Dimitri Rataud, acteur dans toutes ses formes
Cela fait depuis longtemps que je souhaitais interviewer Dimitri Rataud que j’avais croisé à plusieurs reprises au théâtre et dont j’avais apprécié plus récemment son travail de mise en scène de L’Ombre d’Alma Brami. Auteur, acteur, metteur en scène, professeur de théâtre et doubleur, Dimitri est comme il se décrit lui-même en riant, un vrai « spécialiste de l’acteur ».
Comment t’es venue l’envie d’écrire L’Amour comme un haïku* ?
Au début, l’idée n’était pas de créer un livre mais bien un spectacle. Je rêvais de faire un spectacle de haïkus et de rassembler mon goût du jeu au service des haïkus, qui sont en fait, mes deux passions.
Il n’existe pas de spectacles de haïkus, même au Japon ! Et je me suis dit que le haïku, c’était d’abord un sentiment, quelque chose d’extrêmement personnel, une émotion. Je trouvais ça justement intéressant de le faire incarner par un acteur. J’ai écrit mes haïkus en sachant qu’ils allaient être dits, criés, murmurés, en larmes. J’ai joué sur les sentiments profonds de cette poésie.
Jouer un haïku sur scène est un vrai défi, déjà de par sa forme très courte…
Oui et c’était ça qui était génial : un haïku, c’est trois lignes. C’est très bref. On dit que c’est le temps d’un souffle. Et justement j’avais 100 haïkus et donc 100 scènes de théâtre à trouver. Chaque haïku, est en soi une histoire, une petite scène absolument merveilleuse de cinéma. Et, les unes à côté des autres, en résulte une magnifique parure. A travers ses mille petites pierres différentes, on découvre son harmonie.
« Poser mon propre regard sur le monde »
C’est avant tout un projet très personnel ?
Tout à fait. C’est moi qui le jouait et il fallait que j’aille chercher ça en moi.
Je fais une toute petite parenthèse : quand je suis sorti du Conservatoire, mon premier acte théâtral, ma première création, fut de monter les haïkus de Claudel, Cent phrases pour éventails, écrits quand il était ambassadeur au Japon.
J’avais appelé la Maison de la Poésie à ce moment-là. Ils avaient accepté tout de suite et m’avaient donné carte blanche. Je l’avais donc joué pendant un mois ou deux à la Maison de la Poésie.
Et donc je voulais le refaire. J’étais parti au départ sur les haïkus de Kerouac. Pendant un mois, j’avais réalisé un vrai travail de montage. Mais à un moment, il y avait un truc qui résistait en moi. Il manquait quelque chose de plus personnel et j’ai décidé d’écrire moi-même ces haïkus, probablement moins bons que ceux de Kerouac, que tous les autres avant moi, d’ailleurs ! Mais en tous cas, ils seraient les miens ! J’ai donc écrit mes haïkus pour poser mon propre regard sur le monde.
Et donc, tu comptes rejouer ce spectacle ?
Oui, tout à fait. On devait le jouer cette année. Mais à présent, on a pour projet de le jouer l’année prochaine, toujours au Théâtre de la Reine Blanche où j’ai déjà fait deux représentations exceptionnelles lors de la sortie du livre.
La salle était pleine avec beaucoup de jeunes et de gens qui n’avaient jamais entendu parler d’haïkus et qui en sont sortis avec le goût nouveau de ça. Il y a eu quelque chose de très joyeux qui en est ressorti !
Comment cela va se passer l’année prochaine pour ton spectacle à la Reine Blanche ?
Il s’agit de faire 4 séries de représentations, une par saison, parce que c’est très « japonais », très « haïku ». Donc il y aura L’amour comme un haïku du « printemps », de « l’été », etc…
Et les quatre formes seront différentes. Seul le texte ne changera pas. Donc les gens pourront venir quatre fois s’ils le souhaitent, voire plus ! (Rires).
Il y aura une version « duo » que je suis entrain déjà de travailler avec une actrice japonaise. Elle lira le texte en japonais et moi en français, parce que c’est une histoire d’amour, une histoire de rencontre.
Une autre version avec un mec dingue que j’ai rencontré et qui est le pianiste de Lady Gaga en tournée et travaille aussi beaucoup avec Jean-Michel Jarre.
Et mon projet avec lui, c’est de faire une série de ce spectacle-là avec ses instruments incroyables et en improvisation.
Après il y aura une version avec une danseuse et je garde une quatrième version pour l’instant d’une rencontre que je vais faire dans l’année ! Je me garde aussi ça, afin qu’il y ait un vide que je comblerai en fonction de la rencontre.
« Aller de l’autre côté, derrière la porte »
Comment décrirais-tu ta joie de mettre en scène ?
C’est une jolie question. Ma joie de la mise en scène part toujours de l’acteur.
Selon moi, il n’y a pas d’un côté la mise en scène et de l’autre la direction d’acteurs. Je ne suis que focalisé sur l’acteur parce que je suis acteur. Je suis d’abord un directeur d’acteurs, ce qui m’amène après à des actes de mise en scène.
J’amène l’acteur au plus près du personnage comme selon moi aussi, le personnage est aussi au plus près de l’acteur. Donc si je te dirige dans n’importe quel rôle, je vais essayer d’aller au plus près de toi, Laetitia, pour toucher le rôle.
Et les grandes joies sont là quand tout à coup, on rencontre profondément l’individu, que soudain, le rôle se superpose et que toute la mise en scène s’aligne quand on arrive à ça. Mais pour moi le cœur, il n’est que là.
Dans L’Ombre, tu mets en scène une personne seule, une femme, comme dans La Voix humaine que tu as mise en scène aussi. Cela doit être un terrain intéressant à explorer pour un homme et un directeur d’acteur ?
C’est vrai que ce n’est pas anodin. Et je travaille souvent avec des femmes.
Il y a un truc particulier chez les actrices, d’abord une distance que je n’aurais pas avec un homme. Pour moi, ça me permet inconsciemment d’aller chercher ce mystère de l’autre et je trouve qu’une direction d’acteur, c’est d’abord une rencontre.
Et la rencontre pour moi, se fait plus naturellement avec une actrice.
Ce qui m’intéresse, c’est d’aller chercher du féminin dans le travail. Et après, si ce sont des actrices que je mets en scène, c’est aussi parce que ce sont des actrices qui racontent des histoires de femmes. Toujours des histoires d’amour mais de l’autre côté. Et ça m’intéresse vraiment d’aller de l’autre côté, derrière la porte.
Dans L’Ombre, c’est écrit et joué par une femme. L’auteure et la comédienne m’ont beaucoup appris sur leur point de vue mais en même temps, moi aussi, je leur ai donné le mien.
Ensemble, on se met en difficulté et ça permet d’aller plus loin dans ce qu’on raconte à travers le sujet.
C’est une toute petite histoire, vraiment très simple. Mon père est plutôt sportif. Ma mère, prof de Lettres donc elle m’a fait aimer la littérature.
Il se trouve que j’étais au lycée à La Roche-sur-Yon et sur le chemin pour aller au lycée, il y a un petit théâtre municipal magnifique. Sur la place de ce théâtre, un bistro avec une terrasse. Et souvent s’y trouvait le directeur du théâtre, Alain Sabaud, un vieux monsieur.
Et avec lui, j’ai très vite sympathisé. Il m’a dit : « Tu viens quand tu veux, après les cours ! »
C’est donc le lieu qui m’a fait aimer le théâtre. J’aimais être dans ce lieu, dans le velours, parfois pour rien, fumer une cigarette, aller dans les loges, sur la scène… Etre partout !
Quand j’ai dû choisir ce que je devais faire plus tard, Alain m’a suggéré que la solution pour rester dans ce théâtre, c’était de « faire acteur ». J’ai appris par la suite qu’il venait à chaque première de mes spectacles et qu’il payait sa place, sans me le dire. Et il a fait ça toute sa vie. C’est bouleversant !
« Le vrai travail à faire, c’est un travail sur soi. »
Comment s’est passée ta formation de comédien ?
Un professeur surtout m’a vraiment marqué, Jacques Lassalle. Je ne connaissais pas grand-chose au théâtre. J’étais allé, deux ans avant d’entrer au Conservatoire, à Avignon, à la Cour d’honneur pour la première fois et j’avais vu le Dom Juan qu’avait monté Jacques Lassalle avec Andrzej Seweryn. Mon premier choc artistique… au-delà de ce que je pouvais imaginer !
Et quand je rentre au Conservatoire, j’ai comme professeur Jacques Lassalle ! Une rencontre hallucinante ! J’étais extrêmement impressionné. Ensuite, je l’ai gardé deux ans comme professeur. J’étais le seul élève qui ne voulait pas changer. (Rires).
Quand je suis sorti du Conservatoire, il connaissait ma passion pour Sarraute et en particulier pour Pour un oui pour un non et il m’a proposé d’être son assistant à la mise en scène avec Nathalie Sarraute qui venait assister aux répétitions.
Le soir après les répétitions, je la ramenais chez elle en voiture, dans le 16ème et prenait un petit whisky. Elle avait près de 100 ans. C’était une aventure extraordinaire !
Et ce que j’ai appris de Lassalle mais des autres aussi, en tout cas s’agissant du « grand enseignement », c’est de cultiver sans cesse une incroyable rigueur, une probité, l’exigence, ne jamais lâcher, tenir au pas de plus. L’intransigeance amène aussi beaucoup de liberté.
Tu es toi-même devenu professeur de théâtre ?
J’ai rencontré Florent à l’occasion d’une sorte de colloque sur les cours privés et les cours publics. Et je défendais, bien sûr, le théâtre public et ses écoles.
J’étais assez « épique » sur la question (rires) et quand Florent est venu me voir à la fin, il m’a dit : « c’est intéressant ce que tu dis, j’ai justement besoin de gens comme toi dans mon école parce que la force de Florent, c’est d’avoir un corps enseignant extrêmement divers. Ça n’est pas un moule. » Là où il a été est très malin, c’est quand il m’a proposé de venir enseigner deux ou trois mois comme ça, « pour goûter un peu, expérimenter ça et qu’il ne demandait aucun résultat ». J’ai accepté à ces conditions et ça fait quinze ans que ça dure ! (Rires)
Enseigner, ça passe par plein de techniques mais ça n’est pas l’essentiel. Je me rends compte vraiment que c’est avant tout un travail sur l’être. Un homme bon dans la vie, tu le mets sur scène, il sera beau. Le vrai travail à faire, c’est un travail sur soi. Et ce travail à faire sur la probité est impressionnant. Soyez quelqu’un de juste, d’honnête et après dans n’importe quel rôle sur le plateau, le rôle sera honnête aussi. C’est un travail magnifique à faire.
Au cinéma, quel est le film où tu as le plus appris ?
Au cinéma, j’ai travaillé avec de très grands réalisateurs mais jamais dans de très grands rôles. Mais mes plus gros souvenirs d’acteur, c’est d’avoir vu comment travaillaient les grands. J’ai des souvenirs de Depardieu (j’ai tourné deux fois avec lui) phénoménaux : le monstre, l’ogre bien sûr, mais le génie de l’instinct aussi. Le fait d’être au plus près de soi en tant qu’acteur. Il n’y a pas un Depardieu en coulisses et un Depardieu sur le plateau. Quand tu le vois, c’est le même. Alors ça pose la question de qu’est-ce que le rôle ? Pour moi, le rôle, ça n’existe pas ! C’est l’acteur ! Si je joue Hamlet pendant deux heures, Hamlet deviendra Dimitri Rataud. Et on me verra, moi, perdre mon père, tuer ma mère. Mais ce moi, ce n’est plus Hamlet et je trouve que Depardieu, c’est vraiment la quintessence de ça !
« Je suis vraiment présent dans tous les endroits de l’acteur. »
Comment es-tu arrivé au doublage ?
Très simple aussi (Rires). Je sortais du Conservatoire et lors des « journées de juin » où l’on présente notre travail aux gens du métier, on me propose de faire des essais voix. Et à l’époque, il y a 20 ans, la synchro, c’était connoté ringard. Je refuse mais on me propose de payer l’essai, 100 francs. J’accepte en vue d’un bon resto. (Rires).
Quelques jours et quelques essais plus tard, on me rappelle pour me proposer un rôle principal avec quelqu’un à doubler qu’on ne connaît pas encore, un certain Jude Law, et ça se passe très bien. Et c’était parti !
Là aussi, c’est un travail passionnant pour un comédien
C’est un travail d’observation et de recherche, j’imagine ?
En fait, il y a « une bonne et une mauvaise façon » de faire la synchro. La mauvaise, c’est de faire de l’imitation, du karaoké… Mais en même temps, c’est ce qui se fait quand il n’y a pas assez de temps. On fait de l’imitation, en reprenant la note, etc.
Je fais un peu mon enfant gâté et je choisis mes films. Au cinéma comme dans les séries, il s’agit surtout de se réapproprier le rôle. Mais toute la difficulté du travail, c’est d’être à la fois soi (c’est moi, Dimitri, qui va le jouer avec ma voix, mon âme, mes émotions) et le rapprocher au plus près à la situation, la technique, la bouche et le jeu de l’acteur.
Un autre truc particulier en synchro est que l’on « parle beaucoup aussi avec le corps ». Il faut aussi traduire cela dans le doublage, dans le fait de bouger, de respirer en même temps que le personnage.
Bref, tu explores toutes les facettes du comédien ?
C’est drôle et c’est un vrai hasard, une chance de dingue ! Je suis vraiment présent dans tous les endroits de l’acteur. Je prends un truc en synchro que je ramène au théâtre, au cinéma, dans l’enseignement. Et puis surtout, ça représente plusieurs métiers parce que je ne travaille pas avec les mêmes gens. Et chaque fois, dans une seule journée, je peux travailler trois fois de façon différente ; même humainement, c’est d’une richesse extraordinaire ! Je ne suis pas du tout enfermé dans quelque chose. Et c’est vrai que ça finit par faire de moi un spécialiste de l’acteur. (Rires).
*L’Amour comme un haïku, Pippa Editions, 2019. Merci à Dimitri pour sa confiance et cette « parenthèse enchantée » partagée. Crédits photo portrait : Charles Nemo.