Jean-Loup Hubert, cinéaste de cœur

« Générosité ». Ce mot pourrait à lui seul résumer Jean-Loup Hubert.

Celle qui lui fait accepter sans hésiter ma demande d’interview via Facebook, m’accueillir chez lui, m’accorder du temps, en partageant le plus naturellement du monde, anecdotes et photos-souvenirs issues de ses albums personnels, avec humour et émotion.

Celle qui le fait diriger les plus grands acteurs (Isabelle Adjani, Catherine Deneuve, Jean Carmet, Richard Bohringer, Bernard Giraudeau, Guillaume Depardieu…) comme ses propres enfants avec la même attention et la même exigence.

Celle, enfin et surtout, qui permet au réalisateur du Grand Chemin de se livrer pleinement dans tous ses films avec pudeur et sincérité.

A ce propos, il y une phrase de Kessel qui résonne pleinement ici, selon moi, avec la démarche d’artiste de Jean-Loup Hubert, qu’il s’agisse de ses récits, de ses dessins ou de ses films :

« Il n’est point de romancier (nous dirions ici cinéaste, ndlr) qui ne distribue ses nerfs et son sang à ses créatures, qui ne les fasse héritières de ses sentiments, de ses instincts, de ses pensées, de ses vues sur le monde et sur les hommes. C’est là sa véritable autobiographie. »

« D’abord, je tiens à dire que je suis à 100% autodidacte. »  C’est ainsi que démarre notre entretien à bâtons rompus de plus d’une heure et demie.

Jean-Loup Hubert évoque ici pêle-mêle son enfance de grand rêveur cancre à Nantes, les nombreuses absences de son père ainsi que l’influence de sa mère déterminante (« quelqu’un qui avait un réel talent d’écriture et de dessin ») dans la formation de sa propre identité d’artiste. Cette dernière lui inspirera le personnage central du film La Reine Blanche (1991), incarné à l’écran par Catherine Deneuve.

Catherine Deneuve sur le tournage de "La Reine Blanche" (1991)

Catherine Deneuve sur le tournage de « La Reine Blanche » (1991) – coll. privée

Son premier amour le pousse à « monter » à Paris dès l’âge de dix-sept ans pour devenir « un grand écrivain ». Il raconte justement cette rencontre bouleversante dans son film A cause d’elle (1993) où son fils Antoine joue son propre rôle. « Le premier sentiment amoureux naissant, le premier baiser, le simple fait de frôler sa main, c’était pour moi, en soi, une forme de révolution totale d’émotion. »

De nombreux manuscrits refusés plus tard, il deviendra… dessinateur de presse !

« Ce qui m’a marqué le plus, c’est la première fois que mon dessin a été publié. La veille, je n’en ai pas dormi de la nuit. Et comme c’était imprimé dans un quotidien, il a bien fallu que j’en fasse d’autres (rires) et c’est comme ça que je suis devenu dessinateur avant même de filmer. »

Cette activité de dessinateur de presse, il l’exercera toute sa vie.

Avec humour et une pointe de nostalgie, il évoque aussi l’époque de cette France post-68 où il crée avec un groupe d’amis anarchistes une revue iconoclaste qui sera saisie par la préfecture de police dès le jour de sa parution, et cela deux mois de suite : « Cela aurait pu s’arrêter là, or dans le groupe, s’est greffé une jeune fille plutôt mignonne qui a apporté un scénario à lire. C’était Diabolo menthe de Diane Kurys. »

Les complices de toujours, Jean-Claude Fleury et Serge Laski créent pour l’occasion, la société de production Les Films de l’Alma qui va alors enchaîner les succès. Après Diabolo menthe (1977), en effet, c’est Le coup de sirocco (1979) qui lance en même temps la carrière d’Alexandre Arcady.

Jean-Loup Hubert et Isabelle Adjani sur le tournage de "L'Année prochaine... si tout va bien" (1981)

Jean-Loup Hubert et Isabelle Adjani sur le tournage de « L’Année prochaine… si tout va bien » (1981) – coll. privée

Ceux qui s’étaient ainsi improvisés producteurs veulent alors voir plus grand et commandent à Jean-Loup Hubert une comédie avec des « têtes d’affiche ».

« Toi qui écris des scénarios de BD, tu ne voudrais pas nous écrire un film pour Guy Bedos et Marlène Jobert ? » demande ainsi un jour Jean-Claude Fleury à celui qui n’est pas encore cinéaste.

« Bonsoir, c’est Isabelle Adjani, je souhaiterais vous rencontrer. »

« A l’époque, je vivais avec ma première femme, Christine, la mère de mes enfants, bardée de diplômes, travaillant à l’INSEE et issue d’un milieu social totalement différent du mien, c’est-à-dire plutôt « catho tradi ». J’avais 24 ans et je me suis inspiré de ce que je vivais alors avec elle dans l’écriture de mon premier scénario Demain, si tout va bien. Pas de chance, il n’a pas intéressé les acteurs pressentis et il est reparti direct dans les cartons. Quant à moi, je suis retourné à mes « Mickeys » (Rires).

Avec Claude Laski, Jean-Loup Hubert était resté proche : « Un jour, je ne sais pas pourquoi, je me mets à ranger mon bureau et retombe sur le script. Je le relis, ne le trouvant pas si mal que ça, je le lui fais relire et il me pousse à l’envoyer à l’agent d’Adjani. « Ça te coûtera juste une impression, une enveloppe et un timbre ! Ça vaut la peine d’essayer, non ? ». Il se rend ainsi chez Artmedia, plein de trac et d’appréhension et dépose le scénario à l’accueil.

Trois semaines se passent sans nouvelles. Un soir, Jean-Loup Hubert reçoit l’appel d’un assistant du grand patron d’Artmedia, Gérard Leibovici qui accepte de le recevoir dans son bureau quelques jours plus tard.

La scène ne dure que quelques minutes à peine : « Ce scénario est intéressant, nous allons le donner à lire à Isabelle Adjani. » Totalement ébahi par cette nouvelle et ayant en même temps du mal à la croire, Jean-Loup Hubert, jeune papa occupé, retourne à ses compotes et biberons. A 20h, un soir, coup de téléphone de… Isabelle Adjani : « Bonsoir, c’est Isabelle Adjani, je souhaiterais vous rencontrer. »

Ainsi démarre en fanfare la carrière du scénariste et réalisateur, à l’âge de 30 ans à peine. Car à la question d’Adjani : « Vous avez pensé à qui comme réalisateur ? Il botte en touche : « Eh bien, moi, en fait ! »

Ce gros coup de poker va lui permettre ainsi par la suite de toujours signer ses films par l’écriture, la réalisation et le montage. « Et donc voilà, je me suis retrouvé bombardé réalisateur du jour au lendemain, alors que je continuais à travailler pour Josette Fleury avec mes petits dessins pour les lecteurs de 15 ans et ceux de Formule 1 ! » (Rires).

Les films de Jean-Loup Hubert ont souvent en commun de sonder l’âme féminine avec beaucoup d’émotion et de nuances. Pourquoi ne pas continuer ainsi sur sa lancée ? Après la sortie de son premier film avec Isabelle Adjani et Thierry Lhermitte, c’est à une autre actrice pleine de panache à qui il offre le rôle-titre de La Smala qui sort en salles en 1984, Josiane Balasko.

Un mari cocu, une aide-ménagère dégourdie, deux jumeaux à l’ascendance douteuse, une petite sœur adorable qui répète les insultes des grands, une grande sœur responsable – ou presque… Voilà une famille fauchée qui nous embarque dans un road-trip chaotique en camionnette, de Lyon à Paris, entre Little Miss Sunshine et Le père Noël est une ordure.

Celui qui concède une imagination débordante écrit La Smala en vingt jours et Le Grand Chemin en… un mois et demi ! « Dans les embouteillages, sur l’autoroute, durant une nuit d’insomnie, ce sont les personnages qui déboulent sur moi et c’est eux qui choisissent mon sujet, mes dialogues ! », constate le scénariste, amusé.

Antoine Hubert et Vanessa Guedj, "Le Grand Chemin" (1987)

Antoine Hubert et Vanessa Guedj, « Le Grand Chemin » (1987)  © Mission Distribution Cinema

Comme le jeune héros, incarné pour la première fois à l’écran par son fils Antoine, il a été envoyé lui-même à l’âge de neuf ans en vacances chez un couple de fermiers dans la Bretagne des années 1950, Pelo (Richard Bohringer) et Marcelle (Anémone), alors que sa mère enceinte devait accoucher à Paris. Dans ce village paisible, comme le jeune Louis du grand écran, il découvre une nouvelle vie, loin de la ville, et se lie d’amitié avec Martine, une fillette débrouillarde et aventureuse de son âge.

Le film aborde avec délicatesse les thèmes de l’enfance, du deuil et de la transmission. Et touche en plein cœur le public.

« Le film est resté un an à Paris à l’affiche. Un an ! Quand on y pense à présent… Il a reçu trois César (« meilleure actrice », « meilleur acteur » et « meilleur montage ») Et fait le tour du monde des prix (y compris en Union soviétique). Disney en a fait même un remake… Mais je vous déconseille vivement de le voir ! » (Rires)

« C’est à Antoine que je dois l’immense succès du Grand Chemin », ajoute non sans une pointe de fierté le cinéaste. « Avec ses petites guiboles, introverti et timide, je m’avais sous mes yeux !» (Rires). L’intéressé ne lui dit pas « oui » tout de suite. L’été, les vacances, pour le gamin, c’est sacré. Mais voyant une ribambelle de jeunes garçons ne cesser de défiler chez son père pour le casting, il finit par changer d’avis et accepter.

A partir de ce film, il va faire jouer régulièrement ses enfants (Antoine et Julien dans les films suivants, à l’exception de Marthe ; et sa fille Pauline dans La Reine Blanche et Marthe). « Un moment particulièrement privilégié avec mes moutards que de les filmer ! »

 Dans mes films, c’est ma vision à moi dont il est question.

La signature de Jean-Loup Hubert, c’est aussi l’importance qu’il accorde à la musique et au montage. S’il est souvent fidèle envers ses comédiens, il choisit de ne pas l’être auprès de ses compositeurs.

« La musique est très importante dans mes films car elle doit traduire chaque fois au mieux leur singularité respective. Notez que pour Marthe (1997), je n’ai fait appel à aucun compositeur vivant. Car je tenais mordicus à utiliser le travail de compositeurs ayant vécu la Grande Guerre et c’est ainsi que j’ai négocié âprement avec les ayants-droits pour utiliser les merveilleux morceaux de Max Bruch et Dmitri Chostakovitch ».

Au sujet du montage, Jean-Loup Hubert défend ici bec et ongles son importance dans le processus de création de ses films : « Je monte moi-même mes films. Je suis de 10h00 du matin à 10h00 du soir avec ma monteuse. Je l’écoute mais c’est ma vision à moi dont il est question. Il n’y a pas un raccord que je n’ai voulu discuter. Je n’imagine même pas qu’un autre regard puisse choisir à ma place. Et j’ai connu les deux époques, l’argentique et le numérique ! »

On en profite alors pour le féliciter sur la superbe photographie et direction d’acteurs de Marthe ou la Promesse du jour (1997), drame historique qui se déroule pendant la Première Guerre mondiale, inspirée de la propre vie de sa grand-mère.

Jean-Loup Hubert sur le tournage de "Marthe" (1997) - coll. privée

Jean-Loup Hubert sur le tournage de « Marthe » (1997) – coll. privée

L’histoire suit Simon (bouleversant Guillaume Depardieu), un jeune soldat blessé dans les tranchées, qui est transféré dans un hôpital militaire situé sur une presqu’île isolée. Là-bas, il rencontre Marthe (Clotilde Courau, lumineuse), une institutrice, et tombe profondément amoureux d’elle.

Dans cet endroit hors du temps, loin du chaos de la guerre, les soldats convalescents retrouvent un semblant de vie et d’espoir. Mais ce répit est de courte durée, car Simon doit retourner au front, sans savoir s’il reverra Marthe.

« A l’écran Guillaume Depardieu est un ange mais dans la vie, c’est surtout un ange qui souffre. » Et j’ai dû composer avec ça, chaque jour du tournage. « Le matin, il était divin d’intelligence, d’intensité de jeu et de poésie, mais une fois rentré dans sa caravane lors de la pause déjeuner, il se shootait à l’héro et on le récupérait, le regard éteint et le visage comme défiguré. »

Marthe est un tour de force de réalisation (les scènes de combat ont réellement été tournées à Verdun), de mise en scène, de jeu, de photographie et de musique. Le cinéaste y a mis toute son âme. Et je le répète encore ici, moi-même j’ai été bouleversée par ce film.

Pourtant pressenti pour représenter la France aux Oscars, le film est tué quasiment dans l’œuf quand le regretté Guillaume Depardieu, interviewé un soir de JT sur France 2, la veille de sa sortie en salles, perd pied.

Echec cuisant auprès du public, il disparaît de l’affiche, quelques jours à peine après le début de sa diffusion. « Mais si c’était à refaire, je le ferai à nouveau sans hésiter. », assure Jean-Loup Hubert, de son sourire ému, toujours convaincu que son film mérite une seconde chance auprès du public (A (re) découvrir ici tous ses films en DVD et DVD Blu-Ray)

Guillaume Depardieu, sur le tournage de "Marthe" (1997) - coll. privée.

Guillaume Depardieu, sur le tournage de « Marthe » (1997) – coll. privée.

Dessiner et écrire, encore et toujours !

Avec Jean-Loup Hubert, à 75 ans, ce ne sont pas les idées et les projets qui manquent. Avec notamment, la parution prochaine d’un album de BD sur le pétillant discours amoureux entre les femmes et les hommes, revisitant pour l’occasion les propres étapes cruciales de sa vie.

Ou bien encore, une pièce de théâtre, joyeuse comédie sur les secrets de famille, La vie est une ficelle pleine de nœuds, co-écrite avec sa compagne Anne-Charlotte Laugier. Et que j’ai eu la chance de découvrir tout récemment lors d’une lecture publique au Théâtre du Gymnase.

Propos recueillis en février 2025. Un grand merci à Anne-Charlotte et Jean-Loup pour leur chaleureux accueil… et méritante patience !

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