Critique théâtre: Lucrèce Borgia par Denis Podalydès
Pour le vrai friand de théâtre, il y a toujours ce rituel délicieux, ce curieux frisson de plaisir en entrant dans la maison de Molière, un soir de générale de presse. Frisson de bonheur qui s’accroît d’autant plus au moment des saluts de la troupe et autres nombreux rappels du public, signes que l’ambition du metteur en scène et le résultat sur le plateau sont au diapason. Ce qui est, à n’en pas douter, le cas de la Lucrèce Borgia de Victor Hugo, mise en scène par Denis Podalydès et incarnée avec maestria par Guillaume Gallienne.
Oui, vous avez bien lu, il s’agit bien de Guillaume Gallienne dans le rôle-titre féminin ! Et déjà des voix ce sont empressées de s’élever : « Quoi, Guillaume Gallienne se travestit une fois de plus après sa pièce et son film ? » D’autres ont même argué que « Guillaume jouait encore sa mère. » D’autres enfin, trouvent que l’idée du travestissement est vieille comme le monde et s’empressent de vous faire une docte leçon d’histoire du théâtre avec un grand H.
Les Fâcheux sont intemporels et laissons-les continuer de débattre inutilement sur ce sujet car oui, c’est très gonflé de donner le rôle à Guillaume Gallienne et oui, ça marche carrément sur le plateau.
Dans des costumes signés Christian Lacroix, le jeu précis, ciselé de Gallienne nous permet de mieux pénétrer dans la psychologie de cette magnifique empoisonneuse en même temps mère et femme odieusement tourmentée par l’amour. « Lucrèce, ce n’est pas Guillaume en femme, mais « dans le piège de cette femme, enfermée en lui ou lui en elle », précise Denis Podalydès.
Double travestissement dans cette pièce aussi puisque c’est la belle et fougueuse Suliane Brahim qui incarne Gennaro, personnage de jeune capitaine italien qui met l’impénétrable Lucrèce en émoi et rend au public ce monstre plus humain, et plus accessible aussi.
Dans l’antre de la noirceur vénéneuse
Il y a une chose qui frappe aussi dans cette mise en scène aux multiples facettes, c’est la diction des acteurs, très juste, très épurée. Chaque personnage pourtant possède sa propre personnalité, sa propre trajectoire dans la pièce, comme le personnage de Don Alphonse d’Este incarné avec talent par Eric Ruf qui ressemble à une sorte de pantin romantique flamboyant, à la fois jeune et décati dans sa démarche, vivant et comme déjà empoisonné, dénonçant les recours de sa femme aux sortilèges tout en les pratiquant également impunément.
L’énergie comique de Christian Hecq vient apporter une autre pierre à l’édifice et dans cette pièce qui démarre à Venise, sous les masques, on sent pourtant déjà que la commedia dell’arte n’exclut pas le grincement de ton, que l’humour n’est jamais loin de l’effroi.
D’où cette noirceur qui enveloppe littéralement la scène et tout au long de la pièce, nous faisant pénétrer graduellement dans l’intimité de la monstruosité.
La scénographie très onirique et picturale d’Eric Ruf souligne à merveille cette « noirceur vénéneuse » voulue par Denis Podalydès. « Des corps et des visages émergent de la nuit, y retournent. Il y a du cinéma – et Vitez le dit très justement – dans ces scènes. Il faut savoir alterner gros plans et plans larges, afin que l’espace soit dynamique, déversant et retirant les corps, escamotant et délivrant les acteurs. C’est tout sauf une scène réaliste. »
Une fois de plus, la Comédie Française nous offre cette année avec Lucrèce Borgia, un spectacle de qualité, artistiquement ambitieux et servi par une troupe toujours brillante et fougueuse à la fois. Un must théâtral à ne surtout pas manquer…
Lucrèce Borgia Drame en trois actes de Victor HugoMise en scène de Denis PodalydèsDu 24 mai au 20 juillet 2014
Durée 2h45 avec entracte
1 Place Colette, Paris Ier
Tél : 0825 10 16 80 Crédits photos: Christophe Raynaud de Lage
Mariane Fiori
Serais bien curieuse de voir cette mise en scène, certainement exceptionnelle, avec de très grands acteurs, pour un texte médiocre – ce n’est pas parce que c ‘est Hugo qu’on doit s’aplatir : non, il n’a pas fait que des chefs-d’œuvres – trame dramatique tenue par de grosses ficelles devenant des cordages, construction des personnages falote, psychologie à deux sous complètement périmée
Laetitia Heurteau
Je ne suis pas d’accord avec vous sur ce point, chère Marianne ! Hugo s’est bel et bien approprié un sujet de drame culte et par l’entremise du théâtre lui a donné une voix particulièrement forte et poétique. Podalydès a suivi ce bel élan romantique en explorant la noirceur du personnage comme ses éclats humains scintillants.