Critique théâtre: Les lois de la gravité
Il est probablement normand et non loin de la mer, ce bureau de commissariat dans lequel une jeune criminelle échoue volontairement un vendredi soir tardif face à un commissaire faussement bourru. Anne Bourgeois signe la mise en scène de cette adaptation du roman de Jean Teulé, dans laquelle Dominique Pinon et Florence Loiret Caille se font face.
Les lois de la gravité est une pièce difficile à raconter. Peut-être parce que l’action est avant tout plus psychologique que dramatique. Il s’agit, en effet, ici de mettre en scène deux personnes qui s’affrontent pendant 1h30 environ (plus longtemps du point de vue de l’intrigue !), persuadée chacune, qu’elle pourra convaincre l’autre de suivre sa petite idée.
Celle de la jeune femme qui s’accuse d’un meurtre commis il y a près de dix ans est de convaincre son interlocuteur de son arrestation. Elle attend ce moment comme le criminel rêve de son acquittement, bref comme un instant de grâce. Florence Loiret Caille campe cette jeune femme profondément idéaliste, mère de famille et épouse brisée, à la limite de la folie, avec beaucoup de talent. Son visage, souvent sombre, s’illumine parfois à l’évocation de son métier de factrice qui lui a permis de tenir, aux côtés de ce mari violent et insupportable et dont elle décide un soir de lui prêter main forte pour ne pas rater une énième fois son suicide, en le poussant par la fenêtre.
Crime parfait et destins scellés
Ce crime jamais puni fascine le commissaire (Dominique Pinon) qui a accepté de lui ouvrir la porte de son bureau. Pourquoi, cette jeune femme, encore mère de jeunes enfants, passerait 20 ans de sa vie derrière les barreaux, alors qu’elle a commis ce crime non blâmable de se débarrasser de son bourreau de mari ?
Les Lois de la gravité est à voir comme un constant duel de mots et d’émotions où le dialogue parfois cynique, parfois exalté, se teinte d’humour aussi. Il faut souligner ici la force du texte de cette pièce : la façon dont le commissaire évoque avec un sincère et profond dégoût son quotidien de flic, avec des anecdotes hélas cruelles mais réalistes ; le propre aveu de la criminelle sur son crime, à côté passant alors presque pour un récit pour enfants de chœur.
L’atmosphère de cette pièce est donc profondément sombre et peut dérouter aussi dans le faible nombre de rebondissements dramatiques. Avec ce lieu unique, toutefois ciselé et judicieusement éclairé. C’est justement dans ce type de pièce « d’atmosphère » que les détails ont leur importance : au fond, jusqu’au flic de l’accueil (Pierre Forest, très juste aussi)) qui vient parfois interrompre l’échange, tout nous est dévoilé des méandres de la pensée de chaque personnage.
Il est curieux de constater combien cette pièce semble faire écho à celle jouée à 21h dans le même théâtre, Des Gens bien. Le théâtre Hébertot semble avoir voulu questionner la thématique du destin, sa moralité (ou son absence de moralité) à travers l’existence de ces héros de la vie quotidienne, français ou américains, ces « gens bien », qui doivent subir des « événements particulièrement tragiques ».
LES LOIS DE LA GRAVITÉ – « AVEC LES COMPLIMENTS DE LA POLICE FRANÇAISE » Avec Dominique PINON, Florence LOIRET CAILLE et Pierre FOREST Soirées : du mardi au samedi à 19hMatinée : dimanche 18h
Claireblog
J’ai beaucoup aimé aussi, même si effectivement, c’est bien sombre. Ça m’a réellement fait penser à Sartre!
Laetitia Heurteau
Oui, Sartre, c’est vrai ! Avec un humour sacrément féroce aussi !