Une légende à la rue

Après un passage remarqué au Théâtre de la Huchette, la comédienne et autrice Florence Huige pose ses valises à la Comédie Nation pour témoigner d’une rencontre déterminante qu’elle a faite dans la rue, une femme kurde mise au ban de la société. « Sara », telle qu’elle s’est alors présentée à elle, sera assassinée quelques mois plus tard dans des conditions tragiques autant que mystérieuses. Qu’est-ce que la narratrice n’a pas compris en faisant cette rencontre ? C’est ce qu’elle explore ici avec sincérité, détermination et une bonne dose d’autodérision, aussi, dans une mise en scène très attentive de Morgane Lombard.

Voici un récit particulièrement haletant qui nous est ici donné d’entendre. Florence Huige utilise, en effet, la forme du théâtre de narration, hérité des années berlusconiennes où les aides à la culture avaient tout simplement été coupées. L’artiste italien engagé se devait de poursuivre son combat, quitte à faire face à son public, assis sur une simple chaise.

Une rencontre singulière suivie d’une actualité tragique viennent chambouler la femme qu’est Florence Huige. Son enquête acharnée et la façon dont cette héroïne kurde va progressivement l’habiter dans son travail de femme de théâtre, alimentent ce récit où le temps s’abolit progressivement.

Mais qui est Sara ? Assassinée en 2013, Sakine Cansiz, de son vraie nom, née Kurde Alévie en Turquie, a fait de sa vie une lutte pour le peuple kurde en même temps que pour la libération de la femme. Dès 17 ans, elle s’engage politiquement pour la reconnaissance du peuple Kurde. A 21 ans, elle est emprisonnée pendant 13 ans. Durant sa détention, elle est torturée. A sa sortie, elle choisira comme nom de combat « Sara ».

« On est au théâtre et je veux vous en faire sortir »

DSC05538-Caroline-Bottaro

Florence Huige a tenu à monter seule sur scène, mais accompagnée par la metteure en scène Morgane Lombard, pour mieux faire entendre la voix de Sara et par extension celle de son peuple, injustement meurtri par la Turquie depuis plus d’un siècle. « Je ne voulais pas d’une comédienne qui représente Sara. J’assume ma prise de parole et je pense que c’est beaucoup plus fort ainsi. On est au théâtre et je veux vous en faire sortir. », nous explique cette dernière au téléphone.

Ce travail de recherche, d’introspection et d’écriture a pris plusieurs années. « J’étais déterminée à aller jusqu’au bout de ce récit, de cette transmission. Ce travail a changé ma façon d’être. »

Sur scène, il y a cette femme en imperméable, une tenue androgyne voulue pour illustrer cette façon androgyne dans laquelle la société actuelle souvent soumet la femme. Sur scène, celle-ci est en mouvement. Elle n’est pas statique comme dans les mises en scène italiennes des années 90. Elle se parle à elle-même, elle interroge son entourage, elle transmet la voix de Sara. « C’est une voix fidèle à mon souvenir, plus tranchante et qui s’inscrit encore de façon plus forte dans la troisième partie où elle est véritablement en moi. », précise l’autrice. Le travail avec la metteure en scène Morgane Lombard lui a permis également, par ce regard extérieur très précis, d’interroger aussi à sa façon sa démarche d’artiste. De lui donner l’espace de s’exprimer.

« Pouvoir reconnaître l’autre comme une part de nous »

C’est une œuvre qui ne veut en aucun cas imposer un savoir : jamais l’autrice ne se proclame experte en la matière ; elle tient simplement à aller jusqu’au bout de sa démarche de passage de témoin. Elle a  ainsi sollicité l’attention de la communauté kurde à Paris (jusqu’à travailler avec le musicien kurde Issa Hassan pour ce spectacle, rencontre très émouvante pour les deux artistes).

Florence Huige tient surtout ici à rendre visible ce peuple, simplement à la recherche de droits retrouvés, d’une humanité et d’une vie paisible dans des régions autonomes.

Et dans cette rue parisienne où démarre le récit, la narratrice voit en la ville une société où il y a toujours des ouvertures possibles à l’autre. « Pouvoir reconnaître l’autre comme une part de nous ». C’est la gageure particulièrement réussie de ce spectacle. Ne pas passer à côté, ce choix vous appartient à présent.

V485_UNE LEGENDE_0Une légende à la rue

De et avec Florence Huige

Mise en scène : Morgane Lombard

Collaboration artistique : Florence Huige

Musique : Issa Hassan

Scénographie : Charlotte Villermet

Lumières : Maurice Fouilhé

Costumes : Dominique Rocher

Création sonore : Florent Lavallée et Rana Eid Création

Soutenue par : L’Association Beaumarchais-SACD, L’ADAMI Déclencheur, 

le théâtre de la Huchette, le théâtre Aleph-Ivry, 

A la comédie Nation 

Les jeudis 2, 9, 16 et 23 et le samedi 25 février 2023

Le jeudi 2 et le samedi 4 mars 2023

Au théâtre ALEPH 

les jeudis et vendredis 13, 14, 20 et 21 avril 2023

Crédits photo : Caroline Bottaro


 

Post A Comment