Critique théâtre Londres : Belleville de Amy Herzog
Vous avez pris l’Eurostar tôt ce matin pour voir une pièce qui se passe à Paris, dans le quartier « bobo » qui fait tant rêver les Américains ? N’êtes-vous pas fou (en l’occurrence ici, folle) ? Il se trouve que le cast (James Norton, Imogen Poots…) et la réputation exigeante du Donmar Warehouse y sont pour beaucoup. On y découvre aussi une analyse de cette génération « millenium » (née entre 1980 et 1995) plus profonde qu’elle n’en a l’air…
Zach et Abby sont de jeunes Américains, fraîchement mariés et vivant à Paris depuis déjà plusieurs mois dans le quartier de Belleville, dans un appartement sous les toits (magnifiquement créé par le décorateur Tom Scutt, un habitué du Donmar). Le rêve d’une vie meilleure, à Paris, semble avoir cimenté leur couple.
Zach est en effet médecin, il travaille pour une association luttant contre le SIDA, tandis qu’Abby vit à Paris, son rêve de comédienne en suivant assidûment des cours de théâtre. Mais la pièce s’ouvre avec un curieux élément. Abby, rentrant plus tôt que prévu, entend Zach affairé, dans leur chambre entrain de visionner des vidéos plutôt hot…
Pour la première fois, ce couple qui se rêve plutôt qu’il n’arrive à se comprendre, va devoir mettre cartes sur table.
Amy Herzog est une jeune dramaturge américaine récompensée déjà à New York par de nombreux prix prestigieux. Elle s’attaque ici non seulement à la question du couple et au désastre humain qui peut (parfois !) en découler mais surtout elle s’interroge sur l’époque et le lieu qui encadrent ce couple : leur âge (entre 25 et 30 ans), le lieu où ils vivent actuellement (déracinés, à Paris, une ville remplie de désirs et de déceptions) et leur origine (américaine).
L’abîme du mensonge
C’est un couple en apparence très touchant. Ils semblent vouloir tout se dire : à ce sujet le débit de paroles quasi névrotique d’Abby (Imogen Poots, surprenante) fait autant sourire qu’inquiéter. Tandis qu’Abby s’extériorise à tout bout de champ, Zach fait tout en cachette et a un mal infini à dire la vérité à sa femme, c’est à-dire des éléments qui pourraient la heurter.
Auprès d’eux, il y a un couple français, Amina (Faith Alabi) et Alioune (Malachi Kirby), propriétaires des lieux, mais pas aussi prévenants que prévu.
C’est justement ce qu’explore Amy Herzog à travers ces deux couples : les faux-semblants externes et internes, sociaux et intimes de l’engagement marital.
Certaines répliques sont en Français, mais on est surpris que la vie parisienne soir aussi peu représentée. Le couple vit visiblement en espace clos et peu à peu le sentiment de claustrophobie ne tarde pas à investir les lieux.
James Norton (Grantchester, Happy Valley, Guerre et Paix…) qui a de nombreuses fois déjà foulé les planches londoniennes, compose avec beaucoup de justesse un personnage tour à tour charmeur, lâche, charismatique, dépressif, faussement joyeux, voire inquiétant. C’est un rôle tout en nuances qui paradoxalement donne l’impression de n’être pas joué, simplement vécu.
L’agencement ingénieux de cette petite salle (250 personnes maxi) permet un plateau résolument tourné vers le public (et celui du dernier balcon peut tout autant profiter du spectacle que le public de l’orchestre).
La création des décors ici correspond parfaitement à cette exigence du théâtre et à ce qui caractérise symboliquement ce couple contemporain qui se ment la plupart du temps dans ses propres espaces de vie « publiques » (le salon, la cuisine) comme « intimes » (la salle de bains, la chambre) auquel le public n’est pas convié. Le son enfin est important à souligner. Il martèle le rythme du récit et nous fait de nombreuses fois sursauter.
Nous sommes loin, très loin de la vision carte postale d’une « romance à Paris »…
Belleville De Amy Herzog, Avec James Norton, Imogen Poots, Malachi Kirby, Faith Alabi Donmar Warehouse Crédits photo: Marc Brenner, Donmar Warehouse
AnneD75
Merci pour ce compte rendu, par contre étant déjà allée parfois dans le quartier de Belleville, je me demande ce qui peut faire rêver un jeune couple d’américains…
Ce qui est intéressant c’est l’histoire d’un couple déraciné, pensant à une vie meilleure dès qu’on quitte son quotidien.
Laetitia Heurteau
Oui tu as raison, la thématique du déracinement est très importante dans cette pièce mais elle va appuyer surtout sur le mensonge initial qui a formé ce couple. Dans le programme de la pièce, il y a aussi une très belle analyse de la génération « millenium ».