Rencontre avec Benjamin Stora et Ismaël Ferroukhi : l’éclairage historique des Hommes Libres
Lors de l’avant-première au cinéma Le Champo, Ismaël Ferroukhi, réalisateur des Hommes Libres et l’historien Benjamin Stora ont participé à un débat avec les lecteurs du magazine L’Histoire. Parmi eux, beaucoup de passionnés d’histoire et de professeurs. Le film dévoile de façon inédite sous l’Occupation, l’entraide judéo-musulmane au sein de la Mosquée de Paris.
Benjamin Stora, historien spécialiste depuis trente-cinq ans de l’immigration algérienne, a été contacté par le réalisateur Ismaël Ferroukhi. En effet, ce dernier, alerté par un article du Nouvel Observateur, avait appris l’action méconnue de La Mosquée de Paris pour abriter des Juifs sous l’Occupation.
Ensemble, ils ont récolté des dizaines de témoignages sur cette période « afin que ces hommes invisibles ne soient plus simplement des silhouettes mais bien des personnages à part entière», insiste Benjamin Stora.
Aucune étude n’avait été réalisée jusqu’à présent sur cette population. Benjamin Stora précise qu’en 1939, on dénombrait 100 000 maghrébins environ. Ils étaient arrivés dès 1919 (essentiellement de Kabylie) et s’étaient installés dans les villes ouvrières les plus importantes de France comme Paris, Lyon et Marseille, arrivant souvent seuls, sans femme ni enfant.
Après la débâcle de 1940, ils se sont retrouvés pris au piège. Certains sont rentrés chez eux (majoritairement en Algérie), les autres ont dû rester en France, sans le moindre statut. Par ailleurs, il n’y avait alors ni intellectuels ni syndicats pour plaider leur cause; le mouvement ouvrier s’étant effondré en 1940.
La Mosquée, un vecteur de socialisation fondamental sous l’Occupation
Ainsi face à la Débâcle, beaucoup se sont réfugiés à la Mosquée de Paris où des repas étaient servis aux plus démunis. Il faut ici évoquer la figure importante du personnage du recteur de la Mosquée de Paris, incarné par Michael Lonsdale.
Si Kaddour Ben Ghabrit est un personnage politique important de son époque. Il est cultivé, grand amateur de musique et d’art. On le voit notamment dans le film dans sa relation chaleureuse avec le chanteur Salim qu’il a recueilli malgré ses origines juives. C’est un homme d’état dans le sens où il est ministre plénipotentiaire du Maroc. Homme politique, diplomate, il suit la politique du Sultan du Maroc. Ce dernier avait pris rapidement une distance ferme avec l’Allemagne, du fait du débarquement des Alliés, fin 1942 en Algérie; refusant alors l’obligation du port de l’étoile jaune aux Juifs.
A propos des Juifs abrités par la Mosquée de Paris, Benjamin Stora précise : « Cette génération parlait l’arabe. Ils évoluaient dans des rites proches du monde maghrébin. Il y avait beaucoup de Juifs de Tunisie qui venaient à la Mosquée pour manger. »
Dans le film, les services de la rue Lecomte, pour lesquels travaille initialement le héros Younes, existent en fait depuis 1924. A l’origine, ils ont été créés pour contrôler et surveiller l’hygiène des travailleurs algériens. En 1940, tous ces fichiers ont été repris par la police de Vichy. Cette centaine d’hommes, souvent recrutés parmi les repris de justice, travaillaient en étroite collaboration avec les services de la rue Lauriston, chargés de traquer les résistants à Paris mais aussi à Lyon et Marseille.
En mettant en scène un jeune héros (Tahar Rahim) qui va progressivement se politiser, Ismaël Ferroukhi a voulu composer un travail de mémoire : avec une prise de recul par le biais de la fiction, il évoque des personnages réels ayant une importance capitale dans ce mouvement de résistance sous l’Occupation. « C’est un parti-pris audacieux que de nous éclairer sur cet aspect méconnu : le lien entre ces deux communautés dans ce moment si particulier », conclut Benjamin Stora.
Laetitia Heurteau, le 26 septembre 2011, Pyramide.