens qui les entourent (et dont fait partie Francis Lombrail lui-même).

Raphaël Personnaz en pleine maturité de jeu

Sur la forme, Ladislas Chollat signe une mise en scène « à l’américaine » (et c’est un compliment, avec notamment l’usage de la vidéo et de décors judicieusement coulissants), qui révèle comme une évidence, son goût pour l’écriture psychologique US, si spécifique, « qui parle aux tripes » et nécessite une interprétation forte, éreintante, évoluant dans des décors de toiles d’araignée, volontairement modernes et proches de l’univers des séries TV américaines dont Ladislas Chollat est particulièrement féru.

Les comédiens (que j’ai pu observer de près du fait de ma place au second rang !) sont ici comme des fauves, lâchés dans l’arène. Ce qui n’exclut pas l’humour et l’émotion de certaines situations.

Raphaël Personnaz, de retour au théâtre, porte littéralement la pièce sur les épaules : il est de toutes les scènes, pendant 1h50, en proie à une évolution psychologique permanente (bien souvent en mode de survie) et sait révéler les fêlures de son personnage (son immaturité affective qui n’empêche pas son sens de la stratégie et de la ruse pour « arriver »), tout en conservant un juste sens du rythme nécessaire à une telle machinerie.

Face à lui, il y a Thierry Frémont, magnifique de présence et de profondeur qui campe un directeur de campagne surprenant. Elodie Navarre et Roxane Duran ne sont pas en reste dans cet univers éminemment masculin. Les cartes du pouvoir permet aussi de révéler d’autres jeunes talents comme  Julien Personnaz, frère de Raphaël et qui incarne ici le stagiaire du jeune héros.

Et si cette représentation a souffert de quelques légères baisses de rythme (dues probablement à la fébrilité de ces premiers moments), il ne faut surtout pas manquer ce beau rendez-vous de théâtre, musclé, humain et ambitieux.