Rencontre avec l’équipe artistique du Canard à l’Orange
Ce soir-là, en compagnie d’autres blogueurs théâtre chouchoutés, j’ai eu l’opportunité de rencontrer les comédiens et le metteur en scène du Canard à l’orange, la pièce « tordantissime » de William Douglas Home, en ce moment à l’affiche du théâtre de la Michodière, où, rappelons-le, la pièce avait été créée pour la première fois avec un certain Jean Poiret. Petits extraits de la rencontre…
Sur l’ambiance de travail
« On est copains dans la vie donc ça nous a vraiment facilité les choses dans les prises de décisions essentielles de la pièce, des personnages… On s’est trouvé très vite, en fait, dans nos rôles, à notre place. C’est un travail très joyeux », explique Nicolas Briançon qui joue et met en scène la pièce.
« Et ce qui est génial, c’est que ça l’est toujours ! », précise la comédienne Sophie Artur.
« Et on vient tous les jours avec le sourire aux lèvres ! », ajoute François Vincentelli.
Ce qui est jubilatoire à jouer…
Alice Dufour : « Mon personnage a deux visages, et c’est ça qui est agréable à jouer. J’aime aussi beaucoup quand le corps est engagé au théâtre, jouer avec cette posture-là et pouvoir ensuite défaire tout ça et retomber dans quelque chose de plus spontané.
François Vincentelli : Souvent et c’est très agréable, il y a de l’écoute avec ce personnage puisqu’il est en retard d’une guerre à chaque fois, dans toutes les vannes. C’est un « dîner de cons » dans un cottage anglais.
Anne Charrier : Pour moi, c’est la lâcheté et la mauvaise fois. Ce personnage a une idée d’elle qu’elle n’est pas. Elle est persuadée qu’elle est plus forte, plus grande. Et donc cette glissade pendant une heure et demie, elle la réalise assez tard. Elle se dit toujours qu’elle va trouver une solution. C’est une partie d’échecs où au début, elle croit qu’elle peut jouter. Et ça je trouve ça très joyeux. Un personnage comme ça qui glisse.
On ne peut pas parler de ridicule à côté de lui (désignant François Vincentelli). Il emporte tout le ridicule du monde. Mais il y a une forme de ridicule chez elle : elle croit vraiment qu’elle va pouvoir le battre, avoir raison. Et… non !
Sophie Artur : Alors le plus joyeux, pour moi, c’est de composer ce personnage. La composition est aidée, bien évidemment, par le maquillage, la perruque, ce costume improbable. Devoir composer un personnage qui nous rappelle furieusement quelqu’un qu’on a beaucoup connu et s’en rapprocher le plus possible. Avoir aussi l’impression qu’on est une pierre angulaire du bâtiment alors qu’on est interchangeable et qu’en fait, on s’en fout. C’est cet air d’importance qui m’amuse beaucoup.
Nicolas Briançon : Quand on a commencé le travail, j’ai dit à Sophie : ton personnage est sur une note. Je crois que le secret de ce personnage est qu’elle est sur une note et c’est tout, toujours la même. Et c’est le fait qu’elle revienne comme ça constamment qui finit par emporter l’affaire.
Parce que parfois quand on est acteur, on se dit qu’il faut varier, qu’il faut faire quelque chose de différent, etc. Mais en fait, c’est en tapant tout le temps dans le même point qu’elle gagne.
Quant à moi, le personnage que j’interprète flirte tellement avec la folie, l’alcoolisme, le plaisir du jeu que forcément ça rejoint des bonheurs d’acteur. C’est-à-dire que jouer un personnage qui adore jouer, c’est comme si on vous demandait d’être acteur « encore plus ».
C’est cette espèce d’effet multiplicateur du jeu dans le jeu qui est euphorisant, parce qu’il peut presque tout se permettre.
Pourquoi, selon vous, Liz quitte Hugh, son mari ?
A.C : Je pense que l’humour de Hugh l’a séduite mais c’est aussi à cause de son humour qu’elle part. Elle n’en peut plus de ce bel esprit. Elle n’en peut plus. Il la fatigue aussi pour ça. Il ne l’écoute pas.
N.B : Je pense qu’elle part parce qu’il ne s’en occupe plus, surtout.
A.C : Elle est très sensible et lui tourne tout en dérision. Il est dans un cynisme et une dérision permanente. Elle n’en peut plus de ça. Elle a envie qu’on l’écoute, elle a envie d’un « lapin à bretelles ».
N.B : Elle a envie mais elle ne partira pas avec !
A.C : Ben non, elle sait bien ! (rires). J’ai trouvé ce personnage difficile à appréhender.
N.B : Quand cela s’est créé en France, c’est Geneviève Page qui l’a jouée avec Poiret. Elle arrivait du TNP de Vilar où elle jouait Andromaque, Brecht,… Elle ne venait pas du tout du boulevard et de la comédie. Et Christiane Minazzoli qui a repris derrière, c’est pareil, c’est une actrice qui venait aussi du TNP, qui avait un peu plus l’expérience du théâtre dit de boulevard mais qui avait la formation d’une comédienne assez rigoureuse. De toute façon, je trouve que ce théâtre-là, il ne fonctionne que si on est rigoureux. Si on se met à faire n’importe quoi, un concours de pets à aller chercher le public sur de la grosse caisse, ça finit par ne plus fonctionner.
Et je trouve que c’est ça la beauté, la grandeur de ce théâtre-là : il exige une rigueur. Comme Feydeau d’ailleurs. Si vous n’êtes pas sincère en jouant Feydeau, c’est plus drôle.
A.C : ça ne marche pas en jouant de façon appuyée parce que le texte est plus fort que les interprètes. Le texte, si vous ne le servez pas, il vous écrase. On sert toujours le texte mais il y a des textes avec lesquels on peut s’offrir des espaces de recherche de liberté. Là le texte il vous écrase. Ce que François disait tout à l’heure, si vous ratez un temps derrière, à trois répliques, il y a une sanction.
Jean Poiret, un fantôme gênant ?
N.B : Non, je ne me pose jamais ces questions parce que sinon, on ne ferait plus rien. J’ai évacué ça. Je n’avais pas vu Le Canard à l’orange mais Joyeuses Pâques avec Poiret quand je suis arrivé à Paris dans les années 80. Alors que j’avais plutôt tendance à jouer les grands classiques, etc, je déboule au Palais Royal avec Pacôme et j’ai vu ce spectacle 7 fois tellement je l’ai aimé. Je l’ai revu après avec Fabian. Je l’ai même vu jouer par Pierre Mondy à l’Edouard VII et j’étais fasciné par le numéro d’équilibriste de Poiret qui était en scène, d’une magie !
Ce que je voulais retrouver c’était le plaisir et la magie que j’avais ressenti lors de ces représentations, c’est-à-dire ce plaisir que peut donner le boulevard où on est vraiment dans ce qu’on appelle le « théâtre bourgeois » et qui n’est pas péjoratif dans ma bouche : un moment où pendant deux heures, on s’assied et l’on est dans un sentiment de plaisir confortable.
Et puis, Poiret ne jouait pas seul. Il jouait avec Pacôme, avec Kalfan, avec une bande d’acteurs formidables.
Quand j’ai pensé au Canard à l’orange, l’idée c’était de le faire avec la bande de « putains de bons acteurs » qui sont là, qui ne sont pas des faire-valoirs, qui incarnent, avec lesquels vous jouez, vous échangez, vous vous affrontez en scène. Par exemple quand on joue avec Anne, la première scène de l’Acte I, on ne se lâche pas. Et d’ailleurs, on se le dit le soir : « Je t’aurai ! » avant que ça commence et on part ! Cela vous met dans une vraie écoute de jeu. On ne peut pas jouer seul. On ne peut pas construire seul. Le jeu, comme son nom l’indique nécessite un partenaire, quelqu’un en face de vous et qui soit meilleur que vous. C’est encore mieux quand il est meilleur parce qu’il vous emmène, il vous entraîne.
Pourquoi ce texte ?
N.B : Il se trouve qu’il y a six ou sept ans, un directeur de théâtre qui était à l’époque un tourneur, m’a dit : « Tu devrais relire le Canard à l’orange, il faudrait le monter avec des stars. » Et l’ironie dans tout ça, c’est que je me suis tout de suite dit : « Putain, je le jouerai bien ! Et ça me faisait chier de mettre en scène des stars…
A.C : C’est sympa pour nous !… (Rires)
N.B : Et je réponds au tourneur en question : « Ecoute, je ne sais pas, oui, peut-être… Est-ce que ça n’a pas un peu vieilli… Comme les directeurs de théâtre ont facilement très peur parce qu’ils mettent de l’argent sur un spectacle, il s’est dit « Oh la la, ça a vieilli, il faut pas y toucher ! » Et le truc est resté comme ça !
Et puis j’ai recroisé Anne avec qui on avait déjà beaucoup tourné et on s’est dit que ce serait bien de trouver un texte à jouer ensemble.
Dans le même temps, j’animais un stage où François avait envoyé Alice qui avait envie de jouer et j’ai découvert Alice.
A.C : Et moi j’avais joué avec François !
N.B : Et François c’est un vieux copain. Je le connais depuis Château en Suède qu’il avait joué au Saint-Georges avec Nicolas Vaude il y a très longtemps, etc. Et tout d’un coup, je ne sais pas pourquoi, par hasard je relis Le Canard à l’orange et là je vois Anne, je vois François, je vois Alice et Sophie avec qui on avait fait les 400 coups, quand toi, Anne tu étais bébé…
A.C : Oh oui, enfant !
N.B : Je me souviens, c’était un mercredi et je leur ai dit : « Dimanche, vous venez à la maison et on fait une lecture ! » On a fait une lecture entre nous et on s’est tellement marré !
A.C : Et pourtant, on l’avait tous lu de notre côté, en se disant : mouais, faut voir ! Mais à la lecture, ça a été une évidence !
N.B : Comme je dirige le Festival d’Anjou, on a fait une création là-bas et ça a cartonné ! Richard Caillat est venu me voir là-bas et m’a dit : « Mais c’est pour la Michodière ! »
Mon avis sur la pièce :
Figurez-vous que j’ai eu un véritable « crush » pour cette comédie et sa mise en scène si délectable de Nicolas Briançon. A tel point, que je l’ai vu deux fois et que je ne serais pas contre une troisième !..
Dans ce cocktail de comédie détonant, « au shaker pas à la cuillère », on y retrouve de furieuses accointances avec Guitry, Feydeau, Wilde et même Richard Curtis (l’auteur de Quatre Mariages et un Enterrement).
Pas étonnant que Jean Poiret l’ait déjà en son temps jouée, explorée avec tout le talent comique qu’on lui connaît.
Ici Nicolas Briançon adapte la pièce et met en scène une troupe solide de comédiens qu’il connaît bien et dont la direction visiblement fonctionne comme sur des roulettes, avec le plaisir en plus palpable des comédiens l’interprétant.
Un plaisir communicatif, bien entendu !
Le Canard à l'orange De William Douglas Home Mise en scène de Nicolas Briançon Avec Nicolas Briançon, Anne Charrier, François Vincentelli, Alice Dufour et Sophie Artur Théâtre de la Michodière Crédits photos : Céline Nieszawer - Photo de Jean Poiret et Christiane Minazzoli (droits réservés)