La fin d’une époque
La Cerisaie, dernière pièce de Tchekhov, est mise en scène en ce moment par Clément Hervieu-Léger, salle Richelieu. Un spectacle très attendu en cette fin d’année au Français.
Il y a toujours une forme de fidélité et de continuité dans le travail de Clément Hervieu-Léger. Fidélité à la fois, auprès de ses comédiens, de ses techniciens mais aussi dans sa façon de concevoir le récit, d’une mise en scène à une autre, autour d’un lieu « de passage », par définition, en perpétuel mouvement.
De Molière (La Critique de l’Ecole des Femmes, Le Misanthrope) à Marivaux (Le Petit Maître-corrigé), en passant par Frank Wedekind (L’Eveil du Printemps), le comédien et metteur en scène n’a pas peur d’affronter les « grands » du théâtre classique qu’il reconnecte à sa propre histoire, à son propre ressenti. Et une fois de plus, ici, comédiens, costumes et décors traduisent à merveille sa lecture vivante de l’œuvre testamentaire de Tchekhov.
A savoir le récit de la fin d’une époque, au début du XXème siècle, dans cette grande maison russe qui ne va pas tarder à être vendue.
Tandis que tout un pan de vie sociale s’apprête à s’effondrer, les conversations battent leur plein. Passé, présent et évocation du futur s’entremêlent, à travers des échanges aussi nombreux et aussi inconséquents que les personnages sur scène. Le ton est faussement léger, faussement dramatique.
Les chaises trop petites de l’enfance
Personne n’écoute vraiment l’autre, et pourtant beaucoup de choses sont dites. C’est toute la force du théâtre de Tchekhov et toute sa difficulté aussi à faire vivre sur le plateau.
Ainsi toute une galerie savoureuse de personnages, aux ambitions diverses et variées s’agite sur scène. A leur tête, Gaev (Eric Génovèse), et Lioubov (Florence Viala), totalement déconnectés de la réalité, tout comme leurs proches, plaisantent sans cesse, ne prêtant pas de réelle importance à la vente, ni au fait de trouver des solutions pour l’éviter.
Au grand dam du pragmatique et brasseur de vent, Lopakhine (Loïc Corbery, tout en mouvement et sensibilité), ce marchand « nouveau riche », petit-fils de moujik, désespéré de ne pas gagner enfin la reconnaissance de Lioubov et de sa famille.
Un superbe décor en bois vert en deux parties, fidèle à l’univers des grandes datchas russes de la fin du XIXème siècle, s’ouvre sur l’extérieur puis se laisse entrouvrir, dévoilant l’intimité de « La Cerisaie », cette propriété, âme d’une famille et de tous ces gens qui la fréquentent. Des grands panneaux de tableaux russes viennent également illustrer l’âme champêtre et immémoriale des lieux.
Les personnages font parfois salon dans la chambre d’enfants, et ces chaises trop petites incarnent parfaitement ces rêveries du passé, aussi attendries que fugaces.
Incarnant dans sa folle énergie, comme dans ses profondes fêlures, cette âme russe du tout début du XXème siècle, toute la troupe du Français est ici engagée, du plus petit au plus grand rôle, à tendre au spectateur du siècle suivant, cet étrange miroir tchekhovien plus net et étincelant que jamais.
La Cerisaie D'Anton Tchekhov Mise en scène de Clément Hervieu-Léger Avec Michel Favory, Véronique Vella en alternance avec Julie Sicard, Éric Génovèse, Florence Viala, Loïc Corbery, Nicolas Lormeau, Adeline d’Hermy, Jérémy Lopez, Sébastien Pouderoux, Anna Cervinka, Rebecca Marder, Julien Frison, et les comédiens de l’académie de la Comédie-Française Vianney Arcel, Robin Azéma, Jérémy Berthoud, Héloïse Cholley, Fanny Joufroy, Emma Laristan. Du 13 novembre 2021 au 6 février 2022, salle Richelieu. Crédits photo : Brigitte Enguérand, Comédie-Française. Réservation : Site de la Comédie Française