Critique Théâtre : Les Trois Vies de Jane Austen
Dans la petite salle de l’Essaïon qui se prête facilement au recueillement, la vie secrète de Jane Austen est évoquée, à travers l’alternance de deux époques (celle de Jane et de Rebecca) où le statut de la femme-artiste est ici surtout remis en question.
Sur scène deux femmes mais surtout deux époques. Qui s’alternent avec un ingénieux jeu de lumières sur les voûte de cette salle ô combien propice au récit théâtral. Le courage et l’investissement de ces deux jeunes comédiennes n’en est que plus grand, car au fond, le public, dans cette configuration, n’a jamais été aussi proche de celles qui animent cet étrange récit.
Etrange récit, en vérité. Une jeune femme de notre époque, Rebecca (émouvante Elodie Sorensen), restauratrice, chargée de redonner vie à un bien curieux médaillon, se voit peu à peu transportée malgré elle, dans la vie intime de Jane Austen.
Pour fil conducteur ce médaillon représentant Tom Lefroy, l’amant secret de Jane Austen, romancière du début XIX° siècle adulée dès son époque, pourtant morte prématurément et célibataire.
L’étrange fantôme du film britannique Jane
Dans cette entreprise de théâtre-enquête fortement revendiquée par l’auteure, la regrettée Lesley Chatterley et ses comédiennes qui ont participé à l’écriture de la pièce, plane toutefois et de façon surprenante le fantôme du film britannique Becoming Jane, datant de 2008.
Les plages musicales du film sont ici librement utilisées pour retranscrire l’atmosphère délicat, feutré et élégant de l’auteure d’Orgueil et Préjugés. On est aussi surpris combien cette pièce suit avec une grande fidélité la trame du film (évoquant les amours tourmentées de Tom Lefroy et Jane Austen) malgré ici l’ajout du prisme moderne du personnage de Rebecca, représentant notre époque.
Celui-ci est avant tout construit comme un « révélateur », un peu à l’image de cette scène où Rebecca fait révéler grâce à sa technique de conservatrice, l’identité du personnage représenté sur le médaillon. Personnage révélateur donc mais qui ne révèle pas personnellement grand-chose de lui-même, hormis un deuil paternel récent. Ses interrogations sur son propre couple, à la lumière de celui formé fugacement par Jane Austen et Tom Lefroy, paraissent même anachroniques.
Les tableaux de la vie de Jane Austen, (« celle qu’elle a vécue, celle qu’elle a rêvée et celle qu’elle a écrite ») ont ici du mal à passer la frontière du simple exercice d’exposé scolaire. Cela tient peut-être aussi du fait de la narration trop simplifiée (se basant uniquement sur l’alternance des deux époques).
Toutefois, les néophytes pourront apprécier à travers certains extraits d’Orgueil et Préjugés, tout le mordant de l’écriture austenienne, ici incarnée avec beaucoup de justesse par Céline Devalan.
Mise en scène de Régis Mardon
sur une création de Lesley Chatterley
avec Céline Devalan et Elodie Sorensen
Du 4 février au 26 mars 2011, le vendredi et le samedi à 21h30.
Théâtre de l’Essaïon