MELVIL POUPAUD: LE CINEMA POUR CADRER LA VIE 2/2
Le cinéma, justement, Melvil Poupaud est tombé dedans quand il était petit. Une maman attachée de presse, un premier film à l’âge de dix ans. Bref, de quoi relever de drôles de connexions entre vie et cinéma. Un questionnement que Melvil Poupaud, 37 ans, pas vraiment amateur de paillettes, effectue actuellement dans la rédaction d’un livre consacré au cinéma.
Quels sont finalement tes critères pour choisir un rôle et ont-ils évolué depuis La Chambre obscure ?
Il y a deux choses : un premier critère d’abord lié au matériel (si j’ai de l’argent, du temps, si j’ai envie de tourner ou non). C’est un truc un peu personnel de ma vie où j’aime bien aller au bout d’un truc. J’ai du mal à faire des choix si je n’ai pas une espèce de deadline. Et comme je n’ai pas l’impression d’avoir besoin de beaucoup d’argent pour être heureux, l’argent est un bon compteur. C’est pour ça notamment que je suis parti en Angleterre, ça m’a aidé à passer à d’autres étapes dans ma vie. Avoir d’autres opportunités parce que j’avais justement le feu au cul.
Et sinon après de façon plus artistique, la rencontre avec le metteur en scène est déterminante : sa personnalité, sa façon de me parler, la confiance qu’il dégage. Parce que le personnage, tu peux toujours le transformer. Avec un personnage dont tu ne vois pas trop l’intérêt au début, un bon metteur en scène va te donner son point de vue, te convaincre, même te charmer de façon physique. Des ondes passent, t’as confiance en lui en son travail. Avec un mec avec qui tu n’as aucun atome crochu, tu risques d’être tendu pendant tout le tournage. Non pas qu’il faille toujours tourner avec des copains, mais il faut que le travail soit avant tout profitable.
Avec Sean Ellis, réalisateur de The Broken notamment, comment ça s’est passé ?
Ça s’est passé très vite notamment. Je n’ai pas tellement cherché à comprendre ce qu’il voulait faire parce que c’était d’abord un trip un peu mental. Evidemment, j’ai lu le scénario et mon personnage n’avait pas tellement de chose à jouer. Mais le mec, son énergie, sa personnalité très originale, tout ça m’a fasciné. Et ce, malgré son accent anglais, la difficulté de compréhension de son monde à lui. Instantanément, un truc s’est passé et on s’est bien entendu. On est même devenu copains.
C’est un mec fascinant aussi dans le sens où il a eu des opportunités à Hollywood (Alien 5) et il a tout refusé pour faire The Broken, un scénario qui lui a pris du temps à écrire, pour lequel il a galéré…
C’est dommage que The Broken n’ait pas connu le succès escompté mais comme Marie-Christine, Sean est quelqu’un de fonceur. C’est un peu ça qui m’attire chez les metteurs en scène, c’est ceux où je sens qu’il y a vraiment une force qui les pousse à aller jusqu’au bout de leur truc.
« C’est vrai que j’ai fantasmé sur plusieurs figures artistiques »
Ce que j’aime aussi dans ton parcours, c’est que tu t’essayes aussi à la mise en scène, à la musique, à la photographie…
Je suis entrain d’écrire un livre aussi pour essayer de comprendre. Ça parle du cinéma, comme cadre de la vie (qui te permet de rencontrer des gens, d’avoir des images en tête, des fantasmes, de rencontrer des filles) et aussi comme compréhension du monde. Identifier des personnages dans ta vie réelle et les voir un peu comme des personnages de film. Parce que j’ai moi-même été un peu élevé par Raoul Ruiz, qui est un des mecs que j’admire le plus. Et dans ses films, il y a toujours un « jeu de rôles » en plus.
Donc moi en tant que comédien, et même dans ma vie, c’est vrai que j’ai fantasmé d’être peintre à un moment, d’être écrivain, chanteur… J’ai fantasmé sur plusieurs figures artistiques comme ça et qui n’était finalement pas vraiment moi. Parce que mon job finalement c’est d’être acteur, et de pouvoir jouer plusieurs rôles en fonction de qui j’ai en face de moi, d’être disponible pour incarner un certain type de personnage, à un certain moment de ma vie. Mais toutes ces disciplines nourrissent mon jeu, sûrement
Dans ton travail sur la photographie, qu’est-ce qui te semble le plus important ?
A propos de la photographie, ça fait très peu de temps que j’ai compris en quoi cela pouvait avoir un intérêt pour moi. J’ai un nouvel appareil photo téléphonique qui fait de bonnes photos et quand tu es dans un état d’esprit un peu stone, un peu déconnecté de la réalité, tu es sensible à physiquement à des sensations : à la lumière, notamment.
C’est elle qui m’a poussée souvent à la prendre en photo plus que son cadre. Si je devais faire de la photo un jour ce serait par sensibilité à la lumière, celle qui rend le moment magique.
J’ai eu une expérience différence avec la mise en scène où je me concentrais plus sur le cadre que sur la lumière. Aussi pour des questions techniques parce qu’en vidéo la lumière, ça rend pas. C’est rare de faire une bonne lumière en vidéo à mon niveau donc c’était plus le cadre qui m’importait. Le cadre doit rajouter un sens par rapport à la situation. Et le cinéma finalement, ce serait le mélange des deux.
Et pour en revenir au film de Marie-Christine, je trouve que c’est vraiment un mélange des deux. Il y a une rigueur de la lumière et du cadre qui fait que c’est vraiment du cinéma classique, presque un hommage au cinéma comme forme, avec des références, un travail sur la texture de la pellicule, sur le grain et la cérémonie de regarder le film en salle, le projeter sur un grand écran. Avoir cette culture du vrai cinéma, un peu à l’ancienne. Dans laquelle, personnellement je ne suis plus puisque j’ai complètement désacralisé le cinéma.
Finalement, pour résumer, quelle est ta façon d’évoluer dans ce métier ?
C’est plus dans l’idée de faire des rencontres, de partager des feelings avec des metteurs en scène. A la base, mon travail, consiste à participer à des films et mettre en jeu ce que je sais faire. Alors après, ça développe des faiblesses mais aussi des qualités. J’apprends plus en partant en voyage ou sur des tournages, en discutant avec des gens, en rencontrant des artistes ou en vivant ma vie à la recherche d’une identité ou de son absence. C’est comme ça que j’ai l’impression un peu d’emmagasiner des choses et après d’être capable d’enrichir mon personnage de l’intérieur. Plutôt que d’aller pratiquer mon métier de comédien comme une technique.
Un grand merci à Melvil Poupaud pour le temps accordé à notre entretien ainsi qu’à la bienveillante complicité de Marie-Christine Questerbert.
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