Entretien avec le réalisateur de Mon Garçon, Christian Carion

Quel bonheur pour moi que celui de retrouver le réalisateur Christian Carion (Une Hirondelle a fait le printemps, Joyeux Noël…) dix ans après l’avoir rencontré en festivals et de jouer cette fois-ci chacun aux rôles d’intervieweur et d’interviewé, en plein junket parisien avec l’équipe de Mon Garçon (pour lire ma critique du film => rendez-vous ici !) .

L’écueil numéro 1 de ton film qui traite de l’enlèvement d’un enfant était le voyeurisme…

Face à sujet difficile, on n’avait pas envie, en effet, de tomber dans le côté lacrymal.

Avec ma caméra, je me colle à Guillaume Canet et je ne le lâche plus. Au début, il arrive dans le film, très froid. Il questionne, pose ses affaires, et j’adore ça parce qu’en fait, il se protège. Par exemple, il ne rentre pas dans le tipi (lieu de la disparition de l’enfant, ndlr). Elle, sa femme (Mélanie Laurent) est effondrée. Lui ne se laisse pas entamé. Il reçoit, il encaisse. Et soudain, arrive ce moment à la gendarmerie, que j’aime beaucoup, où il a répondu aux questions; il est là, on sent que c’est compliqué mais il tient. Et à un moment donné, le flic lui dit: « On aura besoin de vous pour retrouver votre fils ». Et là, comme le dit lui-même Guillaume, « C’est monté en moi ! ». Derrière la façade « Je pose des questions intelligentes », il y a une vraie émotion.

Le travail qu’a fait Guillaume de se protéger de ça, fait qu’on ne tombe pas dans le voyeurisme. C’est là et à un moment donné, ça le submerge. Il ne part pas dans un truc lacrymal mais dans une espèce de violence animale parce qu’il craque. Il fait des choses pour  » de bonnes raisons ». Mais ça, c’est un autre débat dans le film !

Guillaume Canet le dit lui-même, c’est un instinctif dans sa façon d’aborder les rôles ; il pense souvent à un animal précis pour incarner son personnage. Comment t’es-tu servi de ça ?

Il m’en avait effectivement déjà parlé mais ici il ne pouvait pas le mettre en pratique, tout simplement parce que l’animal c’était lui. Un animal fou, un chien qui part à la recherche, flaire une piste et fonce. Son instinct, c’est au tournage que nous l’avons découvert. C’était le principe-même du film. C’était totalement de l’impro. Tout ce qu’il dit, je ne l’ai jamais écrit.

En tant que comédien, il avait juste avec lui quatre pages sur son personnage: ses parents, ses études, où est-il né, comment il a rencontré sa femme, leur histoire, l’arrivée du petit, pourquoi ils ont divorcé… Tout ce parcours-là, on s’en est servi un petit peu. Mais en fait, dans la pratique, on l’a provoqué, on l’a poussé dans une direction pour regarder ce qu’il allait faire. Et après c’est son jeu qui fait le reste.

Comment les autres se sont préparés, de leur côté, à leurs rôles ?

On a pris deux semaines pour répéter avec tous les acteurs sauf Guillaume, bien sûr. On avait un acteur qui jouait le personnage de Guillaume. Mais lui, il interprétait le scénario prévu pour cette étape. Il n’y avait pas de surprises mais ce n’était pas grave. Ça permettait quand même aux acteurs de se chauffer, d’avoir des discussions sur les intentions. Ça permettait surtout à l’équipe technique  de prendre ses repères dans des décors. On a répété dans les vrais décors. Ensuite, comme l’a dit Mélanie Laurent : « Maintenant qu’est-ce qu’on fait, s’il fait ça ? » Mélanie disait : « C’est la double peine ! Il faut que je défende ce que tu as écrit sur mon personnage et en même temps, il faut que je fasse en sorte que Guillaume aille dans la direction que tu as voulue. » Je lui ai répondu que c’était de la manipulation ni plus ni moins, on allait tous manipuler Guillaume !

« Pour moi, le sujet c’est surtout comment quelqu’un de bien éduqué, de normal, bascule dans quelque chose d’animal. »

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Est-ce que dans l’écriture, tu as fait des recherches spécifiques concernant l’enlèvement d’enfant ?

J’ai vu effectivement tout ce travail fait sur les opérations « Alerte Enlèvement. » D’ailleurs on a reconstitué justement une opération semblable pour ce petit garçon dans le film. J’ai rencontré après avoir lu son bouquin, Karl Zéro sur ces histoires de rapt d’enfants. Je me suis immergé un peu dans tout ça et après je me suis dit qu’au fond pour moi, ça n’était pas le sujet du film.

L’enfant, il est là mais il est hors-champ. C’est son absence qui est mise en lumière mais il ne faut pas trop s’engouffrer là-dedans. Le seul souvenir qu’a Guillaume de lui dans le film, ce sont ces vidéos de l’enfant qu’il partage avec le spectateur. Il se prend les dernières semaines du gamin dans la figure.

Pour moi, le sujet c’est surtout comment quelqu’un de bien éduqué, de normal, bascule dans quelque chose d’animal. Je pense sincèrement qu’on a tous un risque en nous de virer comme lui. Et c’est ce cheminement là que je voulais voir. Le film ne juge pas. Il voit, il constate, il enregistre. Et après, à la fin, il a sa morale parce que le personnage de Guillaume va quand même payer sa dette à la société. Ce n’est pas blanc, ce n’est pas noir, c’est plus compliqué…

La nature aussi est très importante dans cette histoire…

Bien sûr, je voulais depuis le début tourner sur le plateau du Vercors parce que j’ai toujours pensé que c’était le bon endroit pour amener une ambiance particulière. J’ai eu beaucoup de chance parce que la météo a joué en notre faveur. Le fait qu’il neige trois jours avant le tournage, ça a tout changé.

Ce n’est pas trop compliqué de diriger deux équipes techniques en même temps ?

Non, parce qu’on avait bien répété en amont et défini l’espace de jeu de chacun. Et après c’était une machine, il fallait s’y tenir. Je me souviens encore des mecs du son avec leur calepin. Je leur dis : « mais qu’est-ce que vous faites ? » – Ben on dessine nos positions. Je leur réponds : « Mais attention, Guillaume, qu’est-ce qu’il va faire ? Ils me répondent : « On s’adaptera ». Et ils ont passé leurs temps, comme nous tous, à s’adapter à ce que Guillaume allait faire.

« Ce film, c’est comme l’huile d’olive et sa première pression à froid, c’est-à-dire pour nous, la première prise ! »

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Combien de temps cela t’a pris pour écrire le scénario et la production ?

Pas beaucoup. J’ai écrit le scénario avec Laure Irmann, en deux mois. Ce qui est génial dans ce projet c’est qu’on écrit le film en mai-juin 2016; Christophe Rossignon commence à voir des partenaires pendant l’été. Fin septembre, on les a trouvés et contractualisés. Et donc, on m’annonce : « Tu peux tourner début novembre. Ecrire un film en mai et le tourner en novembre, c’est très rare ! C’est génial ! C’est possible parce que ça coûte très peu et qu’on est libre.

C’est quelque chose qui diffère complètement des autres films dans lesquels tu t’es investi ?

Effectivement et c’est normal, on ne peut pas faire Joyeux Noël comme Mon Garçon. Pour Joyeux Noël, il fallait reconstituer des tranchées. On rentre dans des cahiers des charges qui sont nécessaires et qui font que forcément, c’est un autre cinéma. Après je n’ai pas le recul pour me dire comment évolue mon travail, etc. Je ne suis pas dans cette réflexion-là. J’essaie d’être honnête avec chacun de mes projets et de me dire comment je veux rendre le film le meilleur possible. Mon Garçon, c’était ce pari. On ne saura jamais parce qu’on ne l’a pas fait autrement. Mais je ne pense pas qu’on aurait obtenu une émotion, une incarnation de Guillaume aussi intense par le biais d’un traitement normal.

Faire ce film, c’est « presser » au maximum (scénario, production, interprètes). C’est bien ça son état d’esprit ?

Comme je le dis aussi c’est comme pour l’huile d’olive et sa première pression à froid, c’est-à-dire la première prise pour nous. C’est le nectar de tout ça. Est-ce qu’on a récolté le meilleur nectar ? Pour moi, oui. On a eu raison de prendre ces risques-là, pour ce film-là.

Christophe Rossignon mais aussi Guillaume Canet sont des gens que tu connais particulièrement bien dans le travail…

Guillaume, c’est le seul acteur que je connais aussi bien. Des acteurs capables de jouer ce rôle, heureusement il y en a d’autres ! Mais ça aurait été un autre film. Enfin bon, j’ai pu le faire parce qu’il m’aimait bien, avait confiance dans mon travail. Et ça l’excitait de jouer dans une situation comme celle-là. J’ai moi-même confiance dans son talent. Finalement, le maître mot de tout ça, c’est la confiance réciproque.

Sinon, je crois beaucoup en l’expérience qu’apporte chaque film. J’ai beaucoup appris avec Mon Garçon. Notamment à me faire plus confiance. Je suis super content d’être allé jusqu’au bout de mon idée. Et je vois qu’avec les gens qui ont vu le film, ça fonctionne. On a eu peu de retours négatifs. Ça fait super plaisir et ça m’apporte de la confiance en moi. C’est déjà beaucoup, la confiance !

Merci à l’intéressé et à Gregory Malheiro pour avoir organisé cette rencontre !

Crédits photos: 1/ Portrait de Christian Carion (droits réservés) - 2/ Photos du film (Nord Ouest Productions).

2 Comments

  • Delaleu Anne

    Une nouvelle façon d’aborder un personnage, un rôle, une histoire, il faut avoir confiance en l’autre. Intéressant portrait !

    • Laetitia Heurteau

      Merci, Anne !

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