Entretien avec le comédien Davy Sardou
C’est en pleines répétitions de Georges & Georges d’Eric-Emmanuel Schmitt que le comédien Davy Sardou (récemment auréolé de son Molière du meilleur comédien dans un second rôle 2014) a bien voulu me rencontrer cet été. Cette création, lancée le 22 août dernier, est à découvrir au Théâtre Rive-Gauche et rend hommage au trépidant dramaturge Feydeau avec une mise en scène signée Steve Suissa et une belle troupe autour de Davy Sardou. Une gentillesse, une écoute et une belle simplicité dans cette rencontre qui imposèrent d’emblée le tutoiement.
Alors, alors, comment se passent les répétitions ?
On avait déjà répété quinze jours au mois de juin, puis on a fait une pause et depuis trois jours, (l’entretien date du 23 juillet, ndlr) on a repris. On va jouer encore dix jours, puis une nouvelle pause, puis on reprendra du 11 août jusqu’à la première. On commence à filer. On n’a pas encore les costumes, pas encore les lumières, mais on commence à jouer. On a fait une mise en place et on commence à chercher, à s’amuser, à découvrir la pièce, en fait. Et ça devient très agréable.
Comment te prépares-tu à un rôle, justement ?
J’apprends le texte, c’est le BABA (rires). Il faut arriver avec le texte appris, ce qui n’est pas le cas de tous les comédiens. Et ensuite, je me laisse vraiment guidé par et le texte et le metteur en scène. Il y a un état qu’il faut trouver à chaque scène, à chaque moment de la pièce. Dans le cas de Georges & Georges, comme c’est une comédie presque vaudevillesque puisque basée sur Feydeau (même si c’est Eric-Emmanuel Schmitt qui a écrit la pièce, attention !), ça reste des portes qui claquent, des courses-poursuites ; je rentre par une porte et en sors par une autre en étant quelqu’un d’autre… C’est très physique.
Donc, en fait, il s’agit ici de trouver plusieurs états ?
(Rires). Mais dans cette pièce, c’est un état par seconde qu’il faut trouver ! Et en plus, il y a quelque chose de très drôle que je peux dire parce que c’est ce qui ouvre la pièce : Georges Feydeau est chez lui et il est victime d’une inversion. C’est-à-dire que son corps exprime le contraire des émotions qu’il ressent. Si par exemple, on lui raconte une blague. Au lieu de rire, il pleure. Et si on lui raconte quelque chose de dramatique, au lieu de pleurer, il rit. Donc, on imagine combien cela peut créer des situations cocasses à jouer.
Peux-tu nous en dire plus sur ton personnage dans la pièce ?
Mon personnage, c’est Georges Feydeau, le fameux auteur dramatique, la légende du vaudeville. Il est chez lui. Il a déjà un certain succès mais il a un problème : il n’arrive pas à finir sa dernière pièce. La pièce doit démarrer dans trois semaines au Palais-Royal. Le directeur du Palais-Royal lui envoie son assistant pour essayer de récupérer la pièce. Il a des huissiers aux fesses parce qu’il ne paie pas ses dettes et qu’il adore jouer. Il a sa femme qu’il ne supporte plus parce qu’avec son problème d’inversion, il est avec elle complètement à côté de la plaque, à chaque fois. Il y a donc un médecin, le docteur Galopin qui vient pour essayer de le guérir. Il est joué par Alexandre Brasseur. Donc c’est un mélange de pièces de Feydeau, d’Ionesco et la mayonnaise, c’est Eric-Emmanuel Schmitt ! (rires)
Qui secoue le shaker…
… Et nous le sert frais et frappé ! (rires)
C’est la première fois que tu joues avec Alexandre Brasseur. Comment cela se passe ?
Très bien. Il est charmant, très heureux d’être sur le projet. C’est quelqu’un que j’avais déjà rencontré et humainement que je trouve très sympathique. Il est parfait pour le personnage. Pas que lui, d’ailleurs, toute la troupe !
Il faut trouver ensemble ce rythme. Est-ce qu’il y a ici des indications de Steve Suissa pour trouver ce rythme ?
Alors avec Steve, on part toujours de la vérité. Même sur une pièce qui paraît absurde et où mon personnage est complètement improbable, il faut trouver la vérité là-dedans. Et une fois qu’on a trouvé la vérité, on peut donner le rythme. Parce que le rythme est capital pour une pièce comme ça. Le rythme c’est un effet comique que vous pouvez produire une demi-seconde avant et ça ne produit pas le même effet. Donc c’est que de l’horlogerie.
Mais avant l’horlogerie, il faut savoir pourquoi on dit certaines choses et comment on les ressent. C’est tout le travail de Steve en ce moment. Et j’avoue qu’avec les comédiens de la pièce, je me régale. On joue véritablement ensemble. Il n’y a pas de rôle principal dans cette pièce. Il n’y a pas la star d’un côté et les second rôles de l’autre. Et c’est ça qui est agréable. Tout le monde a une vraie partition à jouer. On se renvoie la balle du mieux qu’on peut. C’est une pièce de troupe.
Quelles sont les pièces de Feydeau que tu as en tête pour jouer sur scène ton personnage ?
Ma référence ultime, à chaque fois que je pense à Feydeau, c’est Le Fil à la patte par la troupe du Français, avec Robert Hirsch, Charon, Piat, Duchaussoy, etc. Toute la troupe de l’époque qui avait créé un Fil à la patte mémorable.
Après j’en ai vu plein d’autres, très bien montées. Dont une, il n’y a pas si longtemps, je crois que c’était la pièce en un acte Feu la mère de Madame et l’autre s’intitulait Léonie est en avance par la troupe de Marc Fayet.
Jusqu’à présent je n’avais jamais joué du Feydeau, je le connaissais simplement qu’en tant que spectateur. Et là, ce n’est pas non plus totalement du Feydeau puisque c’est aussi du Schmitt ! Mais les codes restent les mêmes. Avec les apartés, par exemple. Feydeau fait parler ses personnages au public. C’est quelque chose que je n’ai jamais fait. J’avais, il est vrai, la chaire dans L’Affrontement mais c’est un autre personnage dans un endroit différent. Là, il y a vraiment des ruptures. C’est du pur Feydeau et ça m’excite beaucoup de faire ça.
« Ma pâte, c’est la scène ! »
Est-ce que tu as pu en profiter pour parler de tout ça à Eric-Emmanuel Schmitt ?
Il est venu effectivement aux répétitions. Et bien évidemment, ça part tellement dans des délires par moment, qu’il faut qu’on sache vers où il a voulu aller, surtout avec ses personnages parce qu’il faut comprendre. Parfois, c’est tellement fou que c’est bien d’avoir l’auteur avec nous dans la salle. Eric-Emmanuel est venu la semaine dernière ; on a fait toute une séance de travail avec lui et il a rectifié des choses.
Ce sont des répétitions qui se font déjà dans les décors…
En effet, comme on tu peux le constater ici mais on ne travaille pas encore avec les costumes. On a la plupart des accessoires même si on n’a pas encore les lumières ni les sons. Mais au moins, on a ce qui a de plus important dans les comédies, ce sont les portes. Il y en a quand même huit ! Elles sont très importantes pour travailler le rythme. On a pu travailler avec dès le mois de juin.
Question atrocement bateau, mais quand même, j’ose la poser. Tu es issu d’une famille d’artistes et pourquoi avoir choisi le métier de comédien ?
J’aurais pu choisir autre chose, en effet, tu as raison. Il y avait l’écriture, la mise en scène, le chant. Mais c’est vrai que pour moi, le plaisir que je prends en tant que spectateur à voir un acteur, un spectacle, part du même plaisir que j’ai à être sur scène, à être acteur. Petit déjà, j’adorais les acteurs. J’étais fan et je le suis toujours d’ailleurs. Je trouve ça merveilleux de monter sur un plateau, de faire rire les gens, de les faire pleurer ou de les faire réfléchir.
Alors, c’est très égocentrique un acteur. Tu penses pouvoir monter sur un plateau en jouant le personnage et le rendre intéressant. Mais, c’est plus dans la notion de plaisir que j’ai pris en tant que spectateur qui m’a donné envie de monter sur scène.
Par rapport à ma famille, c’est vrai que j’ai baigné dedans, donc j’ai eu accès à ça très vite. J’aurai été fils de boulanger, j’aurai été dans la farine, pétri la pâte dès mon plus jeune âge (rires). Mais là en l’occurrence, ma pâte, c’est la scène !
En tant que spectateur, tu continues à voir beaucoup de spectacles ?
Oui dès que je peux. C’est le problème et l’avantage quand on joue beaucoup car sur les quatre dernières saisons, j’ai pas mal joué. Avec L’Affrontement, j’ai eu pas mal de breaks donc j’ai pu voir beaucoup de spectacles. Je vais voir d’abord les copains, bien sûr. Et quand il m’arrive d’aller à l’étranger, à Londres ou à New York, par exemple, j’y vais principalement pour voir des spectacles.
Et à propos de l’étranger, j’ai vu que tu avais justement démarré ta carrière là-bas.
Oui, j’ai démarré ma carrière à New York. C’est ma culture aussi ! J’ai baigné dans l’univers anglo-saxon : les acteurs, le music-hall, la comédie musicale. La plus grande claque en comédie musicale que j’ai reçu, c’est avec Billy Elliott. C’est merveilleux. Donc dès que je peux, je vais voir des spectacles.
J’ai vu Trahison à New York avec Daniel Craig et Rachel Weisz, à Londres j’ai vu Kevin Spacey jouer Richard III, Jude Law jouer Henry V et Hamlet… Quand il y a des événements comme ça, j’économise pour aller les voir parce que ce sont des choses qui me nourrissent énormément. D’aller voir Kevin Spacey joue Richard III, je te jure que quand tu sors de ce théâtre (le Old Vic), tu regorges d’idées, d’envies, de désirs. C’est important et un metteur en scène, idem doit voir le travail des autres mises en scène. Il faut rester connecté avec ce qui se fait. Les acteurs qui ne vont pas voir le travail des autres acteurs, je ne comprends pas.
Comment s’articule pour toi, une journée-type quand tu es engagé à jouer le soir au théâtre ?
Pour moi, le théâtre, c’est vraiment ma passion. Je serai très heureux de tourner plus mais quitte à choisir entre cinéma et théâtre, j’irai toujours vers la pièce de théâtre parce que mon plaisir est de jouer avec un public vivant. Revenir tous les soirs… J’aime le rythme qu’impose le théâtre.
J’ai mes journées pour tourner ou répéter un autre spectacle mais c’est assez rare. La plupart du temps, je me consacre que sur le soir et c’est ça qui me préoccupe. Alors je me lève très tôt, maintenant que j’ai une petite fille mais c’est à partir de quinze heures que je commence à penser à la représentation du soir. Après, il faut s’entretenir physiquement aussi parce que jouer tous les soirs, pour le corps, il faut qu’il se mette en route. Il ne faut pas croire que le comédien ne travaille que le soir non plus.
Il y a forcément la représentation dans un coin de ta tête…
Toujours. Tu te lèves et tu penses déjà à la représentation de la veille. Il y a aussi derrière ça, la notion de rendez-vous. L’horloge tourne. C’est très agréable, ce rendez-vous. Tu sais qu’à telle heure, tu devras être là et que tu devras être bon. Quoiqu’il te soit arrivé dans la journée, il faut que tu aies l’énergie, la bonne humeur. C’est le rendez-vous du soir.
Et le trac peut intervenir ?
Le trac intervient tout le temps, principalement aux premières. Surtout sur une création comme Georges & Georges. Ensuite, il s’estompe un petit peu mais il est très important car c’est le moteur. Le trac, finalement, ce n’est pas de la peur, c’est l’envie de bien faire. On peut avoir une angoisse supplémentaire quand il y a des gens qu’on connaît dans la salle. On se met une pression supplémentaire qui, en fait, est idiote parce que la pièce reste la même. Mais cela donne des enjeux différents tous les soirs.
A propos de Francis Huster avec qui tu as beaucoup joué lors de L’Affrontement, que retiens-tu de cette collaboration ?
J’ai beaucoup travaillé avec lui, en effet, et il y a une centaine de dates prévues pour la tournée prochaine de la pièce. Ce que je retiens de Francis, c’est qu’il n’est pas un fou des répétitions. Il répète peu. Et il a quelque chose que j’admire beaucoup, c’est qu’il se surprend toujours. Il déteste la monotonie. Donc il change tous les soirs. Lors des premières, il reste le même parce que cela peut être très décontenançant. Mais une fois qu’on a confiance dans le spectacle. Une fois qu’on a compris que le spectacle fonctionnait, ce qui a été le cas assez vite avec L’Affrontement, il change.
Pour moi, c’est la plus belle leçon : au théâtre, tu peux jouer tous les soirs la même chose et varier un petit peu mais avec quelqu’un en face de toi comme Francis Huster qui varie beaucoup, ça t’apprend à t’adapter. Après avoir joué 200 dates avec Francis, il ne peut plus rien m’arriver (rires). Les décors peuvent tomber, les lumières s’éteindre, tu te dis que ce n’est pas grave : tu connais ton texte, tu connais ton personnage, tu connais la situation, tu as confiance en ton partenaire…
Par exemple, on a joué L’Affrontement en Corse où on n’avait pas de décors, juste nos costumes et deux chaises et ça a très bien fonctionné. Je ne dirais pas que je vais devenir comme Huster, car c’est quelque chose que je ne pourrais pas faire, je pense. Mais cela m’a appris que je pouvais m’adapter à un acteur comme Francis, qui n’est pas n’importe qui et c’est assez valorisant.
Un grand merci à Davy Sardou et toute l’équipe du Théâtre Rive-Gauche pour cet entretien. Georges & Georges D’Eric-Emmanuel SCHMITT Mise en scène de Steve SUISSA Avec Davy SARDOU, Alexandre BRASSEUR, Christelle REBOUL, Véronique BOULANGER, Zoé NONN et Thierry LOPEZ. Scénographie (décors) : Stéfanie JARRE,Lumières : Jacques ROUVEYROLLIS,
Costumes : Pascale BORDET,
Musique : Maxime RICHELME
Assistant mise en scène : Stéphanie FROELIGER Actuellement au Théâtre Rive-Gauche, plus d’infos sur sur les horaires et billetterie: ici ! Rejoignez aussi la page Facebook de la pièce: https://www.facebook.com/georgeszetgeorgesautheatrerivegauche