Ludmila Mikael : « Jouer tout le vivant de mon personnage »
C’est un samedi après-midi d’avril et dans les coulisses, techniciens et comédiens s’affairent déjà.
Dans moins de deux heures Ludmila Mikael retrouvera Pierre Arditi sur la scène du Théâtre Hébertot où ils jouent actuellement Le Prix aux côtés de Clara Borras et Emmanuel Gaury, la pièce de Cyril Gély, mise en scène par Tristan Petitgirard.
Je frappe à la porte de sa loge et découvre le cocon discrètement parfumé dans lequel elle se réfugie chaque soir. La voix du régisseur retentit dans l’interphone : « En scène dans 30 minutes ! ».
Il s’agit du rappel du spectacle des 12 Hommes en colère qui se joue à 19h. « Heureusement que je ne suis pas concernée, je serais loin d’être prête ! », nous confie-t’elle malicieusement.
Pour quelle(s) raison(s) avez-vous choisi de jouer cette pièce ?
Pour de nombreuses raisons, bien sûr. En ce qui me concerne, je le sais rapidement si j’ai envie de jouer un texte ou non. C’est l’écriture, le sujet et le personnage qui m’interpellent.
On l’a beaucoup dit aussi, c’est vrai que Pierre (Arditi, ndlr) et moi cherchions une pièce depuis des années à jouer ensemble. Et c’est lui qui m’a appelée en me disant : « Je viens de lire un texte et je crois que cette fois-ci, c’est le bon ». Et effectivement, il avait raison. Mais, ça aurait pu ne pas me plaire aussi.
D’abord, c’est le sujet qui m’a touchée, en premier. Ensuite, l’écriture. La rigueur du personnage de Lise Meitner m’a passionnée et de plus en plus, j’oserai dire, en « le fréquentant ».
Il y a une première impression qui surgit, à la lecture silencieuse dans sa chambre, ou dans son bureau. Puis celle à voix haute avec les acteurs et le metteur en scène confirme ou non si notre première impression était la bonne. Et c’est à cette étape que l’on sait si l’on va pouvoir incarner un personnage et apprivoiser une écriture, parce que chaque auteur a la sienne, avec un rythme et un souffle qui lui est propre.
Et après, j’ai le nez plongé dans la brochure, quotidiennement. Pas simplement pour la mémoriser, mais encore une fois, pour mieux l’apprivoiser, un peu comme on le ferait avec un ami proche.

Ludmila Mikael et Pierre Arditi, Le Prix de Cyril Gély, Théâtre Hébertot, Mise en scène de Tristan Petitgirard – Crédits photo : Bernard Richebé
Quel serait le fil rouge de Lise Meitner, votre personnage ?
Lorsqu’elle entre en scène, Lise porte en elle un objectif précis : solder les comptes après huit ans d’exil. Préparée, elle apporte des documents pour confronter son interlocuteur, mais une découverte de dernière minute vient bouleverser ses plans, ajoutant une intensité dramatique imprévue. La rencontre, bien que rationnelle, est chargée d’émotions, révélant un passé commun fait de travail scientifique et de relations complexes.
Au-delà du fait historique—le Nobel reçu par son ancien collègue scientifique Otto Hahn (Pierre Arditi) tandis qu’elle s’exilait en 1938 parce qu’elle était juive—ce face-à-face dévoile une tension qui oscille entre confrontation et apaisement, rendant la scène vivante et imprévisible. À chaque instant, la maîtrise laisse place à la fragilité, et les émotions surgissent là où la rigueur semblait dominer. Parce que sur scène, c’est la vie de mon personnage que je dois incarner : toutes les couches qui le constituent, les sensations qui le traversent.
Et mon interprétation évolue au fil des représentations. Et même encore maintenant, avec mon personnage, je ne suis pas arrivée au bout de mes surprises.
J’explore chaque soir, et c’est ça qui est passionnant, les nombreuses dimensions de mon personnage—ce qui est dit, ce qui est ressenti, et ce qui pourrait être dévoilé plus tard. Les émotions fluctuent en temps réel, et chaque geste, chaque silence devient un élément dramatique à part entière.
Quand on arrive à jouer sur scène deux choses en même temps, si on peut en jouer trois, c’est une sensation extraordinaire.
Qu’attendez-vous aujourd’hui d’un metteur en scène ?
J’en attends beaucoup, en fait. Je suis une fille des années 70, disciplinée, où à l’époque, le metteur en scène avait une importance capitale, surtout dans le théâtre public d’où je viens. Dans la dramaturgie et l’angle que l’on veut donner à une œuvre, il est là pour l’insuffler.
Maintenant, je pense que c’est important que l’acteur s’exprime aussi. Quand il se retrouve confronté à une direction, à un mouvement, à une interprétation qu’il ne sent pas.
Aujourd’hui, j’attends une véritable collaboration avec le metteur en scène. J’ai travaillé avec l’un des plus grands au monde, malheureusement disparu, Giorgio Strehler et il me disait : « Ludmila, fais ce que tu sens aussi, tu ne peux pas te tromper. » Cela m’a apporté une vraie force et un vrai respect pour mon exercer mon métier.
Parfois, on se retrouve confronté à des metteurs en scène avec qui le courant ne passe pas. C’est une histoire de rencontre entre des gens, qui a lieu ou non, avec un langage en commun, comme une sorte de code. On peut alors finir la phrase de l’autre.
Et Tristan Petitgirard est quelqu’un de fin. J’ai très bien compris ce qu’il attendait de moi et quand il vient me voir au théâtre, je lui demande encore des choses, sur des petits détails. J’adore la collaboration avec le metteur en scène. Ça ne m’intéresse pas de dire que je vais faire ça toute seule, pas du tout.

Ludmila Mikael, Le Prix de Cyril Gély, Théâtre Hébertot, Mise en scène de Tristan Petitgirard – Crédits photo : Bernard Richebé
Que ressentez-vous chaque soir face à Pierre Arditi ?
En fait, on se comprend très bien sur le plateau. Pierre est un véritable partenaire, sur qui on peut compter. Comme au cirque où si l’un des deux trapézistes a une faiblesse, l’autre le rattrape. Il y a une telle confiance entre nous.
On sait très bien dans quel état l’autre se trouve. Et c’est ce qu’on avait déjà deviné quand on avait tourné ensemble auparavant et là sur scène, ça éclate au grand jour.
Avant d’entrer en scène, on sait que la partition est lourde mais ce qui se passe, c’est qu’on est tous les deux, ensemble et l’on va se soutenir mutuellement.
Que signifie pour vous de jouer au Théâtre Hébertot ?
Hébertot, j’y ai joué, il y a plus de 25 ans, une pièce qui s’appelait Gertrud, montée par Gérard Desarthe et François Marthouret.
Une chose extraordinaire d’abord, c’est le rapport scène/salle. Quand on est sur le plateau, on a une grande proximité avec le public. On peut se laisser aller à être intime. Il y a quelque chose qui nous enveloppe d’assez magique.
Ça, je l’avais ressenti la première fois, et je dirais presque encore plus la seconde. Et surtout, si je pense à Hébertot, c’est à une exigence énorme, une sorte de passion pour les œuvres, pour les textes. Pour le théâtre, en fait, tout simplement.
Si on regarde ce qui s’y est joué, les acteurs qui sont venus, eh bien, je suis fière d’être dans la liste. (Rires). J’en faisais partie déjà, mais je le suis encore plus aujourd’hui.
A Hébertot, il y a une forme de continuum dans la direction, dans le choix des textes, des metteurs en scène et des acteurs. C’est une famille, avec une véritable loyauté envers le vrai théâtre.
✨LE PRIX✨ Une pièce de Cyril Gély Mise en scène : Tristan Petitgirard Avec Pierre Arditi, Ludmila Mikael, Clara Borras et Emmanuel Gaury Théâtre Hébertot jusqu'au 27 avril 2025. Plus d'informations ici ! ou par téléphone au 01 43 87 23 23