Critique théâtre: Richard III – Loyaulté me lie
Beaucoup de Richard III viennent à l’assaut de récentes programmations théâtrales. Est-ce notre période houleuse actuelle qui expliquerait ce phénomène ? Toujours est-il que le Richard III créé ici par Jean Lambert-wild, directeur du CDN de Limoges, en ce début d’année, sort clairement du lot, aux côtés de la stupéfiante Elodie Bordas, son double clownesque sur scène, incarnant mille et un personnages. Bonne nouvelle, une tournée est prévue dès la fin de sa création à Limoges, le 29 janvier 2016.
En premier lieu, c’est le décor qui frappe : vaste mais secrètement compartimenté, en apparence immuable et soudain prenant vie, par petites touches. Les contours de ce palais élisabéthain ressemblent curieusement à ceux d’un pavillon de jade, comme si raffinement et cruauté s’étaient ici implicitement donnés rendez-vous.
Face à ce personnage à part entière qu’est ici le décor sublimé par la scénographie de Stéphane Blanquet et Jean Lambert-wild, deux acteurs sont sur scène pour raconter ou plutôt se raconter Richard III. Oui, vous avez bien lu, seulement deux acteurs ! Et ici, il s’agit surtout de deux clowns : Jean Lambert-wild et l’ébouriffante Elodie Bordas.
Richard III avec sa tête de Pierrot et son pyjama pour première armure, dans son joyeux mouvement, obtiendrait presque notre sympathie malgré ce premier acte particulièrement macabre. Pourtant, c’est dans une ambiance permanente de fête foraine que la monstruosité du héros va soudain nous éclabousser à la figure.
A l’assaut de l’enfant-spectateur
Jean Lambert-Wild est avant tout un créateur au sens plein du terme : il interprète mais co-signe également la scénographie (avec Stéphane Blanquet), la mise en scène (avec Lorenzo Malaguerra et Gérald Garutti) et la traduction (avec Gérald Garutti). Son clown revisite le personnage de Richard III, ce roi assoiffé de pouvoir et de destruction, en permettant une forme de distanciation avec la scène jouée qui permet aussi une meilleure écoute d’un texte ici épuré et actif.
Le spectacle n’est pas exempt d’humour et de cocasserie, loin de là. Il faut dire que face à Richard III, il y a une femme, une seule, qui incarne tous les autres personnages inventés par Shakespeare dans cette pièce. Elodie Bordas joue, en effet, tous les personnages antagonistes comme complémentaires à Richard III, hommes ou femmes, reines ou domestiques zélés. Et à chaque fois, elle se régale dans le travestissement et dans ce rythme tourbillonnant voulu par la folie grandissante de Richard III.
C’est un vrai travail artistique qu’il faut ici saluer : du texte qui lifte un Richard III plus accessible, aux décors et costumes (mentionnons ici la beauté de l’armure de Richard III fabriquée en porcelaine de Limoges par Stéphane Blanquet et Christian Couty), jusque dans la chorégraphie millimétrée des comédiens qui changent de costumes dans un rythme endiablé et prennent même parfois des risques en défiant l’apesanteur, etc.
Au fond, ce Richard III clownesque, longtemps rêvé par Jean Lambert-wild est à l’image de l’artiste lui-même : derrière une réflexion très riche de son personnage, faisant appel à des artistes de tous horizons, subsiste surtout cette envie de partage, de retour à l’enfance (dans le sens du plaisir primal), illustrée ici notamment dans la scène où l’inquiétant Richard III bombarde son public de… bonbons ! Mettant ainsi au défi l’enfant-spectateur que nous sommes également…