Critique Un pedigree : Modiano retrouvé
Pour seulement une quinzaine de représentations, Edouard Baer interprète à nouveau au Théâtre de l’Atelier le texte le plus personnel de Modiano, Un Pedigree. Deux ans après cette « lecture » audacieuse, le travail du comédien s’est encore affûté…
Ce qui transparaît tout de suite de ce texte, c’est l’extrême sincérité de ton de Modiano, véhiculée avec une sobriété mâtinée d’élégance.
Sans fioriture pseudo littéraire ni auto- complaisance, Modiano analyse les années noires de ses vingt premières années où avant de prendre la plume (acte ici plus libérateur qu’on ne pouvait le supposer), il vécut ballotté entre un père quasi absent et une mère frustrée par son succès relatif de comédienne.
Changeant de pensionnat comme on change de chemise, le jeune Modiano retrouve les noms de son enfance, les nombreux faux- noms de son père juif pendant l’Occupation, les connaissances de sa mère, comme on égrène un chapelet et où l’humour et l’ironie d’Edouard Baer perce par petites touches infimes mais indispensables.
Plus qu’une simple lecture, l’exercice auquel se livre le comédien ressemble surtout à une vraie mise en scène du texte, non pas physiquement (car le jeu d’Edouard Baer est des plus épuré) mais verbalement. Le texte de Modiano est à peine lu, ce qui étonne pour l’exercice de la lecture précédemment annoncé.
Cet indispensable verre d’eau…
Au fond, ce qui nous touche le plus c’est cette atmosphère de confession très bien rendue, cette intimité qui se crée avec le public, captivé par le récit de ces années de jeunesse déjà tourmentées. Celles-ci sont pourtant décrites avec beaucoup de recul et d’ironie mélancolique. Modiano parle de ces premières années comme des images vues d’un train et qui se succéderaient mécaniquement sans que le spectateur ne puisse réagir.
Un élément de cette interprétation retient notre attention : il s’agit du verre d’eau dont s’empare régulièrement Edouard Baer. Cet accessoire, associé usuellement à l’exercice de la lecture sur scène, sert également ici de surligneur. Sculptant le récit de Modiano, Edouard Baer en souligne les temps forts par ce simple geste de reprendre un peu d’eau.
L’émotion du texte (sa vivacité, son amertume aussi), nous est ici communiquée par le jeu et la physionomie du comédien, sans cesse en évolution. Etonnant train que celui qu’Edouard Baer nous invite ici à prendre, en direction du pays de Modiano, paysage de sentiments troublants qui ne cesse de défiler et plaisir du mot, malgré tout, pour les encadrer…
Un Pedigree
Texte de Patrick Modiano
Interprété par Edouard Baer
Théâtre de l’Atelier
Du 3 juin au 26 juin
Du mercredi au samedi soir inclus, à 20h.
Crédits Photos: Richard Schroeder.