Mon challenge Michalik
Pas moins de 5 spectacles d’Alexis Michalik à (re)découvrir en cette rentrée théâtrale ! Une affiche de métro regroupant les affiches me lance un défi : sous la forme d’un marathon théâtral exclusif (je le baptise « Mon Challenge Michalik »), je décide alors de plonger durant un mois dans cette œuvre foisonnante, pour mieux appréhender ce qui fait le succès de cette écriture dramaturgique aujourd’hui.
LE CERCLE DES ILLUSIONNISTES (1/5) – Juste une illusion ?
Pour ma part, c’est ma rentrée officielle au théâtre après des mois de disette diabolique pour cause de Covid-19 et c’est le cœur plein de joie que je franchis le seuil du Splendid qui accueille la pièce d’Alexis Michalik créée pour la première fois en 2013, au Studio des Champs-Elysées.
L’histoire imbrique plusieurs récits et époques différentes autour de la thématique de l’illusion, de la magie, ce qui permet à Alexis Michalik de nous proposer une autre vision de notre humanité, non plus linéaire mais bien « circulaire », une façon de mettre différemment en perspective notre existence humaine : « La vie n’est pas une ligne droite, la vie est un cercle. »
A travers, plusieurs maîtres de l’illusion (Houdin et Méliès, parmi les plus célèbres), Michalik explore ce point de vue, qui pour un auteur, permet d’agir comme un « maitre horloger » concentré et pour un metteur en scène qu’il est aussi, de nous en mettre plein la vue côté visuel : tours de magie, déplacement de décors, costumes, avec une passionnante et véritable déclaration d’amour au septième art, au final de la pièce !
C’est un vrai spectacle de troupe (une des particularités des pièces de Michalik) qui nous est donné de voir. Dans un ballet étourdissant, les comédiens, changent de personnages, de costumes et d’époques. Comme des enfants qui montent sur scène pour la première fois, leurs yeux pétillent et ils ne tardent pas à nous transmettre leur passion des planches et de l’histoire ainsi que l’humour et la poésie des dialogues et des scènes. Les petites histoires dans la grande Histoire s’imbriquent parfaitement : au début, on est un peu perdu par le nombre un peu dingue de personnages et d’époques évoqués, mais petit à petit le puzzle se construit sous nos yeux, ce qui est une autre caractéristique de l’écriture de Michalik que de proposer un récit « in progress », et nécessite toute notre attention, car c’est bien connu, le Diable est dans les détails.
Ainsi notre existence n’est pas un hasard et ce qui a eu lieu par le passé a des conséquences dans notre présent. Le présent est justement ce qu’il faut chérir et savourer, une autre des thématiques souterraines de l’œuvre de Michalik.
Le Cercle des Illusionnistes, Théâtre du Splendid : à partir du 19 août, du mardi au samedi à 19h, matinée le samedi à 16h (à partir du 12 septembre).
LE PORTEUR D’HISTOIRE (2/5) – L’histoire pour grandir ensemble
Deux jours plus tard me voici sur les bancs, certes un peu durs du sympathique Théâtre des Béliers parisiens pour découvrir cette pièce antérieure à celle du Cercle des Illusionnistes et qui raffla pas moins de 2 Molières en 2014 (Meilleur auteur et meilleur metteur en scène) ! Je suis surprise (et secrètement réconfortée, non le théâtre n’est pas mort !) par l’extrême jeunesse du public à mes côtés.
Vous faire le pitch est un vrai sacerdoce tant l’intrigue foisonne de récits enchâssés qui font encore une fois tout le sel de l’écriture de Michalik. Après avoir remis notre existence en perspective, l’auteur s’interroge sur notre fascination commune pour le récit, notre besoin immodéré de nous faire conter une histoire.
L’histoire qui va nous captiver ici est donc celle de Martin Martin (on notera à chaque fois l’importance des noms dans les pièces de Michalik) qui, par une nuit pluvieuse au fin fond des Ardennes, au moment où il s’apprête à enterrer son père, lui faire découvrir un carnet manuscrit et entraîner dans une quête par-delà l’Histoire et les continents. Haletant, drôle, rythmé, émouvant, surprenant, ce récit se savoure comme un excellent « page turner ».
Une fois de plus, la troupe est engagée et brillante dans l’interprétation et le ballet vertigineux des personnages, scènes et changement de costumes et de décors.
Entre les lignes, Alexis Michalik interroge à nouveau le sens de notre existence, ne sommes-nous pas tous nous-mêmes « porteurs de notre propre histoire » et celle-ci ne pourrait-elle pas servir à la grande ?
La mise en scène est un tour de force, car avec seulement quelques accessoires et costumes, cette pièce nous entraîne mentalement dans une richesse d’univers qui se superposent, brique après brique.
Et lorsqu’au salut, les comédiens, pieds nus, tea-shirts blancs et pantalons noirs pour simples costumes, tirent leur révérence, c’est tout un hommage qui est ici rendu à la force du théâtre, à celle de se réunir simplement pour mieux rêver et grandir ensemble… même masqués !
Le Porteur d’histoire, Théâtre des Béliers parisiens, jusqu’au 31 octobre 2020.
UNE HISTOIRE D’AMOUR (3/5) – L’amour en fait
En ce 11 septembre, date ô combien symbolique, le théâtre de la Scala rouvre ses portes et reprend la pièce la plus récente d’Alexis Michalik, créée en janvier 2020 et qui récolta le Molière du meilleur metteur en scène du Théâtre privé en juin dernier. La particularité de cette pièce est que l’auteur, qui signe aussi la mise en scène et joue (enfin !) aux côtés de ses comédiens.
Cette fois-ci à travers cette histoire d’amour bouleversante entre deux femmes, Michalik s’interroge sur ce qui fait la force d’une histoire d’amour, notre propre relation à cette déferlante de sentiments qui nous submerge soudainement. Comment la vivre, la savourer dans le temps et surtout l’assumer ? Est-ce que le quotidien ne va pas tout saborder ?
C’est donc à travers le prisme courageux de l’homosexualité et de l’annonce d’un destin condamné (l’héroïne est victime d’un cancer foudroyant) qu’Alexis Michalik va à nouveau tricoter son histoire mais cette fois-ci bien l’ancrer dans notre époque (Mariage pour Tous, Brexit, etc).
Les ingrédients à la Dickens du pitch peuvent faire peur au premier abord mais d’emblée l’histoire est parsemée de dialogues drôles et émouvants à la fois, à la forte sauce british.
Une fois de plus donc, on ne va pas s’ennuyer, vouloir savoir la suite, coûte que coûte, se projeter dans chacun des personnages et apprécier leur évolution psychologique.
Il y a Katia qui vit sur des montagnes russes émotionnelles (de l’amour « conte de fées », à la mort annoncée, en passant par la découverte de la maternité) ; Justine, qui se laisse porter par ses sentiments, et va connaître un sentiment de culpabilité lancinant à compter de sa séparation d’avec Katia. Il y a William, écrivain cynique et alcoolique qui se voit confier avec effroi le destin de Jeanne, la fille de sa sœur Katia, âgée de douze ans et petite surdouée de la littérature.
La troupe de Michalik, à nouveau, se déploie avec humour, pétillance et poésie, incarnant, chaque comédien à son tour, personnages principaux comme secondaires, par le simple truchement d’un accessoire, un costume ou une perruque !
Dans notre époque tristement masquée, que c’est bon de rire, de pleurer ensemble et parfois même les deux en même temps !
Une histoire d’amour, Théâtre de la Scala, du 11 septembre au 15 novembre 2020, du mardi au samedi à 19 h / le dimanche à 15h.
INTRA MUROS (4 /5) – S’évader et se reconnecter
L’expression « intra-muros » s’applique dans sa définition originelle à : « l’intérieur d’une ville fortifiée, encerclée par des murs. » Dans ce lieu on ne peut plus clos sur lui-même, Alexis Michalik interroge à nouveau la force du théâtre qui nous ouvre sur un ailleurs et peut aider à nous reconstruire. C’est le cas de ces deux prisonniers, condamnés chacun à une lourde peine et qui vont vivre une véritable aventure humaine en participant à ce cours de théâtre, qui démarre, il faut bien l’avouer, sous des auspices un peu bancales.
Avec humour en effet, Michalik nous fait entrer dans ce cours qui semble déplaire d’emblée à chacun de ses participants (y compris les professeurs), et se moque au passage de l’aspect « bien-pensant » que ce genre d’initiative peut revêtir mais aussi des exercices un peu nunuches d’impro ou d’entraînement qui pullulent dans bon nombre de cours de théâtre.
Or très vite pourtant, la force de la vie des personnages reprend le dessus sur le cadre factice du cours de théâtre et de ses exercices bidons. Chaque personnage (y compris les professeurs et l’aide sociale) a son histoire à exorciser ensemble et « sur scène ». Et cette salle de prison s’improvise scène de théâtre pour mieux partager avec l’autre les moments marquants de sa propre vie.
Dans le récit, on retrouve l’enchâssement des intrigues cher à Michalik : le cours de théâtre en prison va occasionner le récit de plusieurs existences (les professeurs, l’assistante sociale, les prisonniers) qui elles-mêmes foisonnent de rencontres avec d’autres existences. Il n’est donc pas surprenant que certaines se recoupent.
Tous les ingrédients de ce qui fait le succès des pièces de Michalik sont donc bien là : humour, émotion, poésie, surprise, récit haletant, personnages hauts en couleurs, situations rocambolesques.
Mais le prisme de la prison, de la peine lourde qui vous désocialise complètement, permet de poser un autre regard sur notre société : du désespoir profond dans laquelle les personnages ont l’impression de s’enliser, le théâtre brusquement apporte une lumière, un signe que la reconstruction est possible, que le sens peut surgir du chaos.
La musique jouée en « live » accompagne les moindres tourments ou éclairs d’espoirs des personnages. Et à nouveau, la mise en scène très précise, l’orchestration millimétrée des déplacements, changements d’accessoires, de costumes, font que l’on voyage dans l’imaginaire du spectateur est possible malgré ce lieu qui pourrait au bout d’1h30 se révéler particulièrement étouffant.
L’autre message que je reçois dans cette pièce est que l’on peut se reconstruire grâce au théâtre parce que l’on partage quelque chose de fort avec le groupe. Le théâtre permet de (re)prendre contact avec la société et parallèlement du recul par rapport à sa propre existence. Le travail en groupe lance un signal très fort d’écoute bienveillante de la part de chacun des participants. C’est un cercle vertueux qui se met alors en place. Thérapeutique et euphorisant.
Intra muros de Alexis Michalik, du mardi au samedi à 21h, matinées les samedis à 16h, Théâtre de la Pépinière.
EDMOND (5/5) : Le théâtre comme célébration
Quoi de plus festif que de finir ce #ChallengeMichalik par son plus grand succès qui lui valut 5 Molières en 2017 dans le superbe écrin du Théâtre du Palais-Royal ?
Edmond, c’est avant tout une grande déclaration d’amour au théâtre, autour de l’histoire de l’écriture, « légèrement chaotique » du chef-d’œuvre d’Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac.
On a tous en tête la célèbre tirade des nez de Daniel Sorano, Belmondo, Weber, Depardieu, Vuillermoz, cette pièce que l’on a travaillé en classe ou en cours de théâtre, le magnifique film de Rappeneau et il faut bien le dire, Cyrano de Bergerac fait partie de notre patrimoine à tous et en matière de théâtre : la tirade des nez pour les passionnés dont je fais partie, se révèle presque une sorte de moment de communion, de Pater noster que l’on récite fébrilement tout bas en même temps que le comédien…
Bref, il y a quelque chose qui relève presque de l’ordre de sacré à voir et revoir Cyrano au théâtre, (pour moi, tout du moins) !
Ce n’était donc pas évident d’affronter un tel mythe et Alexis Michalik une fois de plus fait des merveilles en prenant le parti de raconter l’histoire dans l’Histoire. Et après avoir traité de la magie (Le Cercle des Illusionnistes), de l’importance du récit (Le Porteur d’histoire), de l’amour (Une histoire d’amour), du théâtre pour se reconstruire (Intra muros), Michalik explore le thème de l’écriture d’une pièce de théâtre, les coulisses de sa création à une époque où la scène française vrombissait d’auteurs et de spectacles d’une grande qualité artistique.
C’est donc à travers un personnage d’auteur que nous est racontée cette histoire : on vit avec lui ses doutes, ses peurs, la précarité de son statut, le milieu qu’il fréquente, sa vie familiale et soudain ce moment de grâce où il rencontre l’Inspiration.
Dans un rythme effréné, avec une galerie de personnages rocambolesques à souhait, les scènes s’enchaînent (et parfois-même pour le bienfait d’une seule réplique, on change de costumes ou de décors !). Vertigineuse mise en scène et interprétation qui nous met également plein de paillettes dans les yeux (sic).
La construction de la pièce suit astucieusement l’histoire de Cyrano, acte après acte, de sorte que l’on comprend comment chacun a été construit puis comment il le sera interprété le soir de sa célèbre première.
Avec humour, poésie et émotion, l’histoire de Cyrano et de la façon dont il a été conçu par son auteur, inspiré d’un personnage historique au demeurant, nous est transmise dans toute la flamboyance des décors et la vivacité d’interprétation. Edmond, à n’en pas douter est à l’image de Cyrano à sa création, déjà un classique !
Edmond, Théâtre du Palais Royal. du mardi au samedi à 21h.
Ma petite conclusion : Après un mois de théâtre uniquement « michalikien », je vous rassure, je ne suis pas devenue folle ! J’ai voyagé dans le temps, dans l’espace et même dans ma tête grâce à la mise en scène très inventive, millimétrée et dynamique de ces 5 pièces. Une forme de narration commune se dégage de ces 5 œuvres : l’enchâssement du récit, la narration plurielle, la petite histoire dans la grande. Les sujets sont variés (magie, amour, voyage, théâtre, prison) et les défis sont nombreux ! L’émotion l’humour et le véritable travail de troupe (chaque personnage a son importance et sa place dans le puzzle) sont à chaque fois au rendez-vous. De sorte que chacune de ces pièces m’a parlé et je serai dans l’incapacité de vous en faire un classement par ordre de préférence. Chaque pièce, en effet, est une démonstration que le théâtre se construit et se vit ensemble, dans le rire, les larmes (parfois les deux en même temps !), la curiosité et l’envie du voyage et de l’évasion. Je vous laisse à vos réservations !…