Entretien exclusif avec le comédien Rashid Debbouze
A vingt-six ans, Rashid Debbouze connaît bien les ficelles du show business. Car c’est dès l’âge de six ans, quand son frère Jamel est proclamé champion du monde d’improvisation théâtrale, qu’il commence à pénétrer cet étrange univers. Dix ans séparent les deux frères. Jamel l’aîné, initie son jeune frère au jeu, le faisant travailler d’abord en régie sur le film Hors-la-loi pour que Rashid se lance à corps perdu dans ce métier « pour les bonnes raisons ». Un jour, Jamel l’avertit que le réalisateur Philippe Faucon cherche à le contacter…
Comment Philippe Faucon vous a-t-il dirigé?
Philippe m’a très bien dirigé. Il est venu me présenter le scénario et on a discuté. J’appréhendais vraiment parce que d’une part, je n’avais jamais joué dans un film et d’autre part, je ne me sentais pas à la hauteur. C’est lui qui me disait comment sortir le sentiment, l’état de colère par exemple (les moments où je me prends vraiment la tête à chercher du travail). Il a vraiment été derrière moi sur ce film et c’est grâce à lui si ça a marché. C’est quelqu’un qui sait travailler avec des comédiens non confirmés. Il a l’habitude de ce genre de travail.
Comment avez-vous apprivoisé la caméra ?
J’ai toujours voulu « bouffer la caméra » (rires) parce qu’il faut savoir que j’ai ça dans l’âme. A un moment donné, quand je répétais mon spectacle, je ne savais pas ce que c’était que jouer devant une caméra mais je voulais vraiment le faire. Lors de la première scène qu’on a tourné à Marseille, c’était difficile. C’était la scène où on était tous dans une chicha. L’endoctrineur (Yassine Azzouz) me demandait si j’avais trouvé du travail – je lui répondais que non, je cherchais. Et il commençait à me parler de la société.
Ce n’est pas évident de jouer un personnage aussi intériorisé…
Oui mais il faut savoir que chaque scène, il faut la vivre. J’ai connu une coach qui me disait souvent: « quand tu te retrouves devant une caméra, il ne faut pas jouer… Il faut jouer! » C’est sur le tournage que j’ai compris vraiment ce qu’elle voulait dire. Il faut vivre la scène, se dire que ça nous arrive vraiment.
Comment s’est passé le travail avec les autres comédiens ?
Quand je parlais de cette première scène difficile à jouer, vu qu’on était cadré comme des portraits, il y avait Yassine qui gardait son téléphone sur la table, tout en continuant de jouer. Je voyais ainsi qu’il était à l’aise, qu’il connaissait le métier, un vrai bosseur. Mais curieusement, j’étais plus à l’aise en jouant avec l’actrice qui incarnait ma mère et celle qui jouait ma sœur parce qu’elles vivaient la même chose que moi. Elles jouaient dans un vrai rapport naturel. C’était la première fois qu’elles venaient sur un plateau de tournage. Avec les autres comédiens, c’était un bon échange de texte. Ils savaient mettre à l’aise. Ce qui s’est passé sur ce tournage, c’est une excellente expérience, quelque-chose de très fort.
Que retenez-vous de cette expérience pour un prochain film ?
Le sens de l’échange. Ce dont m’avait parlé ma coach, Julie Vilmont. J’apprends sur le tas avec une hâte de remettre ça sur un prochain tournage. J’espère acquérir de l’expérience et pouvoir jouer comme Yassine, c’est-à-dire poser mon téléphone sur la table, etc… (rires)
Par rapport à votre personnage d ans le film, comment comprenez-vous la colère qui l’habite ?
J’ai grandi à Trappes où il y a beaucoup de musulmans. Je connais des gens dont aujourd’hui je n’ai plus de nouvelles parce qu’ils sont partis. Ils ont été entraînés dans cette mouvance, c’est sûr. Certains en sont revenus, par ailleurs. Par peur. Mais des kamikazes, il y en a partout. Aujourd’hui ça existe, qu’on soit musulman, juif ou chrétien. Il y a du terrorisme concocté par une minorité de gens qui font la guerre contre eux-mêmes, qui n’acceptent pas la « joie de vivre. » Ils ont besoin de s’embrouiller, de se créer des problèmes.
Comment vous positionnez-vous par rapport à la religion ? Est-elle vraiment nécessaire pour la société?
Aujourd’hui, il y a d’autant plus de personnes qui subissent ça qu’il y en a qui vont au front. On parle souvent de « djihad », or sa vraie définition est de « combattre ses démons », ce n’est pas aller à la guerre littéralement.
J’ai grandi dans la religion musulmane et il y avait une histoire que j’entendais souvent. Le prophète quand il habitait chez lui, tous les matins, trouvait une poubelle du voisin devant sa porte. Il n’en tenait pas compte, il prenait la poubelle et allait la jeter. Au bout d’un moment, le voisin ne venait plus jeter ses poubelles. Le prophète s’est dit: mon voisin doit avoir un souci puisqu’il ne jette plus sa poubelle à ma porte. Il est parti le voir et effectivement son voisin était extrêmement malade à ce moment-là. Et il l’a aidé. Religieusement parlant, c’est quelque chose de saint. « Iqhara », c’est le Coran et ça veut dire « lire » en français. Le sens de la religion, c’est la découverte.
Donc il faut qu’on arrête à un moment donné de mélanger religion et politique. Ce qui amène aussi à une conclusion fausse: le musulman est intégriste.
Avez-vous pu discuter de votre rôle avec votre frère Jamel ?
Non, pas vraiment. C’était surtout avec Philippe Faucon. Jamel m’a plus aidé à gérer mon stress, à apprendre mon texte, rentrer dans la peau du personnage, garder les pieds sur terre. Après, j’ai vu pas mal de choses très tôt dans ce milieu du show business. Je connais le système de l’intérieur.
Pouvez-vous nous parler un peu de votre one man show ?
Il y a deux sujets que j’aborde dans mon spectacle: c’est d’abord l’utilisation du vocabulaire très français par nos parents qui ont émigré en France, et qui a déteint sur nous. Par exemple, ma mère toute ma vie, pour désigner du « fromage râpé », me disait « formage rapide » (rires). Il m’a fallu du moment pour comprendre ce qu’elle voulait parce que je courais et je lui ramenais du fromage, n’importe lequel et elle me disait: « mais non, ce n’est pas ça! »
Je parle de ça, du fait que si on demande à mes parents de s’intégrer, ce n’est pas un souci parce qu’ils viennent d’un nouveau pays : ils apprennent, ils découvrent. Je me souviens que pour prendre le métro autrefois, mes parents avaient des pois chiches dans la main pour savoir combien de stations de métro, il leur restait à parcourir. Ils ont essayé de faire du mieux qu’ils pouvaient, avec ce qu’ils avaient.
Je parle aussi des avantages et des inconvénients de porter un nom célèbre. C’est un spectacle très personnel. Quand je suis sur scène, c’est comme si j’étais dans mon salon et que j’échangeais avec quelqu’un de ma famille.
Entretien réalisé par Laetitia Heurteau à Paris en janvier 2012.