Alexis Michalik, le meneur de troupe
A la suite de mon #ChallengeMichalik qui m’a permis de voir en septembre dernier ses cinq pièces actuellement à l’affiche dans les théâtres parisiens, j’ai souhaité rencontrer l’auteur, metteur en scène et comédien qui a eu la gentillesse de répondre positivement à ma demande et de me recevoir tout le temps nécessaire dans une loge de la Scala où il joue actuellement dans Une Histoire d’amour. Un très beau moment qui a également été agrémenté des questions posées par les lecteurs de ce blog, à découvrir à la fin de cet article.
« La vie n’est pas une ligne droite, la vie est un cercle. »*. Une réplique qui pourrait bien résumer ta conception de l’écriture, non ?
En tout cas, je trouve que de plus en plus, notre façon de raconter les choses et de les apprendre est de moins en moins linéaire, via Internet, les séries, les livres, etc. Notre cerveau s’habitue de plus, en plus, à une narration avec un nombre incroyable d’histoires qui nous sont racontées et de formats pour les recevoir, notamment sur notre téléphone !
Et donc, je m’efforce de raconter des histoires qui sont surprenantes et qui peuvent maintenir en haleine un public jusqu’à la fin.
A propos du personnage d’Edmond, qui est un jeune dramaturge qui débute. Quels sont les points communs et les différences que tu partages avec lui ?
Ce qui est drôle, c’est qu’au début quand j’ai pensé à Edmond, je n’étais pas du tout metteur en scène, ni auteur de théâtre. J’étais juste comédien et je m’identifiais plus au personnage de Léo, son acolyte qui va jouer Christian. Quand on a commencé à répéter cette pièce, qui a mûri pendant quinze ans, je me suis rendu compte que j’étais devenu un peu Edmond et que j’avais moi-même les mêmes problématiques : monter un spectacle, gérer les problèmes de production, des acteurs, des égos, du financement, etc.
Et donc forcément, je me suis un peu retrouvé en lui dans sa capacité à croire à quelque chose que personne ne croit, puisque personne ne croyait en Cyrano. Je lui ai donné des petites caractéristiques de moi aussi, par exemple quand je lui fais boire de la verveine. Je ne pense pas que Rostand avait cette habitude dans la vie (rires). Je me suis dit que ça lui donnerait un petit côté désuet, un peu décalé et après je me suis rendu compte que dans la vie, je ne buvais pas d’alcool mais principalement du thé et de la tisane. Ce petit côté désuet, en fait, c’était le mien !
Sur Edmond, c’était un projet qui a pris 15 ans et sur Le Porteur d’Histoire, c’était donc beaucoup moins long ! Il y a des différences d’infusion ?
Oui bien sûr. Pour Edmond, je pensais d’abord à un film donc je me disais que je le ferais le jour où j’aurais accès à un budget énorme. Pour Le Porteur d’Histoire, je ne pensais pas que ça allait être une pièce de théâtre et finalement, un jour, l’occasion s’est présentée. Benjamin Bellecour, qui est mon producteur maintenant et mon ami à l’époque, dirigeait le Ciné 13 Théâtre et m’a dit : « voilà, j’ai un festival dans un mois, j’ai un auteur qui m’a lâché est-ce que tu peux le remplacer, créer un spectacle ? » Je lui ai répondu, écoute j’ai un truc en tête, je vais le tenter, ça s’appelle Le porteur d’Histoire.
« Le récit est quelque chose de moins linéaire aujourd’hui. »
Sur Loin, comment as-tu travaillé sur ce projet ?
A la base, c’était une idée de série. A peu près en même temps où j’ai eu l’idée du Porteur, j’ai imaginé une série itinérante à travers des pays et je me suis rendu compte que j’étais un peu jeune pour arriver à obtenir ce genre de confiance et de budget. Et donc, je me suis tourné vers l’écriture d’un roman en me disant que ça au moins, ça ne me coûterait pas plus cher, si ce n’est en temps et en huile de coude. J’ai écrit une quarantaine de pages et c’est resté dans un tiroir pendant quelques années. Et un jour, je me suis dit bon, si je veux en faire quelque chose, il faut que je trouve un éditeur. Je l’ai envoyé à plusieurs éditeurs. Albin Michel m’a répondu : « c’est vachement bien, écris la suite ! » Et là, je me suis dit, « bon ben mince, maintenant, il faut que j’écrive la suite ! » (rires).
Et j’ai mis trois ans à peu près à écrire les 650 pages de mon livre.
Le point commun de toutes tes pièces, c’est que c’est un travail de troupe. Pourquoi, selon toi ?
Je viens d’Avignon, du OFF où c’est principalement du théâtre de compagnies. J’ai l’habitude d’avoir toujours vu des spectacles de troupe, les Mnouchkine, les Brook, etc. Je n’ai pas vraiment l’habitude d’un théâtre de têtes d’affiches. Ce n’est pas mon univers. Les premiers spectacles qu’on monte, on les crée avec des copains, avec des gens qu’on connaît, qu’on aime bien. Etant comédien, je savais que c’est très frustrant pour un acteur d’avoir un rôle qui est petit dans une pièce. De jouer dans une pièce et de voir ses camarades jouer des rôles plus importants. Donc j’ai essayé dès le premier spectacle, avant Le Porteur, dès La Mégère, que tous les acteurs aient un rôle d’égale importance et c’est resté ainsi dans les spectacles suivants.
Comment travailles-tu les déplacements dans tes pièces ?
Il y a beaucoup de déplacements mais ils sont dus au fait qu’il y a beaucoup de scènes. Et comme les scènes s’enchaînent, il faut qu’elles s’enchaînent vite, sinon on s’ennuie et donc je mets beaucoup d’efforts dans les transitions pour qu’elles soient les plus fluides et harmonieuses possibles, qu’on les assume puisqu’on ne fait pas tomber le rideau. La transition fait elle-même partie de la mise en scène.
C’est plus important pour moi de ne pas arrêter le rythme de la scène que d’attendre que les décors soient bien en place pour commencer la scène suivante.
« Aujourd’hui, il y a plus de 100 comédiens qui jouent en alternance mes spectacles. »
Sur scène on ressent vraiment la joie de tes acteurs à jouer…
J’ai envie que mes acteurs soient contents. Déjà, comme je le disais, ils sont obligés de jouer ensemble. Il n’y a pas de tête d’affiche. Ils sont tous au même niveau, ils ont tous leur moment, un moment du spectacle où c’est eux qui sont mis en avant. Et ensuite, ils sont tous au service du spectacle, donc évidemment, il y a une joie de l’équipe : de raconter cette histoire, d’entendre les gens rire, être émus. Ce sont des spectacles qui ont tous marché. Il y a un vrai plaisir de jouer un spectacle qui marche avec une salle pleine. Donc oui, j’espère qu’ils sont contents de jouer. Mais je ne leur dis pas : Soyez heureux ! Juste, j’essaie de leur donner les rôles qui vont faire qu’ils vont être heureux.
Est-ce que tu aimerais renouveler l’expérience de l’écriture et de la mise en scène au cinéma ?
Bien sûr ! J’ai vraiment beaucoup aimé cette expérience. Et j’espère que dans un avenir lointain…
Qu’en as-tu retenu ?
La différence, par rapport au théâtre surtout, c’est le nombre de gens impliqués et l’ampleur de l’aventure, le budget, etc. C’est assez jouissif de voir tout ce monde et le cinéma, ça fascine. Il y a quelque chose où tout le monde est fasciné par le cinéma. Tout le monde rêve de faire un film, de jouer dans un film. Il y a quelque chose d’assez merveilleux avec ce que ça suscite. Et puis, pour moi, professionnellement, artistiquement une autre façon de raconter. Mon langage le plus organique, je dirai, c’est le théâtre. Et le cinéma, ça ouvre de nouvelles perspectives et ça renouvelle ma façon de travailler et ça me nourrit, je pense aussi pour la première fois que je raconte autre chose.
Tu étais hier à Bruxelles. Comment vis-tu les tournées ?
Alors là, ce n’était pas une tournée mais une création d’Intramuros, déjà existante, mais avec une équipe belge. Ils ont commencé à jouer hier soir au théâtre avec le public. On fait ça régulièrement, avec Le Porteur en Belgique, à Lyon et à Nantes bientôt. Donc à chaque fois, on prend des comédiens locaux, on refait la mise en scène et on essaie de s’installer dans un théâtre.
Quand on entend ça, on se demande comment tu peux « avoir une vie » ?
J’ai une vie, bien sûr ! Mes spectacles sont lancés. Et ce n’est pas moi qui en assure l’avenir commercial. Ce que je fais, c’est de choisir les comédiens : ils commencent par répéter avec un assistant. Et après je les fais répéter et le spectacle roule.
A chaque fois, on essaie de mettre en place un système. On essaie de s’adapter parce que cette situation est nouvelle. Je n’aurais jamais imaginé un jour avoir 5 spectacles à l’affiche en même temps dans les théâtres parisiens. Donc on s’adapte, spectacle après spectacle.
La première fois, c’était avec Le Porteur d’Histoire. On s’est rendu compte que l’on partait en tournée mais que le spectacle allait être prolongé à Paris donc il fallait une nouvelle équipe. On a vu que ça continuait à marcher et à partir de là, ça a été le cas sur chaque spectacle. Une deuxième équipe, une troisième…
Et aujourd’hui, il y a plus de 100 comédiens qui jouent en alternance les spectacles.
Quels ont été tes débuts de comédien ?
J’ai commencé ce métier très tôt. Déjà j’étais au club-théâtre du collège et lycée et ensuite à 18 ans, j’ai trouvé un agent et je me suis mis à passer des castings et j’ai été pris sur un Romeo et Juliette, mis en scène par Irina Brook au Théâtre de Chaillot et en tournée. Cela a été un peu ma formation, à vrai dire. J’ai vécu le théâtre comme quelque chose d’artisanal et à partir de là, j’ai enchaîné des tournages, des films, des séries…
J’avais vu qu’au sujet du concours du Conservatoire, que tu avais réussi, tu avais finalement cédé ta place !
Oui et je ne le regrette pas trop. (Rires)
Pourquoi as-tu décidé de revenir sur la scène avec Une histoire d’amour ?
C’est en l’écrivant que je me suis dit : « tiens, il n’est pas mal ce rôle ! ». En général, je ne joue pas dedans si je me dis qu’un autre acteur le fera mieux et que ça lui corresponde mieux. Mais là, je me suis dit que cela serait intéressant de revenir au plateau parce que peut-être que le public aura envie de me voir et aussi dans ce rôle d’écrivain qui a eu du succès. Il y a tout ce rapport-là intéressant à jouer aussi.
« Quand j’étais gamin, je voulais être acteur, et c’est tout ! »
Est-ce différent selon toi de jouer et de mettre en scène en même temps ?
Oui mais quand c’est le cas, je sépare les deux. Quand je joue dans le spectacle, je suis comédien. Après, ça reste mon spectacle et si je me fais remplacer un moment, ça sera toujours mon spectacle. Juste, je ne jouerai plus dedans ! Il y a vraiment une scission très claire.
Est-ce que tu aimes bien arriver au théâtre longtemps à l’avance ?
Non, j’aime bien arriver et puis on y va ! On arrive une heure avant parce qu’on fait des petites balances et j’aime bien traîner un peu avec les filles. On a des rituels, bien sûr ! On chante la chanson tous ensemble et avant de jouer on se prend dans les bras et on se dit des choses bienveillantes et voilà !
L’entrée en scène aussi dans Une histoire d’amour avec cette chanson doit être un moment très euphorisant ?
C’est très stressant aussi parce qu’on est tout d’un coup plongé dedans face au public, face au mur. Il n’y a pas d’échappatoire. Quand on parle, on peut se tromper dans une réplique, ce n’est pas grave ! Si on se trompe dans la chanson, tout le monde le voit !
Tu ressens donc le trac avant de monter en scène ?
Bien sûr, je suis humain ! Mais même si je ressens du trac, je suis en général assez détendu comme comédien parce qu’en plus, c’est moi « le patron » donc je dois aussi gérer la petite qui une partie de sa scène avec moi et si jamais elle a un problème, il faut que je la rattrape. Non, je suis plutôt détendu !
Pour finir, que pourrait dire le petit Alexis au grand ? Et vice versa ?
Le petit Alexis ne pensait pas du tout qu’il allait aller dans cette direction-là ! Quand j’étais gamin, je voulais être acteur, et c’est tout ! Et par la force des choses, je suis devenu de plus en plus metteur en scène puis auteur.
C’est un poste qui demande d’endosser plus de responsabilités et d’y aller parce que pour un acteur, on nous propose un rôle et ensuite, on y va ! Quand on est créateur, on est à l’origine de ses projets et de ses envies. Donc c’est plus exigeant ; ça demande de la discipline et on est en première ligne quand on reçoit des critiques. Et quand on a des déceptions, on porte la déception de l’ensemble de l’équipe. Quand on est créateur d’un projet, on l’assume mais c’est aussi plus riche en retour parce qu’on ne m’a jamais vraiment dit « je te remercie pour ta performance qui m’a bouleversé », on me dit aussi ça de mes spectacles et pas qu’une fois et ça me conforte forcément à continuer à aller dans cette direction.
Et je pense que je dirais au petit Alexis : « C’est bien, continue à écrire, ça servira un jour ! »
*Le Cercle des Illusionnistes, Alexis Michalik.
LES QUESTIONS DES INTERNAUTES A ALEXIS MICHALIK
Caroline de C : Quelle est la part de documentation et celle de ta vie personnelle dans l’écriture d’Edmond ?
Alexis Michalik : C’est un mélange des deux, entre fiction et réalité. Mais ce que je voulais faire d’abord, c’était rendre hommage à Edmond Rostand, comme il l’avait fait lui-même vis-à-vis de Cyrano de Bergerac. Rostand n’a pas raconté la « vraie biographie » de Cyrano de Bergerac mais bien une fiction romanesque et de mon côté, j’ai essayé de faire de même.
Donc, il y a du vrai et du faux : du vrai dans le sens de sa relation avec Sarah Bernhardt, le fils Coquelin, etc. Les personnages inventés sont par exemple, Léo, Jeanne, le triangle amoureux et en général la plupart de ces inventions proviennent directement de Cyrano de Bergerac car c’est un mélange des deux. Il y a une part de moi aussi, par rapport à mes propres expériences personnelles, comme par exemple, lorsque je n’ai eu que trois semaines pour monter Le Porteur d’Histoire, ce qui n’est pas du tout arrivé pour Edmond !
Lise (@compagniesouslescintres) : quels sont tes rituels d’écriture ?
A.M : Je n’ai pas trop de rituels d’écriture mais le plus important, selon moi, c’est le développement d’une idée jusqu’à son scénario fini. Avant le processus d’écriture réel, il y a l’idée et je prends des notes. Et au bout d’un moment, je vais laisser reposer cette idée. Avec le temps, cela va devenir quelque chose de suffisamment construit pour être écrit.
Et ensuite, l’écriture en soi, c’est plutôt le matin, en transport, dans le train, en avion, quand je ne suis pas à Paris. C’est plus facile de se concentrer quand on est hors de chez soi.
Nicolas (@au_theatre) : Dans ton écriture, tu pars de l’histoire où d’un personnage ?
A.M : Tout le temps de l’histoire. Je pars d’une idée : quelque chose que j’ai vécue. Par exemple, pour Intramuros, c’était d’aller en prison et de parler avec des détenus.
Pour Edmond, c’est en lisant une version de Cyrano avec à la fin un dossier pédagogique et j’ai appris qu’Edmond Rostand avait 29 ans, que personne ne croyait à Cyrano, et que ça avait été un triomphe incroyable le soir de la première. Je me suis dit : « Mais, tiens, ça ferait une super histoire ! »
L’idée peut venir de plein de manières différentes mais en tout cas, cette idée, je vais la nourrir pendant quelques années et si elle s’accroche, si elle persiste, si elle revient régulièrement, c’est que c’est une bonne idée. Elle vaut la peine d’aller au bout.
Suzanne (@suzmechain) : Vas-tu adapter prochainement ton roman Loin ?
A.M : J’aimerai bien, oui ! Peut-être. Je pense que ça ferait une bonne série. Mais comme c’est un travail titanesque, je le ferai quand j’aurai le temps et l’envie. Et peut-être que je trouverai l’intérêt d’une chaîne, d’un diffuseur.
Suzanne (@suzmechain) : où est-ce que tu as appris à filmer et que conseilles-tu pour faire des films, des courts, etc. ?
A.M : Je n’ai pas vraiment appris dans une école. Disons que ça découle simplement du fait que j’aime raconter des histoires. Sinon, j’ai vu énormément de films. J’avais une passion, enfant, pour le cinéma et le théâtre. Je n’ai pas vraiment appris mais je me pose à chaque fois la question, un peu comme au théâtre de ce que je veux raconter et comment je vais le raconter. Et je vois bien la différence entre un plan fixe posé et un plan qui s’avance, qui bouge qui accompagne, qui se déplace même si je n’ai pas forcément les compétences techniques.
Mais j’essaie de dire ce que je veux à mon chef opérateur, mon caméraman et ensuite, on essaie d’obtenir ce que j’imagine.
Je pense que la meilleure manière d’apprendre finalement, c’est de se lancer !
Nicolas (@au_theatre) : A propos du projet Les Producteurs, est-ce que c’est difficile de travailler sur un texte qui n’est pas le tien ?
Pour l’instant, je n’ai pas encore commencé à travailler dessus, en tant que metteur en scène. Cela a des contraintes et des avantages. Les contraintes, c’est que je ne peux pas y toucher, comme je toucherai à mon texte.
Les avantages, c’est qu’il est déjà très bien écrit et je suis très content de pouvoir l’utiliser et de le mettre en scène. Mais je ne sais pas, je te dirais ça, quand je l’aurais fait !
Ce spectacle a été décalé à septembre 2021 donc on commencera les répétitions si tout va bien, l’été prochain. Le casting est déjà bouclé.
Un grand merci à Alexis Michalik et à Pascal Zelcer qui m’ont permis de réaliser cet entretien !
Paris, octobre 2020.