Chronique cinéma : From Dinard with Love
A cette époque de l’année, quand l’été peu à peu se retire, il se produit à Dinard, depuis vingt-neuf ans, un étrange phénomène : en plus des mouettes dinardaises, jacassantes et virevoltantes, viennent se greffer, à la sortie du Casino, du Palais des Festivals ou des autres cinémas de la ville bretonne d’autres étranges oiseaux : les festivaliers de cinéma.
Ils ont ici la particularité de parler français et anglais. Les soirées d’ouverture et de clôture, ils foulent fièrement le tapis rouge en tenue de pingouin. Étrange mais sympathique faune, qui le sourire aux lèvres (on est au pays du cinéma pendant quatre jours), échangent leur point de vue dans la langue de Shakespeare et de Molière. Parfois même, on peut surprendre des oiseaux anglais parler en français et réciproquement.
En effet, la scène la plus drôle à laquelle j’ai été témoin cette année était deux journalistes français, autour d’une machine à café rutilante qui ne fonctionnait pas, se parler dans un anglais très correct, jusqu’à ce que l’un des deux s’exclament : « Merde, comment on dit ça, déjà ? »…
Cocasse (le mot est faible) était aussi la gestion des relations presse. Tandis que les membres du jury (dont la présidente cette année était la sublime Monica Belluci) attendaient patiemment l’arrivée des journalistes pour de courts entretiens censés être nombreux et minutés, de nombreux journalistes se retrouvaient refoulés à l’entrée face à une fausse mine contrite de l’attaché de presse (coupable mais au fond ravi de son coup) : « Vraiment désolé mais cela ne va pas être possible, tu le comprends bien, n’est-ce pas ? ».
En fait, non, j’avoue, je ne le comprends toujours pas. Pourquoi faire régner le système des castes indiennes quand très peu de journalistes « VIP », au final, s’étaient déplacés pour l’événement ? Comment Alex Lutz, prêt à braver les foules de journalistes surexcités, se retrouvait immanquablement seul à sa table, dans une posture de job dating qui avait bien foiré à un moment donné ?…
Une programmation éclectique et de grande qualité
Mais revenons à quelque chose de plus constructif : la programmation du Festival ! Cette année, elle se révéla de haut niveau. Le film d’ouverture, Breathe, qui raconte l’histoire vraie de Robert Cavendish, nous a mis KO en moins de deux. Incarné avec brio par Andrew Garfield et Claire Foy (The Crown), ce couple qui se marie à la vitesse éclair à la fin des années 40 après s’être brièvement rencontré dans une garden party anglaise va devoir affronter un obstacle immense et qui aurait pu en briser plus d’un : la polio, dont est subitement atteint le mari, l’empêche à tout jamais de pouvoir vivre comme avant. Paralysé dans ce corps, dont seul son visage peut se mouvoir, cet homme au physique de cinéma, promis à un avenir radieux, va pourtant, malgré cette maladie terrifiante et mortelle, connaître le bonheur malgré tout, grâce au soutien et à l’amour indéfectible de sa femme. Beaucoup de gens dans la salle (dont moi !) pleuraient comme des madeleines à la sortie.
Le lendemain matin, parmi les films en compétition, était projeté The Happy Prince de et avec Ruppert Everett. L’histoire méconnue des dernières années de la vie d’Oscar Wilde, irrémédiablement brisé, suite à son incarcération de deux ans pour travaux forcés dans la pire des prisons anglaises de l’époque. Dans le choix des éléments de son récit, de son cadre, de ses comédiens, décors et costumes, jusqu’à sa propre interprétation habitée du rôle-titre, Ruppert Everett se révèle éblouissant.
L’émotion était également au rendez-vous dans le premier long métrage du réalisateur irlandais Nick Kelly, adorable à rencontrer en coulisses (n’en déplaise au service de presse de Dinard !). The Drummer and The Keeper relate avec beaucoup d’humour et d’émotion cette histoire d’amitié, au début forcée mais finalement plus que bénéfique, entre un musicien bipolaire de 24 ans à tendance suicidaire et un jeune homme de 17 ans, atteint de la maladie d’Asperger. C’est un message très fort que le cinéaste, lui-même père d’un jeune autiste, veut livrer à ses spectateurs : par l’entraide et l’amitié très fortes, deux personnes autistes peuvent apprendre à se reconstruire et à vivre de façon indépendante. « Je n’ai pas voulu proposer non plus une fin trop rose, la maladie sera toujours là, mais je crois beaucoup en la force de l’amitié. », nous a précisé le scénariste et réalisateur de ce film, qui a patiemment attendu sept ans afin que le film puisse enfin exister sur grand écran.
Autre gros coup de cœur, Old Boys où le réalisateur anglais, Toby Macdonald, féru de cinéma français, revisite Cyrano de Bergerac en plaçant son intrigue dans un collège de garçons anglais très strict, dans les années 80. Son jeune interprète, Alex Lawther, compose un collégien martyrisé et peu sûr de lui, jubilatoire. Son intelligence, sa créativité et sa passion de la réalisation vont venir à sa rescousse pour courtiser, sa Roxane à lui, incarnée par la pétillante Pauline Etienne.
Le public qui lui a décerné son Hitchcock, ne s’y est pas trompé. N’est-ce pas finalement la récompense suprême, celle du public « qui a toujours raison » ?…
Le palmarès du Dinard Film Festival 2018 : Grand Prix – Hitchcock d’or Long métrage : Jellyfish de James Gardner Prix du scénario : Jellyfish de James Gardner Prix du public : Old Boys de Toby Macdonald Prix Coup de cœur : The Bookshop d’Isabel Coixet Prix de la critique : Jellyfish de James Gardner
Crédits photos : Sur le tapis rouge de Dinard, Alex Lawther et Pauline Etienne, par Mireille Ampilhac.