Entretien avec Jean-François Balmer
Pour quelques soirées encore, Jean-François Balmer lit au théâtre de l’Atelier, Un Candide à sa fenêtre de Régis Debray. Lire est un bien faible mot pour celui qui cherche chaque soir à mieux incarner l’objet de sa lecture. Avec le texte de Debray et son analyse si fine et drôle de notre société contemporaine, Jean-François Balmer, féru de comédie au cinéma comme au théâtre, se régale sur scène. Souriant, il nous reçoit un matin dans sa loge…
Dans ce cycle de lectures proposé par le Théâtre de l’Atelier, sa particularité est que chaque comédien choisit son texte…
Jean-François Balmer : Le choix s’est fait en collaboration avec Didier Long et Véronique Deshaires, de l’Atelier. C’est-à-dire que Didier Long avait envie de travailler avec des acteurs et des actrices comme Sami Frey, Dominique Blanc, moi, et d’autres. C’est une manière, si vous voulez, de présenter les gens avec qui il a envie de travailler.
Mais alors pourquoi Un Candide à sa fenêtre de Régis Debray ?
Didier Long avait une idée de texte, une parmi d’autres : il m’avait parlé du Dernier jour du Condamné de Victor Hugo. Mais après quand j’ai compris que Dominique Blanc (qui est quand même une fantastique comédienne!) lisait Annie Ernaux et que Sami Frey allait lireLes Entretiens avec Sartre, je me suis dit : « Autant rester dans le vivant, le contemporain. »
J’aime beaucoup Régis Debray, sans bien le connaître. J’ai eu la chance de dire un de ses textes, Julien l’Apostat. Ce que j’aime beaucoup, c’est que c’est une écriture où on a le sentiment d’être toujours plus intelligent « après » mais évidemment, ça revient vite ! On retrouve vite son étiage ! (Rires)
J’apprécie son ironie, son humour, ce fantastique recul qu’il a sur les choses, qui est une singularité tout à fait exceptionnelle. C’est un homme qui a une vision tellement lointaine, de l’arrière à l’avant, qui fait que le présent le fait souvent un peu sourire.
Régis Debray se joue du présent, par exemple quand il utilise un texte qui paraît tout à fait de notre époque et date en fait du XIXème siècle !…
Ce qui est impressionnant avec Debray, c’est la culture dont il fait preuve, ce bagage culturel qu’il est.
Comment avez-vous préparé la lecture de ce texte ?
Ce n’est pas vraiment un travail en soi, c’est juste de la lecture. Pour le montage des textes à lire, Régis Debray a approuvé nos choix. Il a été très présent, très attentif : on a fait trois lectures devant lui et Didier Long et évidemment au début, on était trop long (on dépassait de trente à quarante-cinq minutes l’exercice). Or, il fallait que la lecture ne dure pas plus de 60 minutes. Une vraie difficulté avec un texte qui comptabilise 400 pages. Bref, sur scène, je n’en lis que 15 ou 16 chapitres. C’est quand même extrêmement réducteur. Je considère que mon contrat est réussi quand les gens ont envie de lire le texte en sortant.
J’ai choisi des textes à mon niveau, c’est-à-dire, à ma toute petite compréhension. Souvent, il y a eu des coupures, des allègements. Mais Régis Debray est tellement large d’esprit qu’il dit toujours : « Comme dit Malraux, il faut écrire avec des ciseaux ! »
Il a donc accepté toutes les coupures, les allègements. Il est toujours, dans sa « fausse modestie » ou dans sa « vraie » modestie, d’accord avec toutes les propositions et ça c’est quand même assez formidable !
Vous aviez déjà expérimenté la lecture au théâtre ?
Oui mais j’avoue que je n’aime pas trop ça, c’est-à-dire que je suis plus un comédien qui essaie d’incarner les personnages qu’un lecteur. Par exemple, Dominique Blanc, elle, lit d’une manière horizontale, assez rapide presque tout un livre. Elle donne l’essence, la substantifique moelle du livre en le lisant très vite mais sa lecture est très subtile.
Tandis que moi c’est autre chose : je préfère incarner. J’essaie déjà d’avoir un point de vue. C’est vrai que si je le lisais pendant un mois, je le jouerais parce que je préfère l’interprétation à la lecture.
Là, c’est très simple, il suffit de lire la partition. C’est très bien achalandé, on voit toujours clairement et rapidement l’humour et l’ironie.
Comment s’est passée votre collaboration avec Didier Long ?
Je ne le connaissais pas, mais je connaissais évidemment son travail. Je trouve qu’à travers ce théâtre, il a un lieu absolument magnifique et si d’aventure un jour, il me proposait un rôle… Comme je suis un montmartrois, le fait de venir au théâtre à pied, ce serait le rêve ! (rires)
Il n’y a plus beaucoup de théâtres dans Paris dans lesquels j’ai envie de jouer, à l’exception de l’Atelier. Je veux bien « condescendre à descendre » au Théâtre de l’Oeuvre…(rires).
Est-ce que pendant ce cycle de lectures, vous répétez encore ?
Non mais de temps en temps, je lis un texte. Je crois à la vertu du travail. On ne lit jamais assez. Hier je tournais mais aujourd’hui je vais relire mon texte. Ce que j’aime bien aussi dans ce cycle de lectures, c’est que c’est court. Il s‘agit de douze séances. Et là, il n’en reste plus que six ! Je me dis « merde, il faut essayer de profiter des six dernières ! »
J’aime bien lire pendant soixante minutes. L’horaire est très agréable. Le théâtre est formidable.
Est-ce que vous avez un petit rituel en venant au Théâtre de l’Atelier ?
Je viens très tôt. Mais la lecture n’a rien à avoir avec le jeu. Une heure avant, je suis dans ma loge pour une lecture. Quand je joue, c’est souvent un peu plus. Parce que d’abord, je veux être dans le quartier. Je veux absolument arriver à pied au théâtre, seul. Quand je fais des tournées, je demande à être logé dans un hôtel près du théâtre. Je préfère sacrifier le confort à la proximité. Je veux pouvoir arriver à pied au théâtre parce que quand vous dépendez d’un taxi, vous n’êtes jamais sûr…
En bref, vous avez toujours en tête la représentation du soir, même au début de la journée ?
Oui. Au théâtre, je l’ai toujours dit et ça a énervé beaucoup de gens : je suis content quand j’arrête ! Parce que le reste du temps, je suis très angoissé. Angoissé de décevoir, de ne pas être bon, etc. Et en général, quand on a fini dans les temps, c’est que ça s’est bien passé.
Le théâtre, c’est très angoissant et là je reconnais qu’on m’a tout proposé cette année. Mais j’ai tout refusé parce que je voudrais refaire du cinéma. Parce que pour moi, le cinéma, c’est l’idée de voyage, d’un jeu un peu différent et surtout c’est moins épuisant. Vous n’avez pas à vous remettre tous les jours dans les mêmes places de départ.
J’ai tourné récemment un film avec Zulawski, sur une chose très ambitieuse, « Cosmos » de Witold Gombrovicz, un auteur qui vient de Pologne comme Andrzej Zulawski, avec Sabine Azéma, Johann Libérau, Andy Gillet, Jonathan Genet et Victoria Guerra. C’était formidable ! Ça m’a redonné envie de faire du cinéma. Alors, évidemment, Zulawski, c’est un maître ! Et tous les gens ne sont pas à son niveau, forcément ! Si je n’ai aucune idée de ce que sera le film, Sabine Azéma était tellement formidable et Zulawski, tellement génial. Un vrai prince, un aristocrate. Dans la simplicité qu’il a. Une simplicité qui est à acquérir.
Bref, quand Didier Long m’a proposé ces lectures, entre Dominique Blanc et Sami Frey, je trouvais que c’était bien ! C’est une bénédiction que d’être dans ce Théâtre de l’Atelier !…
Entretien réalisé le 24 février 2015, au Théâtre de l’Atelier.
Les Lectures de L’Atelier Jean-François Balmer lit « Un Candide à sa fenêtre de Régis Debray » Théâtre de l’Atelier Du 17 février au 1er mars 2015