Alexis Moncorgé, acteur flibustier
Après le gros succès d’Amok en 2016 (qui lui vaut le Molière de la révélation masculine), Alexis Moncorgé, nous embarque sur les planches du Petit-Montparnasse, dans un récit fort et haletant, sur fond de naufrage, de conquistadors, de choc des cultures et de recherches obsessionnelles d’une cité mythique. Un rendez-vous avec le spectateur mûrement préparé, pour celui qui interprète et signe également l’écriture du texte, accompagné à la mise en scène par la fidèle et talentueuse Caroline Darnay.
C’est dans le Foyer du Théâtre Montparnasse, par un bel après-midi d’été indien (tiens, donc !), que je rencontre Alexis Moncorgé pour me parler de cette nouvelle proposition de théâtre, née de son goût du voyage, quand il jouait Amok.
« J’ai beaucoup voyagé en Amérique du Sud et à travers cette rencontre forte avec cette culture différente, j’ai commencé à lire beaucoup de livres sur cette collision de l’Europe d’avec l’Amérique latine. Et j’ai mis le doigt dans un engrenage. Ça fourmillait de choses, c’était très dense, très fort. Et au milieu de toutes ces histoires que j’ai pu lire, je suis tombé sur celle de cet homme qui marche à contre-courant de son époque, qui tourne le dos à la mère patrie en soignant, de village en village. Je trouvais que le symbole était très fort, sur cette main tendue à l’altérité ».
On ne sait pas grand-chose, au fond, de ce conquistador espagnol, Alvar Nuñez Cabeza de Vaca, dont s’inspire le récit, si ce n’est un rapport militaire de ce dernier envoyé à Charles Quint.
La grande aventure de l’écriture
De quoi permettre à Moncorgé d’explorer, en toute liberté, dans la plume puis dans le jeu, cet univers d’aventuriers du XVIème siècle et de créer ainsi toute une galerie de personnages bien picaresques. Tout ce petit monde, conquistadors et Indiens inclus, a pour obsession de trouver, à tout prix, Eldorado, cité mythique pour les Espagnols et sacrée pour les Indiens, qui en ont depuis perdu la trace. « Tous à sa recherche, ils vont, en fait, tous finir errants. Dans ce sens, je pense que l’histoire de l’Amérique est d’abord une histoire d’exil et d’errance. »
Alexis Moncorgé imagine alors sur scène un décor de désolation, où l’on sent en même temps la matière, la poussière, la plage, le sable, le désert… « J’avais tout ça bien en tête. Et avec cette équipe artistique dont je connaissais bien le travail, on a tous été dans le même sens. Avec une cohésion dans le spectacle à tous les niveaux et une forme d’harmonie aussi. Celle justement que le héros découvre lors de son périple. Contrairement à ce que lui dit sa mère, la richesse, c’est autre chose. C’est être en adéquation entre soi et le monde. C’est le récit d’une quête initiatique, c’est L’Odyssée, c’est Homère. J’ai rien inventé ».
Un équipage au service de l’histoire
De sa metteure en scène Caroline Darnay, le comédien et auteur, apprécie tout particulièrement l’imaginaire foisonnant, la rigueur et l’attention permanente portée au travail corporel. « Il fallait une précision chirurgicale pour passer d’un personnage à un autre, pour les structurer, leur inventer une posture, leur trouver un timbre de voix, un phrasé. C’est vraiment un plaisir de travailler avec elle, j’ai confiance en elle. Je n’ai pas envie de quelqu’un qui me dirige mais bien de quelqu’un qui m’emmène, qui m’accompagne ».
Celui qui se qualifie lui-même volontiers de « chef de projet », a choisi de s’investir personnellement dans le développement de l’univers musical de son histoire avec le compositeur de musique de films, Romain Trouillet. « Il a complètement compris là où je voulais aller. Et comme je suis ancien musicien, je passais du temps avec lui en studio. Je cherchais quelqu’un qui gère l’orchestration, qui donne au récit un vrai souffle ». A l’image de ce costume-patchwork qu’il revêt sur scène et qui va évoluer, en fonction des personnages et de l’action, la musique se teinte de nombreuses tonalités (musique espagnole de la Renaissance, musique tribale…). Ainsi dans ce sens, dès les premières minutes du spectacle, la note principale est donnée : celle de l’épique et de l’aventure.
Être soi-même et savoir prendre des risques
Enfant, Alexis Moncorgé adorait se raconter des histoires et les interpréter seul dans son jardin. Dans ce seul en scène, justement, où il se donne corps et âme, il y a aussi beaucoup de ça. On le lui fait remarquer. « L’envie d’être acteur et de raconter, c’est vrai a toujours existé en moi. C’est indissociable de ma personne. »
Dans le rôle de ce conquistador justement, il y a beaucoup de ressemblance avec sa propre relation au théâtre, dans un permanent rapport de conquête. « Je n’y avais pas réfléchi effectivement, mais c’est vrai que je me considère dans le métier un peu comme un flibustier. », répond-il amusé.
Ce spectacle est surtout une nouvelle étape dans le parcours du comédien. « Après un tel succès avec Amok, il fallait vraiment trouver une bonne histoire et se dire surtout que je n’avais rien à perdre, au fond, et y aller ».
A 37 ans, le petit-fils de Gabin a toujours tâché de ne cultiver aucune ressemblance avec son grand-père, et de suivre sa propre voie. Admiratif de ce dernier pour son naturel et son sens de la camaraderie dans le travail, il reste toutefois déterminé à évoluer à sa façon, en écoutant son propre instinct, et pourquoi pas aussi en bivouaquant parfois vers les eaux tumultueuses du cinéma. On ne peut ici, en ce sens, que lui souhaiter bon vent.
PS : A noter que le texte est en vente au théâtre, à la sortie de la pièce. Et que la bande originale de la pièce est d’ores et déjà disponible sur Amazon, Deezer, Apple music, Spotify.
Eldorado 1528 Ecriture et interprétation de Alexis Moncorgé Mise en scène de Caroline Darnay Lumières de Denis Koransky Scénographie de Morgane Baux Musique de Romain Trouillet Costumes de Colombe Lauriot-Prevost Assistant chorégraphie : Nicolas Vaucher Petit-Montparnasse Du mardi au samedi à 19h, matinée dimanche à 17h15 Loc : 01 43 22 77 74 – www.theatremontparnasse.com