Thomas Dutronc, l’interrogatoire en règle

Près d’un mois après la sortie de son nouvel album, Frenchy, enregistré notamment avec des guests de renom comme Diana Krall, Iggy Pop, Billy Gibbons et la « crème de la crème » des musiciens, le chanteur, auteur, compositeur et guitariste Thomas Dutronc a accepté ma demande d’interview sur Skype. Treize ans après notre précédent entretien, nous avons tenté de reprendre le fil de la discussion.

Chacun de tes albums met au moins 4 ans à sortir. Cela prend du temps pour les mitonner…

Non, je ne mets pas tout ce temps pour les écrire, c’est surtout la tournée qui prend du temps. Mais dans la pratique, on met un an pour faire un disque, de la conception à la réalisation. Et après, c’est toujours très long avant que ça sorte, ça prend des mois…

Par exemple, là, j’ai des chansons prêtes depuis un moment mais on a sorti le disque Frenchy en décalé puisqu’il devait sortir pendant le confinement et qu’il a été repoussé. Et déjà ce disque, on l’avait fini en mai 2019 mais le temps d’avoir des invités, cela a pris 8 mois de plus.

Réunir les musiciens aussi, ça peut être un casse-tête avec les calendriers de chacun, que le studio soit libre, etc…

Si on revient sur ces quatre albums, qu’en as-tu retenu ?

J’ai appris des trucs à chaque album.

Dans le premier, Comme un manouche sans guitare (2007), c’est vrai qu’il y avait plein de choses qui étaient très bonnes, et dans le disque et dans le spectacle. Mais il y avait peut-être aussi, de temps en temps, des moments où j’étais un petit peu timide dans la voix.

Dans le deuxième disque Silence, on tourne, on tourne en rond ! (2011), je crois que j’ai mis trop de titres et ça partait un peu dans tous les sens. Le premier partait aussi dans tous les sens mais il y avait une espèce d’harmonie qui naissait du chaos, un peu comme par miracle.

On a enregistré le troisième disque Eternel jusqu’à demain (2015) à Londres. Et j’ai appris des choses parce que j’y ai perdu un petit peu d’âme au passage. Je jouais avec de super musiciens sur des super chansons qu’on travaillait en acoustique depuis six mois. Mais on les a enregistrées avec des musiciens un peu Electric-pop. Or, il faut que ça soit vraiment organique quand on joue, une forme de poésie qui soit là aussi dans le jeu.

C’est comme pour une équipe de sport, si on met les meilleurs, ce n’est pas ça qui fait l’équipe.

Du coup, on a sorti un disque Live is Love (2018) qui est un très joli live chez Blue Note (Universal Music), où il y a vraiment mes titres les mieux joués en live, avec de grosses parties instrumentales incroyables, vraiment rockn’roll et manouche, avec la réaction du public et des envolées de fou, une super ambiance !

« Dans mes albums, j’essaie d’être moi-même le plus possible ».

 

Justement dans une tournée, il y un travail plus accentué sur le fait de jouer un personnage comme par exemple celui très drôle de Nasdaq ?

J’aime bien, ça m’amuse. J’essaie d’être moi-même dans certaines chansons mais j’ai toujours eu aussi des chansons très « deuxième degré » où je peux faire le zouave un peu et ça change. C’est bien, pour se renouveler, emmener les gens dans une autre ambiance mais pas non plus non tout le temps. Il y a toujours des équilibres à trouver.

Et d’ailleurs dans Frenchy, il y a encore dans cette idée de jouer un personnage, comme une étape franchie…

… Franchie et Frenchy ! (Rires)

Tout à fait ! Une étape “frenchy” où tu assumes encore plus le rôle du “French lover” dans cet album… 

Je n’ai pas cherché à composer un personnage là-dedans, j’ai cherché à chanter des chansons comme je le ferai moi-même avec le plus d’émotion et le plus de “moi” possible dedans, sans me cacher derrière une attitude ou un rôle. J’essaie d’être moi-même le plus possible. Si je suis naturellement “French lover”, c’est sympa, (rires). Il y a pire mais je n’ai pas cherché ça du tout, en fait.

Sur la voix, est-ce qu’il y a un travail qui se fait d’un album à un autre ?

Pas vraiment, je fais des progrès. Il faut dire que je partais de zéro puisque pour mon premier disque, je n’avais jamais chanté de ma vie. Je ne voulais pas être chanteur spécialement. Je voulais plutôt être guitariste mais maintenant je suis devenu chanteur et j’aime ça vraiment, ça me plaît et à force, j’ai appris.

« Pour que Diana Krall apprécie ce qu’on a fait, j’étais fier ! »

 

Comment ce travail s’est opéré sur l’album Frenchy ?

Sur ce disque, je suis entouré. C’est un disque de reprise de chansons françaises qui ont fait le tour du monde mais si ç’avait été conçu avec de super musiciens de studio comme à Londres, cela n’aurait pas été intéressant.

Pour Frenchy, on a d’abord fait le projet avec Rocky Gresset qui est mon pote guitariste que je connais depuis vingt ans. Il a un niveau de jeu incroyable. Et les autres musiciens qui ont participé, ce sont aussi des gens que j’ai repéré et que j’adore. Ils sont au-dessus du niveau “grands musiciens de studio”. Ils jouent vraiment dans le domaine du merveilleux : ils ont la grâce, l’inspiration. Ce sont de très grands musiciens, la crème de la crème en France et en Europe.

Quand on a enregistré C’est si bon, le premier morceau qu’on a fait lundi matin à 10h30, on a fait deux ou trois prises. Quand Diana Krall a entendu le playback, elle a dit : « c’est super, le tempo, le groove, le solo de guitare ».

Pour que Diana Krall apprécie ce qu’on a fait, j’étais fier !

Être entouré de ces grands musiciens, ça vous pousse à chanter, à être vous-même. C’est tellement gracieux et merveilleux ce qu’ils font que ça vous pousse dans cette direction-là, à avoir plein de charme, plein de subtilité.

On a eu un son aussi génial grâce à Jay Newland, l’arrangeur, puisque c’est très important aussi d’avoir un son très beau. C’est lui qui a fait le son du grand album de Norah Jones où l’on apprécie cette espèce de douceur et de beauté. Je crois qu’il y a ça aussi dans notre disque de Frenchy. Achetez vite le disque ! (Rires)

Pour comprendre ton travail sur la composition, peut-on comparer le morceau “J’aime plus Paris” et celui de “C’est si bon ?” 

Ce n’est pas évident de les confronter. J’aime plus Paris, c’est une composition plus simple que C’est si bon. C’est quand même une mélodie plus facile. Ce qui est sympa, c’est qu’il y a de jolis accords manouches dans le refrain, une légèreté. Il y a un moment où l’on a trouvé un solo de guitare et un solo de violon qui se rejoignent aussi dans un rythme incroyable et que l’on a inclus dans l’album Live is Love.

J’ai connu le morceau C’est si bon par Biréli Lagrène un grand guitariste de jazz, d’origine manouche, dans une version finalement très swing. Quand on interprète un standard qu’on n’a pas fait soi-même,  on se laisse presque plus aller. On est moins dans les mots qu’on est en train de dire ; c’est un titre léger et c’était un vrai amusement de le faire.

On va sortir le disque aux États-Unis chez Verve Records, quand on pourra y aller puisque ça ne sortira pas tout de suite, avec les problèmes actuels liés au covid. Mais les gens de la maison de disques là-bas, quand ils ont entendu notre version de C’est si bon de Frenchy, où je chante avec Iggy Pop et Diana Krall, à moitié en anglais et à moitié en français, m’ont dit qu’ils avaient l’impression d’écouter du « Dean Martin sous LSD ». (Rires)

« On ne peut pas écrire entre deux rendez-vous ! »

 

Est-ce que tu as des petits rituels pour écrire ?

Ça peut m’arriver d’écrire le matin mais j’avoue que j’ai plus tendance à écrire le soir aidé parfois d’un petit verre ou deux.

Il faut faire attention à ne pas dépasser la dose (rires) même si on peut trouver dans le n’importe quoi aussi  d’un seul coup une idée…

C’est compliqué parce que ça demande à la fois d’avoir l’esprit très affûté (savoir ce qu’on veut dire mettre, être dans une recherche) et en même temps, il faut se laisser aller à raconter quelque chose de personnel et de joli et pouvoir ouvrir son cœur.

Le plus dur, je crois, c’est d’être sincère avec ce qu’on a envie de raconter, ne pas chercher à se cacher derrière des artifices.

Il faut arriver surtout à ne rien avoir d’autre dans son emploi du temps : on ne peut pas écrire entre deux rendez-vous. A la fin du confinement, quand j’ai arrêté mes cours de guitare Facebook Live, pendant 15 jours j’ai écrit tous les soirs. Je me suis régalé ! Quand on arrive à un petit bout de phrase ou un petit bout de truc bien, et qu’on avance un peu, on est vraiment content et on dort sur ses deux oreilles.

Dans Frenchy, tu joues avec cette image qu’ont les Américains du Français parisien, un peu rétro, sur la pochette de ton album…

Cette idée de disque, elle est née pendant le French bashing que Donald Trump a lancé, je ne sais pas pourquoi et ça nous a fait réaliser que le monde entier en fait adore la France. Ils adorent le vin, les parfums, la haute couture, le fromage la Tour Eiffel, la Côte d’Azur, la douceur de vivre, l’amour, l’humour, le romantisme, la littérature, les Impressionnistes. On a énormément de choses en France qui font rêver le monde entier.

Quelles ont été tes rencontres un peu dingues grâce à Frenchy aux US ?

C’était un régal à Miami avec Iggy Pop et Diana Krall. Ils ont été super gentils et très simples. De grands talents. Ça s’est passé comme une lettre à la poste, hyper cool.

Diana Krall a une voix incroyable et Iggy Pop, un timbre magique.

J’ai adoré aussi Billy Gibbons (sur La Vie en rose). On était dans la tour mythique de Capitol Records à Los Angeles. Billy Gibbons est le chanteur et guitariste des ZZ TOP et j’adore son délire, son look, sa manière de chanter, de jouer de la guitare, d’appréhender le métier parce qu’il ne se prend jamais vraiment au sérieux et il m’a fait rire.

On a pris des coups avec lui le soir. On a passé une heure ensemble avec des copains. Et tout d’un coup, il y a un mec qui arrive et qui lui dit : « bonjour je suis Pete Townshend, des WHO… ». Rien que pour ça, ça valait le voyage !

Après, j’ai rencontré Yun Sun Nah (pour Playground Love) qui est une chanteuse de jazz coréenne avec une voix magique, une sensibilité incroyable ; Stacey Kent, pareil, dans la reprise d’Un homme et une femme, a une élégance fatale dans sa voix.

J’ai rencontré Jeff Godblum à Paris à l’occasion d’une télé. Haylee Reinhart, enfin, est une chanteuse que j’admire beaucoup.

On a chanté ensemble Ne me quitte pas, une très belle version, un petit peu plus rock que les autres versions jazz. Elle a fait une reprise magnifique de Creep, qu’on peut voir sur Youtube (elle totalise plus de 4 millions de vues !). Ça fout des frissons !

Mon disque aussi ! Enfin, j’espère ! (Rires).

« Il faut être en forme pour faire le mort ! »

 

Belle-Fille : Photo Alexandra Lamy, Thomas Dutronc 2020| Copyright Angela Rossi

Belle-Fille : Photo Alexandra Lamy, Thomas Dutronc | 2020| Copyright Angela Rossi

Dans le film Belle-Fille, qui sort le 19 août en salles, avec Alexandra Lamy, tu joues et tu composes la musique du film…

C’est surtout écrire la BO qui m’intéressait. Ils tournaient en face de chez moi en Corse et ils m’ont proposé un tout petit rôle où je rencontre Alexandra Lamy et je meurs tout de suite après. Ça me plaisait que je sois mort tout de suite (rires).

Je ne cherche vraiment pas à être acteur. Mais je me souviens que le jour où j’ai fait le mort, la veille j’étais sorti faire la fête avec des copains et je m’étais couché à 5h du mat’ alors qu’il fallait que je me lève à 7h20 ! J’ai un peu passé l’âge et je n’étais vraiment pas bien. C’est là que j’ai réalisé que même pour jouer le mort, il faut être en forme ! (Rires).

Il faisait une chaleur de dingue et je ne pouvais pas dormir ; tout le monde parlait, c’était horrible ! Je n’avais pas vraiment la tronche du « mort apaisé », plutôt celle du déterré ! (Rires).

On a travaillé la musique du film à plusieurs avec Jérôme Ciosi, mon vieux compagnon à la guitare, qui connaît bien la musique corse, avec Fred Jaillard, sur une chanson pour le générique.

J’ai trouvé une espèce de truc qu’on a décliné en techno, en version romantique… Dans la musique de film, il faut savoir aussi décliner. Cela a pris beaucoup de temps et d’énergie à faire cette BO mais c’était un vrai plaisir et je pense que le film va être sympa.

La musique de films est aussi l’un des derniers bastions où l’on peut faire de la musique instrumentale, avec des orchestres symphoniques incroyables.

Un grand merci à Thomas Dutronc pour son écoute bienveillante et sa générosité.

Retrouvez mes pastilles vidéos extraites de l’entretien Skype :

Thomas Dutronc, le French lover

Thomas Dutronc, les origines de Frenchy

Thomas Dutronc, l’écriture

Thomas Dutronc, l’anecdote sur le film Belle-Fille

Thomas Dutronc : Les musiciens de Frenchy

Thomas Dutronc : Le rêve américain

Thomas Dutronc : La scène

Thomas Dutronc : La musique de film de Belle-Fille

Écouter / commander son album Frenchy : ThomasDutronc.lnk.to/PCFrenchy 

Deux dates de concerts à la Cigale sont déjà calées en octobre prochain
et de nouvelles dates sont à découvrir sur son site internet : 
http://thomasdutronc.fr/ 

Retrouvez-le également cet été tous les mercredis à 18h43 précises 
pour des Facebook Live musicaux parfaits pour lancer vos apéros !

Portrait de Thomas Dutronc par Yann Orhan - Droits réservés. 

 

 

2 Comments

  • Sabine Monin

    Superbe interview

    • Laetitia Heurteau

      Merci beaucoup !

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