Pierre Arditi : C’est « Moi » qui joue « Lui »
Ce soir-là, quand je frappe à la porte de l’une des loges du Théâtre Hébertot, c’est un grand Monsieur du théâtre qui m’attends et je suis, bien sûr, toute fébrile. Il s’appelle Pierre Arditi et joue actuellement aux côtés de Ludmila Mikael dans Le Prix de Cyril Gély, mise en scène par Tristan Petitgirard. C’est un homme pétillant que je découvre, passionnant et passionné, l’humour et la classe à la boutonnière.
POURQUOI AVOIR CHOISI DE JOUER DANS CETTE PIECE ?
J’ai trouvé la pièce intéressante, bien sûr, mais pour être tout à fait honnête, ce qui m’a le plus engagé, c’était de jouer enfin au théâtre avec Ludmila Mikael que je connais depuis très longtemps.
Cela faisait 35 ans qu’on cherchait une pièce à jouer ensemble et celle-ci m’a parue être la bonne. Nous jouons deux personnages tout à fait antagonistes et je crois que nos richesses respectives, surtout la sienne d’ailleurs, un peu de la mienne aussi, se marient magnifiquement pour tracer l’histoire de cet homme qui va recevoir le prix Nobel, et pour elle qui ne le recevra pas. Lise Meitner fait donc partie de ces femmes oubliées de l’Histoire dont il n’est pas absolument inutile d’en rappeler l’existence et le combat.

Pierre Arditi et Ludmila Mikael, Le Prix de Cyril Gély, Théâtre Hébertot, Mise en scène de Tristan Petitgirard – Crédits photo : Bernard Richebé
COMMENT ABORDEZ-VOUS VOTRE PERSONNAGE ?
Oui c’est toujours étrange d’incarner quelqu’un qui a vraiment existé. Otto Hahn, je ne l’ai pas connu, ni rencontré vivant donc je me suis surtout fié à ce que l’auteur Cyril Gély en raconte.
Quand on s’empare d’un personnage et quand on est un vieux crabe comme moi, avec 60 ans de bouteille, on travaille surtout avec son vécu. Je ne crois pas au dédoublement de l’acteur. C’est « Moi » qui joue « Lui ».
Et c’est délicieux parce que « moi », comme dirait l’autre tout à fait modeste (rires), j’espère être infini, c’est-à-dire n’être jamais arrivé au bout de ce que je suis capable de faire et d’être. Et ici, je me sers de Otto Hahn pour parler aussi de moi, et sous un aspect, ici, qui n’est pas totalement à mon avantage…
QU’ATTENDEZ-VOUS AUJOURD’HUI D’UN METTEUR EN SCENE ?
La mise en scène, évidemment, c’est capital.
En l’occurrence pour « Le Prix », Tristan Petitgirard a été adorable avec moi et très patient parce j’ai mis plus de temps que prévu à apprendre le texte. Et cela m’a retardé dans mon travail et lui dans sa mise en scène.
Ensuite, ce que j’attends d’un metteur en scène, c’est qu’il en sache plus que moi. Et c’est le cas de Tristan. Il doit avoir une véritable vision du texte, de l’histoire et des personnages. Et je lui ai accordé ma confiance tout simplement parce qu’il me faisait aller dans des zones où je n’étais pas habitué à aller. C’était donc tout cela que j’attendais de lui et il l’a fait encore mieux que je ne pouvais l’imaginer.
Et au fond, je lui dois beaucoup parce que tout seul, je suis certain que je n’y serai pas arrivé.

Pierre Arditi et Ludmila Mikael, Le Prix de Cyril Gély, Théâtre Hébertot, Mise en scène de Tristan Petitgirard – Crédits photo : Bernard Richebé
QUE RESSENTEZ-VOUS SUR SCENE CHAQUE SOIR FACE A LUDMILA MIKAEL ?
Qu’est-ce qui se passe avec Ludmila quand je suis en scène avec elle ? Eh bien d’abord, elle possède une telle intensité y compris de jeu et y compris quand elle ne parle pas, qu’ il y a quelque chose dans ses yeux d’absolument bouleversant.
C’est dans ses yeux que je me plonge à l’infini parce que c’est là, au fond, que je trouve mon inspiration : soit pour devenir d’une cruauté épouvantable, soit pour devenir un attendri merveilleux, peu importe. En me regardant simplement, elle joue magnifiquement et m’aide à jouer le mieux possible. C’est une grande actrice, je suis un acteur honorable : nous nous marions très bien !
QUE SE PASSE-T’IL QUAND VOUS ARRIVEZ AU THEATRE HEBERTOT ?
D’abord je reviens sur les lieux de mes crimes car j’y ai joué en 1991, avec mon ami Bernard Murat Idée fixe de Paul Valéry.
Ensuite, comme tous les acteurs, j’ai des tics.
Alors, j’arrive, je rentre dans ma loge. J’allume les lumières, d’abord la petite de l’entrée ensuite celle de la rampe. Puis je m’assieds. Je regarde le bordel qu’il y a sur ma tablette mais c’est normal car c’est ma vie. Ensuite, je me fais un café et j’attends un petit peu. Et si j’ai un peu plus de temps devant moi, je vais rêver, je vais penser ou peut-être donner un coup de fil. Comme ce soir où vous m’avez demandé de venir en avance…
Et puis je me prépare doucement, et dans le désordre, à entrer dans un ordre différent qui est celui de mon personnage. C’est-à-dire de moi-même, toujours, car je suis incapable de penser à autre chose qu’à moi-même, vous le comprenez bien… (Rires)
Et donc en général, je m’habille par étape : je commence par mettre mes chaussures au lieu de mettre le costume, selon mes humeurs. Toutes ces petites choses totalement insignifiantes sont pourtant capitales pour moi puisque, c’est de cette manière-là, que je peux entrer au théâtre c’est-à-dire entrer en vie.
Propos recueillis en mars 2025, au Théâtre Hébertot. Un grand remerciement à Pierre Arditi et à toute l’équipe du Théâtre.
✨LE PRIX✨ Une pièce de Cyril Gély Mise en scène : Tristan Petitgirard Avec Pierre Arditi, Ludmila Mikael, Clara Borras et Emmanuel Gaury Théâtre Hébertot jusqu'au 27 avril 2025. Plus d'informations ici ! ou par téléphone au 01 43 87 23 23