L’Abominable film de filles
Dans cette salle pas bien grande mais comble du Gaumont Parnasse, un jeudi soir de la fin du mois d’août, à l’heure où le niveau intellectuel des films estivaux n’est encore et toujours guère brillant, je me suis retrouvée en compagnie du « club des copines », à célébrer ce que le cinéma fait de mieux pour notre sexe, « le film de filles », en compagnie d’un public à 99% féminin et surexcité. Ambiance, ambiance…
L’intrigue du vrai « film de filles » se révèle toujours d’une incroyable et rafraîchissante simplicité. Et ce n’est pas la version 2009 du genre, L’abominable vérité, qui va me contredire. Ce film raconte comment une jeune femme psychorigide mais sexy en diable parvient à séduire l’homme idéal, en suivant les conseils d’un vilain bad boy très très séduisant. Le film de filles dans toute son abomination.
Le film de filles délivre plein de messages contradictoires sur le sujet sempiternel du grand amour. Ici le héros, incarné par Gerard Butler, un nouveau spécimen cinématographique très intéressant (il est indéniable qu’il doit merveilleusement bien bricoler en marcel à trous le dimanche matin), sert de coach à l’héroïne pour décrypter les moindres faits et gestes masculins, face à la prochaine invasion féminine prévue dans la fameuse guerre des sexes.
Ce « Mike » a donc plein de bonnes idées sur la question: comme de faire patienter pendant trente secondes l’amoureux transi au téléphone et de lui raccrocher au nez à plusieurs reprises. De se comporter à la fois en véritable sainte puis en véritable peste (pour ne pas dire autre chose). D’alterner douche brûlante et douche glacée. De se lâcher les cheveux (waouh, Katherine Heigl; oui lâche-toi les cheveux, ma grande! Tu peux le faire!). Dans le film de filles, on adore que les mecs nous donnent des leçons (cf. celles de Patrick Swayze dans Dirty Dancing et la fameuse réplique: « ton espace, mon espace! » quand il apprend à Jennifer Grey à danser sur un tronc d’arbre et qu’ils finissent par tomber à l’eau, et waouh le tee-shirt mouillé de Patrick…).
Dès que le beau(f) Mike apparaît, les gloussements de la salle s’amplifient
Mais pour en revenir à Mike de l’Abominable vérité, il se trompe. Tous les mecs ne sont pas des gros beaufs comme lui. D’ailleurs, à la fin, lui-même nous révèle une vraie nature d’homme sensible, secrètement brisé par de nombreuses ruptures (en même temps, s’il appliquait vraiment ses théories, pas étonnant!), ce qui l’autorise alors à faire sa déclaration dans une montgolfière qui s’élève dans le ciel, dans une nuée de ballons (oh les beaux petits ballons!)…
Dans la salle, dès que le beau(f) Mike apparaît, les gloussements s’amplifient. Un rire guttural interrompt quelques instants notre concentration. Sûrement le rire d’une grosse dame. Puis celui d’une adolescente en chaleur, à nouveau un gros éclat de rire général, un vrai bruit de basse-cour. Pourtant si l’on se fie aux dialogues, il n’y a pas de quoi rire vraiment. Le second second rôle vient juste de sortir une vanne pourrie sur sa condition stressante de travail (dans cette pourtant fabuleuse agence de télévision locale à la décoration parfaitement high tech), mais en même temps la musique de fond est tellement entraînante, qu’on ne peut pas faire autrement: on est obligé de ricaner bêtement!
Plus tard, les « waouh » fusent. La « target » de l’héroïne a entraîné cette dernière dans la forêt et un pique-nique ultra romantique se crée sous nos yeux, sur les rochers d’une gentille cascade. Waouh! Attention, virage à 360°, maintenant Katherine Heigl vit un orgasme télécommandé en pleine soirée de travail. Scène d’anthologie. Car le vrai film de filles doit montrer l’héroïne en galère, disons au moins 75% de la durée générale du film. Plus l’héroïne est sexy et plus elle doit galérer. Et meilleurs seront les gloussements féminins dans l’assemblée. On se défoule vraiment en voyant cette actrice sublime galérer comme la dernière des cruches. Oui, je sais l’éthique du film de filles ne vole pas bien haut.
Bref, si on récapitule ce qui constitue notre grand rendez-vous féminin au cinéma: ça n’est pas brillant. L’héroïne doit être aussi sexy que gourde. Le héros doit se comporter en vrai pédagogue du sexe (et bricoler en marcel à trous le dimanche matin, c’est impératif!). Le public féminin doit se retrouver en groupe pour glousser fortement, encouragé par une petite musique sirupeuse et ma foi fort guillerette en même temps. ET cette « abominable vérité » se doit de rester nébuleuse!
Même si finalement, le meilleur moment reste celui du verre entre copines où l’on admet sans vergogne que « oui, quand même ça n’était pas génial ce film de filles mais ça nous a aussi fait du bien… »
L’abominable vérité avec Katherine Heigl et Gerard Butler, en ce moment sur vos écrans.
romain
Très raffraichissant cette critique