Critique théâtre: Sahar et Jeremy
D’abord jouée au Petit Hébertot, la pièce Sahar et Jeremy, écrite et interprétée par Aurore Auteuil revient en ce moment dans la chaleureuse salle Réjane du Théâtre de Paris. Aurore Auteuil révèle ici à la fois un immense talent de comédienne mais aussi d’auteure et campe deux personnages particulièrement attachants à la fois, deux « mal aimés », deux « mal partis dans la vie », Sahar et Jeremy.
On sent d’emblée chez Aurore Auteuil un réel plaisir teinté d’émotion à incarner ces deux personnages sortis de sa plume, tout au long de cette pièce, courte mais intense (elle ne dure qu’à peine une heure).
Il y a d’abord Jeremy, ce petit loubard du Sud, avec son bonnet vissé sur la tête, qui, dans son vocabulaire imagé bien à lui, raconte son enfance particulière, illustrée souvent par la violence de son père à son égard, son adolescence somme toute assez banale, avec les amis en boite et déjà cette pente qui l’entraîne irrémédiablement vers l’alcoolisme, pour oublier toutes les vicissitudes quotidiennes.
Mais un jour, Jeremy « monte » à Paris et rencontre Sahar, cette femme resplendissante et solaire qui lui avouera, avoir vécu comme lui, une enfance trop douloureuse. Jeremy vit empêtré dans ses démons (alcool, drogue, souvenirs angoissants du père) en même temps qu’il s’engage auprès de Sahar, qui ne tarde pas à lui donner un enfant. C’est un très jeune père qui se tue à la tâche pour nourrir sa famille. Mais très vite, le vernis craque…
D’une rare créativité
Aurore Auteuil fait parler deux personnages très concrets de notre société moderne et qui pourtant se révèlent en même temps, par la force de son écriture et de son interprétation, deux figures intemporelles de « mal aimés ». Face au langage volontiers gouailleur et souvent révolté de Jeremy, il y a les silences de Sahar ou ses répliques bienveillantes qui tentent à chaque fois de stopper la souffrance de Jeremy, qui, telle une fréquente hémorragie a bien du mal à se juguler.
La souffrance de Jeremy touche d’autant qu’elle est décrite par Jeremy lui-même, avec humour, autodérision mais aussi sévérité. On est frappé par la musicalité et la poésie du texte, en même temps que la grande énergie déployée par la comédienne qui est aussi danseuse et chanteuse sur scène, encouragée par les applaudissements du public.
La mise en scène de Ladislas Chollat illustre parfaitement la créativité et l’énergie du texte par un système très moderne de panneaux où des dessins et des mots apparaissent tour à tour, parfois comme dessinés à la craie par les protagonistes. On ne peut s’empêcher ici de penser à l’univers visuel de Jean Cocteau qui aimait distraire son public à l’image par le truchement des mots et des dessins enfantins animés comme par magie.
Sahar et Jeremy nous entraîne dans un univers très intense où l’émotion ne tarde pas à nous cueillir. On est ébloui par l’écriture, l’humour, l’énergie, la poésie et la présence d’Aurore Auteuil. Une bien belle découverte, d’une rare créativité…
Sahar et Jeremy De Aurore Auteuil Mise en scène de Ladislas Chollat Avec Aurore Auteuil Actuellement au Théâtre de Paris, salle Réjane Du mercredi au samedi à 19h et le dimanche à 17h. Jusqu’au 12 octobre inclus.