Rencontre avec le comédien Olivier Saladin

C’est dans sa loge du Théâtre de l’Atelier, à quelques minutes d’entrer en scène, qu’Olivier Saladin nous accueille calme et souriant. Depuis le 24 mars dernier, il joue le texte de son copain Daniel Pennac, Ancien Malade des Hôpitaux de Paris qu’il s’est réapproprié avec la complicité d’un autre copain, son metteur en scène Benjamin Guillard. Petit retour sur le parcours de ce comédien autant à l’aise dans l’univers des Deschiens que dans celui de Tchékhov. « Un acteur, point final. »

Comment avez-vous collaboré avec votre metteur en scène Benjamin Guillard ?

Je l’ai rencontré grâce à François Morel quand il était  assistant à  la mise en scène. Il est aussi acteur et réalisateur de courts métrages. C’est un copain. Il est jeune. Et je souhaitais avoir quelqu’un qui m’accompagne dans mon travaille étant donné que je savais déjà où je voulais aller. C’est un rapport différent où  très souvent l’acteur est au service de la mise en scène.

Comment s’est fait le choix du texte ?

C’est François Morel qui m’a conseillé de lire ce texte. Je l’ai trouvé particulièrement théâtral. Comme j’étais artiste associé au Théâtrede la Comète à Châlons-en-Champagne, je l’ai proposé  à la direction. J’aurais presque pu en faire une lecture mais je me suisdit : « Non,il faut aller plus loin que ça ! Il faut que j’apprenne le texte et que je l’interprète ! » On a pu bénéficier d’un petit budget qui a permis de faire un décor. Le décor joue un rôle très important,il est même indispensable : on le comprend à la fin du spectacle.

Quand a eu lieu cette création à la Comète ?

Au moisde marsdernier,il y a plusd’un an. On a repris le spectacle en janvierdernier à Conflans-Sainte Honorine. Ça marchait toujours bien. L’accueildu public était bon. On a eu plusieurs dates,notamment à Rouen où Véronique Deshaires de l’Atelier est venue et puis ça s’est décidé tout de suite,en trois semaines,ça tombait bien j’étais libre après une saison déjà bien occupée.

Dans ce cadre du « seul en scène » qui a déjà « voyagé », comment se « réapproprie-t-on » un plateau comme celui de l’Atelier ?

C’est un plateau qui est assez grand. Donc pour mon spectacle, c’était parfait ! On l’a aménagé un peu  différemment. On n’a eu  peu de temps pour les répétitions. Seulement deux jours ! L’équipe est arrivée le vendredi et le samedi nous jouions.

Par rapport à l’univers de la médecine, avez-vous vous personnellement des connexions ? On sait que vous incarnez aussi un médecin-légiste dans la série TV « Boulevard du Palais »…

Oui, un peu  par ma famille. Et moi-même, j’avais travaillé dans un service d’urgences en Allemagne où je développais des radios. Mais ce n’est pas ça qui vous aide pour trouver de la théâtralité. L’expérience de la vie  nourrit mais ne résout pas tout.

Qu’est-ce qui vous aide alors pour interpréter ce texte en particulier ?

Il y a les images,les silences (dans un bon texte, c’est aussi tout ce qui ne sedit pas,tout ce qui laisse place à l’imaginaire, à l’indicible). Daniel m’adit : « Oh,mais tu en fais ce que tu veuxdu texte ! » Alors c’est vrai que le texte est celuide Daniel à 98% mais c’est vrai aussi que j’ai rajouté 2%de choses à moi ! (rires) Comme quelques impros au téléphone,des aménagementsdans lesquels je me laisse aller. Je trouve ça indispensable  de pouvoir  faire quelques adaptations.

Est-ce qu’il y a eu une discussion avec Daniel Pennac avant de jouer ?

Non,justement. Et après avoir vu le spectacle à l’Atelier,il était content. Il m’avait proposé d’autres moutures de son texte mais comme j’avais appris son texte avec une version différente,ses propositions ne me convenaient plus,je ne sais pas pourquoi. Je m’étais approprié le texte dès le début et j’avais du mal à revenir en arrière. Je l’avais intégré en moi et ça m’embêtait de changer.

C’est la première fois que vous jouez un spectacle seul sur scène ?

Non,j’avais déjà joué un spectacle que j’avais écrit, Les petits potages mécaniques, il y a quelques années.

Du coup, il n’y a pas quand même une pression qui s’exerce sur vous chaque soir, à jouer seul en scène ?

Oui, c’est sûr que c’est plus dur ainsi,c’est certain. Tout repose sur moi… Ce n’est pas facile.

Comment avez-vous choisi d’être comédien ?

Je n’ai pas choisi,je le suisdevenu. C’est la différence avec des acteurs qui le voulaient depuis longtemps. J’ai suivi des cours de théâtre,au Théâtre des Deux Rives, à Rouen,en même temps que je travaillais. Je suivaisdes coursde théâtre le soir. De fil en aiguille,on m’a proposéde jouer. Je considère que je suisdevenu comédien plus que je ne l’ai  voulu l’être. Bon, j’ai fait quelques efforts, tout de même, aussi. (Rires)

C’est une façon différente de voir les choses parce que par exemple,on peut tous tomber sur un billet de 100 € par terre mais si on se dit « Il faut que je trouve un billet de 100€ ! », c’est plus compliqué…

Mon parrain de théâtre, c’est Michel Bézu, que j’ai rencontré au Théâtre des Deux Rives,je lui dois beaucoup. Il n’est pas « connu » mais c’est avec des gens comme lui que j’ai appris à faire du théâtre. J’ai commencé « tard » le théâtre, à l’âge de 26 ans. Mais je ne le regrette pas. Je trouve ça bien car en même temps, j’avais fait beaucoup de choses. Je trouve de toute façon que tout mène au théâtre : faire des tas de métiers, se balader, aller voir le monde, c’est enrichissant pour le jeu.

Et comment avez-vous rencontré François Morel ?

Avec François, ça fait longtemps qu’on se connaît. On a commencé tous les deux avec Jérôme Deschamps que l’on a rencontré lors d’un stage, en 1987 ou 1988. Et puis nous avons joué  ensemble, dans le spectacle « Lapin Chasseur ».

C’est avec eux que vous avez pu développer votre palette burlesque, teintée de poésie ?

Je l’avais travaillée déjà avant de les rencontrer. Quand j’étais au Théâtre des Deux Rives avec Michel Bézu. J’avais fait un spectacle qui s’intitulait « La lente agonie des grands rampants ». J’ai travaillé souvent dans cette veine-là mais pas que, d’ailleurs !

J’ai joué dans Oncle Vania, des rôles dramatiques aussi. Je ne me considère pas comme un acteur dit « comique ». Je suis un acteur, point final. Peut-être avec des capacités à faire rire. Je ne me sens pas à l’aise avec cette étiquette d’acteur comique. D’ailleurs, le spectacle Ancien Malade des Hôpitaux de Paris, je ne trouve pas que je le joue de façon comique. Je joue parfois des petits lazzi,des moments comiques intégrés dans les situations, mais je n’ai pas l’impression de jouer de façon comique.

Comment se faisait votre travail de sketches avec François Morel dans les Deschiens ?

C’était de l’impro. On avait des thèmes que Jérôme et Macha nous donnaient et après une idée en amenait une autre. On se lançait dans l’impro et ensuite on corrigeait un petit peu parce que forcément le premier jet, n’était pas toujours bon. Mais parfois, la première prise pouvait être  la meilleure. Et à chaque prise, on améliorait. Macha s’occupait des costumes, des accessoires. Comme on était souvent en tournée, on était tout le temps les uns sur les autres, et on avait développé une très forte complicité.

Je crois beaucoup aux complicités entre les gens. Les complicités, ça se forge avec le temps. Le succès des Deschiens n’aurait jamais existé si on avait dit : on prend le meilleur acteur de Bordeaux, plus le meilleur acteur de Lille et celui de Clermont-Ferrand. La réussite tenait surtout à cette complicité.

Vous incarnez une galerie de personnages très importante dans cette pièce. Comment avez-vous travaillé ces personnages ?

On a tous en tête des personnages de médecins, de personnes tout simplement dans la vie. Ces personnages ici sont un petit peu archétypaux. J’aime surprendre des détails, des choses des gens qu’ils se disent. Une façon de poser la voix, les accents. Ça ne m’a pas beaucoup posé de problèmes ce type de travail.

C’est tout de même un sacré challenge…

C’est ce que je vous disais à propos du billet de 100€. Je n’avais que deux représentations, à l’époque à Châlons-en-Champagne où on m’avait donné une sorte de « carte blanche ». Je ne me suis pas dit : « Tiens, il faut que je fasse un succès ! »

Cela s’est donc passé de façon totalement naturelle et décomplexée…

Oui, tout à fait, de façon spontanée, sans enjeux : parce que j’aime bien Daniel Pennac, parce que François Morel qui me connaît bien, m’avait dit que c’était un truc pour moi. Voilà, les choses se sont passées simplement. D’abord, c’est un texte léger, en ce sens qu’il ne cherche pas à changer le monde. Mais malgré tout, tout le monde peut s’identifier à ce personnage, à cette panique qui s’abat sur ce jeune médecin. C’est un moment de pur théâtre. On passe un bon moment, point final.

C’est cet état de panique qui vous a justement intéressé dans l’interprétation du Dr Galvan ?

Oui parce que des états de panique, j’en ai moi-même connu. Comme plein de gens, d’ailleurs. C’est profondément humain. La médecine aussi, c’est intéressant, tous les cas médicaux, techniquement, ça parle du corps, de la vie, d’un instant de vie qui est complètement bousculée. Ça raconte quelqu’un qui modifie complètement son parcours professionnel pour une autre vie.

Peut-on parler également du rythme de cette pièce…

C’est une chose à laquelle je tenais beaucoup. J’aime bien lire d’une seule traite parce qu’on saisit tout de suite le rythme et les choses. Je trouve que dans les bons spectacles, il n’y a qu’une seule idée dominante. Il n’en faut pas trente-six. Je savais qu’il fallait raconter cela rapidement et vite, avec du rythme, tiré comme une flèche qui doit atteindre sa cible. Il n’y a pas de place pour la digression. Il faut rester dans l’histoire de ce malade qui pose un problème. Toutefois, il y a quelques digressions très légères qu’on a gardées, mais il ne fallait pas qu’elles cassent  le rythme….  Ne pas s’arrêter, pan, pan, pan !

Il y a un côté également « thriller » dans ce récit !…

Tout à fait, j’ai pensé tout de suite à un « thriller médical ». Il y a un suspense, un « vivace »  indispensable. Parce que le raconter comme ça paisiblement… Non, ce n’est pas possible ! Je crois que je ne me suis pas trop trompé par rapport à ça. Mais un autre acteur pourrait faire une proposition totalement différente, chacun a ses raisons. Je crois, d’ailleurs, que ce texte a été joué par un acteur vénitien que Daniel Pennac a vu et où les gens se marraient bien aussi. Mais il le jouait au contraire assez lentement, en vénitien…

A l’Atelier, est-ce que vous avez un petit rituel avant d’entrer en scène ?

J’arrive de bonne heure, je revois mon texte vite fait, pour me permettre de me concentrer. Je n’aime pas arriver sur la scène, deux secondes avant : je me mets en condition. On dit, par exemple, que les fois où les acteurs sont extrêmement fatigués, ils sont les meilleurs. Il y a un lâcher prise, un abandon, les dernières résistances s’en vont.

Ce spectacle-là me demande beaucoup d’énergie parce que c’est très physique. Je fais des petits mouvements avant d’entrer en scène pour délier le corps, je bois de l’eau un peu avant, parce que parler assèche vite. Ce genre de choses…

Entretien réalisé par Laetitia Heurteau, en avril 2015, au Théâtre de l’Atelier.

 

Ancien Malade des Hôpitaux de Paris
Jusqu’au 6 juin.
Du mardi au samedi à 21h, matinée le dimanche à 15h.
Théâtre de l’Atelier
Réservation : 01 46 06 49 24 ou sur Internet : http://www.theatre-atelier.com/

Post A Comment