Rencontre avec Olivier Sitruk

« SORTIR LA PALETTE »

Depuis sa nomination aux Césars pour L’Appât de Bertrand Tavernier en 1994, le comédien Olivier Sitruk est sur tous les fronts : télévision, cinéma, théâtre. Il « est » actuellement au Théâtre des Mathurins, Franck Chambers, incarné au cinéma par Jack Nicholson.

Passer du rôle du narrateur au personnage principal et réciproquement est-il difficile à jouer ?

C’est difficile à jouer, en effet, parce qu’il faut essayer de trouver la bonne ligne (parce que sinon on pourrait faire tout et n’importe quoi). Je pourrai très bien m’adresser complètement aux gens, le jouer de façon intérieure et pas du tout le porter. Et je ne crois pas encore sincèrement avoir trouvé la bonne ligne pour le faire. Et ce qui est passionnant, c’est la bascule entre les deux personnages (le brutal Franck Chambers et le narrateur), parce que ça arrive pratiquement dans toutes les scènes : on voit la scène se passer, et derrière, je reprends le rôle du narrateur. Ça rejoint le rôle du chœur de la tragédie grecque…


Le grand public vous connaît surtout au cinéma et à la télé…

Oui. Et tout fonctionne pour moi comme des incidents de parcours : j’aurais très bien pu ne jamais faire de cinéma, ne jamais rencontré Tavernier. Jamais faire de films, jamais être nommé aux Césars, et continuer à faire du théâtre. Je ne suis resté au Conservatoire que deux ans parce que je faisais déjà beaucoup de films, une tournée au théâtre, etc. J’aurai peut-être atterri à la Comédie française car j’ai tous mes potes là-bas (Laurent Stocker, Guillaume Gallienne, Elsa Lepoivre), j’aurai pu avoir ce parcours-là. Ce sont les hasards qui font que cela se passe différemment.

Au cinéma, quelles ont été vos rencontres importantes ?

Tavernier, évidemment. Une rencontre importante parce qu’il m’offre mon premier grand rôle au cinéma. Si ce n’est « mon plus grand rôle au cinéma » parce qu’ensuite, les suivants étaient plutôt des films chorales. Avec Bruno Putzulu dans L’Appât on se partageait finalement le rôle principal masculin.

Mais même le mec qui m’a fait confiance en premier, Hervé Palide sur un film où j’ai eu deux jours de tournage, reste important pour moi. Il m’a fait confiance alors que je n’avais pas fait de cinéma, que j’avais peur de tout, peur de la caméra, de me planter dans la marque, etc.

Ariel Zeitoun aussi car il m’a donné un rôle plus important et une plus grande confiance en moi face à la caméra. Mais finalement tous les rôles au cinéma ont été importants pour moi. Je suis toujours un peu étonné quand les gens me choisissent et je les en remercie.

Un exemple de relation avec un réalisateur avec qui vous êtes en affinités…

J’en ai une en tête, effectivement, il s’agit du réalisateur de télévision, François Luciani avec qui j’ai fait Les Moissons de l’Océan dans un format de 4 X 1h30, ce qui représentait un long moment où j’avais le rôle principal. Finalement j’ai fait dix films avec lui et ce qui est super comme relation, c’est que j’ai toujours la sensation de ne l’avoir jamais épuisée. C’est une chouette confiance qui s’est établie et où il n’hésite pas à me dire : « ça je connais, ne me le montre pas. »

De manière générale, comment travaillez-vous votre personnage ?

Je pense que c’est une idée totalement fausse de croire qu’il y a un personnage et que vous entrez dans la peau de celui-ci. En tant qu’acteur, je dois trouver des méthodes ou des situations qui me disent la façon de dire « je t’aime » différemment. Ma base de travail c’est moi. Je deviens ce personnage et ce personnage devient moi. Et sans vouloir dénigrer ce talent incroyable au cinéma qu’est Brando, on a tous, nous les comédiens, du mal à rencontrer, qui plus est cinq ou six fois dans une carrière, le personnage qui va nous permettre de « sortir la palette. » Je crois donc plus au personnage qu’au talent de l’acteur.

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