Adieu, Monsieur Roger Michell !
A la nouvelle de la disparition du réalisateur et metteur en scène Roger Michell le 22 septembre dernier, j’ai souhaité lui rendre hommage à ma façon en retrouvant dans mes archives cet entretien réalisé à l’occasion du Festival du Film de Paris, en avril 2003. Cette année-là, je rédigeais mon mémoire de maîtrise de cinéma consacré à « La comédie romantique à l’anglaise de Richard Curtis ». Aussi, j’eus l’opportunité d’orienter notre conversation spécifiquement sur Coup de foudre à Notting Hill (1999). L’entretien s’est déroulé un jour de soleil, sur les Champs-Elysées, dans une brasserie non loin du Festival.
Homme de cinéma mais aussi de théâtre, Roger Michell est né en Afrique du Sud en 1957. Après une carrière au théâtre avec la Royal Shakespeare Company, il réalise des séries prestigieuses pour la télévision britannique, parmi lesquelles The Buddha of Suburbia, co-écrite avec Hanif Kureishi. Il tourne son premier long-métrage pour le cinéma en 1996, en portant à l’écran son spectacle My night with Reg, récompensé plusieurs fois lors de sa création. Il met ensuite en scène Titanic Town avec Julie Walters en femme de ménage pacifiste à Belfast. En 1999, Roger Mitchell connaît un très grand succès avec la comédie romantique Coup de foudre à Notting Hill, dont Julia Roberts et Hugh Grant sont les héros. Par la suite, il tournera de nombreux autres films (The Mother, Morning glory, Ma Cousine Rachel) avec de nombreuses autres vedettes, dans des genres différents. Mais toujours avec le même appétit de raconter une histoire et la même exigence pour la transposer au mieux à l’écran.
Comment l’histoire de Coup de foudre à Notting Hill a débuté pour vous ?
Roger Michell : Quand le scénariste Richard Curtis et le producteur Duncan Kenworthy m’ont envoyé le scénario. Ils m’ont demandé de le lire car ils pensaient que je serais capable de le réaliser.
Vous les connaissiez tous les deux avant ?
Roger Michell, souriant : Un petit peu, juste un petit peu !
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre collaboration avec le scénariste Richard Curtis ?
Roger Michell : On a travaillé sur le scénario pendant toute une année, en changeant, en réécrivant, en pensant à des choses, en écartant certains personnages. Cela a évolué. Richard Curtis est un auteur excellent, un véritable génie. C’est avec lui que j’ai pris la décision de couper des scènes au montage. C’était très dur, je l’avoue, car on a perdu beaucoup de scènes tournées. Ce fut vraiment une collaboration de longue haleine.
Y a-t’il eu des scènes plus difficiles pour vous à tourner ?
Roger Michell : Il y en a eu plusieurs, avec des niveaux de difficulté différentes. (Rires) Parfois, il était inquiétant d’avoir Julia Roberts dans une rue très active, avec des gens qui n’arrêtaient pas de la fixer en restant dans le champ de la caméra. C’était toute une affaire de continuer de filmer Portobello Road dans ces conditions.
« Dans Quatre mariages et un enterrement, Hugh Grant joue le type qui n’est jamais tombé amoureux et dans Coup de foudre à Notting Hill, celui qui pensait ne jamais retomber amoureux. »
Comment définiriez-vous l’esthétique visuelle de votre film ?
Roger Michell : Je voulais qu’il ressemble à un film méditerranéen : chaud, en été, avec des couleurs passées, comme celles des Impressionnistes, pas de noir, très doux, ensoleillé, et essayer de montrer un Londres qui existe, très paisible, où il y a une place pour la romance et le soleil.
Dans Quatre mariages et un enterrement et Coup de foudre à Notting Hill, le personnage interprété par Hugh Grant est un peu construit comme une variation autour d’un caractère spécifique. Pouvez-vous l’expliquer ?
Roger Michell : Je parlerais de défiance vis-à-vis de soi ; il y a vraiment très peu de mots pour définir ce type de personnage d’Anglais que Hugh Grant interprète. Il n’a aucune assurance, aucune confiance en lui-même, mais il n’est pas faible non plus, ce qui crée une étrange combinaison.
Hugh Grant, comme je le dis toujours, s’est tout à fait approprié ce caractère de défiance toute britannique pour son personnage. Dans Quatre mariages et un enterrement, il joue le rôle du type qui n’est jamais tombé amoureux et dans Coup de foudre à Notting Hill, celui qui pensait ne jamais retomber amoureux. Voilà l’idée.
Un peu comme un personnage qui évoluerait d’un film à l’autre…
Roger Michell : Oui, c’est comme cela que nous l’avons pensé. Et c’était aussi la conséquence des années qui nous séparaient de ces deux films. Richard, moi et Hugh avons le même âge, même si Hugh est le plus jeune de nous trois. Richard et moi avons des enfants, nous faisons partie d’une autre génération à présent.
Le personnage de Hugh Grant n’est pas marié et tous ses amis le sont ; lui n’a pas d’enfants. Cela ne marche pas pour lui. Il vit avec ce stupide colocataire gallois et il peut voir sa vie comme ne valant pas grand-chose. Je pense que, si vous avez vu mon film Persuasion, adapté du roman de Jane Austen, vous vous rendez compte combien les personnages principaux se ressemblent, en un sens. Dans le roman, l’héroïne avait vingt-huit ans, elle ne pensait pas tomber amoureuse à nouveau. Vous devriez voir ce film car il est très similaire à Coup de foudre à Notting Hill.
Comment s’est passé votre travail avec Hugh Grant ? A-t-il improvisé pendant le tournage ?
Roger Michell : Oui. Tout ce qu’il avait à faire c’était d’être Hugh. Hugh adore faire plusieurs prises. C’est quelqu’un qui travaille dur. Je pense qu’il finit par donner l’impression de ne jamais transpirer. Ses performances donnent l’impression que c’est complètement naturel. Mais c’est faux. C’est très intelligent, très technique. Et il travaille plus que la plupart des gens que je connais. Donc, quand j’ai la prise qui me plaît, disons la septième, je dis à Hugh, calmement : « J’ai là une très bonne prise!; Joue-m’en juste une de plus et celle-là sera pour toi. Ce sera ta prise et tu pourras dire ce que tu veux. » Et il me surprenait toujours à travers ses inventions merveilleuses et quelques-unes d’entre elles sont restées dans le film. C’est vraiment quelqu’un d’intelligent.
Comment avez-vous tourné la séquence où Hugh Grant traverse Portobello Road et où toutes les saisons sont représentées pour montrer combien le temps passe…
Roger Michell : On l’a tournée en un jour, avec les trois saisons à mettre en scène : l’été, l’automne et l’hiver. Il fallait que ces trois saisons soient mises en scène de façon à ce que cela produise un ensemble fluide. C’était un jour où nous avons vraiment beaucoup travaillé…
On remarque souvent dans les comédies anglaises un esprit de communauté, par exemple, dans Passeport pour Pimlico, tous les gens d’un quartier de Londres vont se joindre ensemble pour défendre leurs droits face à la justice anglaise… Pouvez-vous nous parler de cet aspect inhérent à la comédie anglaise ?
Roger Michell : Je ne comparerais pas ces deux films parce que Passeport pour Pimlico est avant tout satirique et politique, et Coup de foudre à Notting Hill est différent. C’est plus un univers où les amis ont beaucoup d’importance. Il est vrai qu’il n’y a pas vraiment de famille dans ce genre de films. Cela tient aussi au fait que nous ne vivons pas vraiment en famille, on se crée des familles différentes. Dans tous les films de Richard Curtis, cela fonctionne comme ça.
Et dans Notting Hill, pensez-vous qu’il y ait une référence à la comédie shakespearienne, dans le caractère conflictuel des personnages ?
Roger Michell : Oui tout à fait, c’est une histoire avec un concept très fort. Et Shakespeare écrivait souvent des tragédies avec un concept très fort. Comme dans toutes les histoires d’amour, il faut traiter la raison pour laquelle les deux personnages s’aiment, pourquoi ils ne peuvent pas vivre sans l’autre. La règle est que vous avez deux personnages qui tombent amoureux, puis pendant tout le reste de la pièce ou du film, ils doivent être séparés par des obstacles qu’ils doivent surmonter pour se retrouver réunis. Et dans les films de Richard Curtis, ils tombent amoureux dès la minute où ils se voient. Et Shakespeare faisait déjà la même chose avec Romeo et Juliette et la scène du balcon, qui est l’obstacle typique…
Et la célébrité dans Notting Hill serait cet obstacle ?
Roger Michell : Plutôt ce faux obstacle dans le film. Mais dans la vraie vie, je ne sais pas si ce couple durerait… (Rires).
Paris, avril 2003, Entretien paru dans le site Objectif-Cinéma.