Critique théâtre: Le Petit-Maître corrigé
Passionné par le théâtre du XVIIème et du XVIIIème siècle, Clément Hervieu-Léger, pensionnaire de la Comédie Française, n’a de cesse d’explorer en tant que metteur en scène, les pépites théâtrales de cette époque (La Critique de l’Ecole des Femmes en 2011, Le Misanthrope en 2014, etc.). Depuis le 3 décembre dernier, sur le plateau de la salle Richelieu, il redonne toutes ses lettres de noblesses au Petit-Maître corrigé, cette pièce injustement méconnue de Marivaux, écrite pourtant à l’époque pour la troupe du Français.
Le titre de la pièce de Marivaux ici surprend, de prime abord. Qu’est-ce qu’un « petit maître » au XVIIIème siècle ? Une expression née au XVIème siècle, faisant référence aux « mignons » d’Henri III et dont le pédantisme et autre parisianisme affichés traversèrent les siècles. Au XVIIIème siècle, toute une littérature satirique leur est consacrée : ils perdent leurs attributs guerriers et ne sont plus que ridicules.
Rosimond (magistral Loïc Corbery), est ce « petit-maître », issu de l’aristocratie parisienne, venu à la campagne pour obéir à la volonté de sa mère et épouser une jeune aristocrate campagnarde, Hortense (belle découverte que Claire de La Rüe du Can dans ce rôle, au passage !) qu’il a tôt fait de regarder de haut. Pour Hortense, Rosimond n’est pas dénué de charme mais son attitude de « petit-maître » ruine un peu tout. Une ancienne maîtresse (Florence Viala, toujours impériale!) de Rosimond, décidée à épouser ce dernier vient un peu plus corser la situation. Mais heureusement, les domestiques, attachés à leurs maîtres respectifs veillent au grain.
Véritable sourcier du théâtre classique, Clément Hervieu-Léger nous fait goûter une écriture de Marivaux délicieuse, étonnamment fraîche et moderne et choisit délibérément de la mettre en scène dans des costumes (somptueux) d’époque. L’étoffe est sublimement travaillée par Caroline de Vivaise et son équipe : en témoignent chez les personnages féminins les superbes robes portées par Dominique Blanc, Florence Viala mais aussi chez les personnages masculins, ces « petits-maîtres » qui justement mettent un point d’honneur à leur apparence. Ainsi le « fashion addict » Rosimond ou son ami Dorante (Pierre Hancisse, subtilement ambigu) arborent des tenues élégantes du XVIIIème siècle. L’aristocratie campagnarde n’est pas en reste, comme l’illustrent les costumes d’Hortense et de son père (Didier Sandre).
Une production audacieuse et réussie
Élégante et pragmatique, la scénographie du Petit Maître corrigé, signée d’Eric Ruf, s’inspire librement de la peinture d’Hubert Robert, de Greuze et de Chardin : les personnages semblent minuscules dans cette immensité végétale. L’intrigue ne se déroule plus chez le comte mais bien dans cette campagne hostile aux Parisiens et rassurante pour les gens qui l’habitent au quotidien. Émotion garantie quand on s’installe à son siège, face à ce superbe talus végétal qui occupe la quasi-totalité du plateau de la salle Richelieu et que l’on voit au fond, les cintres et les lumières, bientôt remplacées par de superbes panneaux peints, représentant les différentes variations du ciel.
Le ciel des cœurs est ici justement souvent variable. C’est ce qui en fait le sel de la comédie chez Marivaux (aux accents parfois austeniens), à la fois psychologique, romantique et sociologique. Il faut dire que le « petit-maître » qu’Hortense souhaite corriger, grâce à la complicité de sa suivante Marton et de celle du domestique de Rosimond, Frontin, n’est pas aussi caricatural qu’il n’y paraît. Ce qui permet à Loïc Corbery de déployer sa palette de jeu tout au long de la pièce avec prestance et subtilité. Les personnages des domestiques (Adeline d’Hermy et Christophe Montenez) sont particulièrement savoureux. Les parents, enfin, campés par Dominique Blanc et Didier Sandre, se révèlent tout aussi attachants.
Avec Le Petit-Maître corrigé, Clément Hervieu-Léger donne à entendre le texte dans toute sa richesse et sa fraîcheur, dans une esthétique respectueuse de cette époque. L’occasion aussi de révéler toute la qualité artistique que les ateliers de la Comédie Française sont capables de développer, au service de cette production, très audacieuse et réussie.
Le Petit-Maître corrigé De Marivaux
Avec Florence Viala: Dorimène Loïc Corbery: Rosimond, fils de la marquise Adeline d'Hermy: Marton, suivante d’Hortense Pierre Hancisse: Dorante, ami de Rosimond Claire de La Rüe du Can: Hortense, fille du comte Didier Sandre: le Comte, père d’Hortense Christophe Montenez: Frontin, valet de Rosimond Dominique Blanc: la Marquise
Comédiens de l'Académie : La suivante de Dorimène : Ji Su Seong Équipe artistique : Mise en scène : Clément Hervieu-Léger Scénographie : Éric Ruf Costumes : Caroline de Vivaise Lumières : Bertrand Couderc Musique originale : Pascal Sangla Son : Jean-Luc Ristord Maquillages et coiffures : David Carvalho Nunes Collaboration artistique : Frédérique Plain Assistante à la scénographie : Dominique Schmitt Photos: © Vincent Pontet, coll. Comédie-Française. DU 3 DÉCEMBRE 2016 AU 24 AVRIL 2017 SALLE RICHELIEU - www.comedie-francaise.fr DURÉE : 2H05 SANS ENTRACTE