Barbe bleue : féériquement vôtre !

Le célèbre conte que Charles Perrault a créé pour ses jeunes lecteurs de 1697, Amélie Nothomb le réinvente en roman moderne et féministe à la fois. Et à son tour, sur le plateau de l’Artistic Théâtre, Frédérique Lazarini s’en empare, faisant de l’œuvre de la célèbre romancière belge, un objet théâtral féérique de drôlerie, de fantaisie et de fantastique.

Dans le conte de Perrault, un homme riche est doté d’une barbe bleue lui donnant un aspect laid et terrible. Il a déjà eu plusieurs épouses par le passé, et on ne sait ce qu’elles sont devenues. Il propose à ses voisines de l’épouser, mais aucune ne le souhaite. Finalement, l’une d’elles, séduite par les richesses de Barbe-Bleue, accepte.

Dans le roman d’Amélie Nothomb, des années, que dire des siècles ont passé. Et c’est de nos jours, dans un bel hôtel particulier du 7ème arrondissement parisien que l’histoire débute. Saturnine Puissant est belge, bien sûr. Belle, drôle, séduisante, enfantine et sensuelle à la fois, cette professeure d’histoire de l’art, ne manque pas d’esprit, de courage et de sens de la répartie. Pas étonnant que le noble espagnol Don Elemirio Nibal y Milcar, bon vivant, esthète (féru de cuisine, de photographie et de haute couture), à la recherche d’une nouvelle « colocataire », en tombe immédiatement amoureux.

Selon ce dernier, vivre en colocation avec une femme, vaut bien plus que de l’épouser. Saturnine, à la curiosité bien trempée, entre chez le monstre, en connaissance de cause : huit colocataires avant elles ont disparu dans des conditions bien mystérieuses.

Le « deal » entre ce curieux couple qui se forme sous nos yeux est le suivant : ne pas franchir la porte de la chambre noire où Don Elemirio développe ses mystérieuses photos, sous peine de disparaître à son tour. Et de fait, l’héroïne, contrairement au conte initial, peut vaquer à ses occupations en ville et même tenir tête à celui qui est à la fois son bourreau et son prétendant, un mari version 2023, au fond (avec peut-être ici les pulsions meurtrières en plus !).

Cédric Colas, Pierre Forest et Lola Zidi - crédits : Marion Duhamel, photographe

Cédric Colas, Pierre Forest et Lola Zidi – crédits : Marion Duhamel, photographe

Un breuvage de théâtre millésimé

Frédérique Lazarini nous régale par sa façon bien à elle d’enchevêtrer le récit romanesque et théâtral. Elle prend, en effet, le parti de donner à ses comédiens la charge du récit, en même temps que leur texte à défendre, fidèle à celui du roman. Ce qui crée une distance avec le conte particulièrement savoureuse.

Elle théâtralise également avec malice et un rythme irréprochable tout le cérémonial du prédateur dans un son et lumière d’une rare précision et qui accompagne ces « tours de magie » que la forme du conte exige : la table qui voit surgir des mets aussi immenses qu’alléchants, la coupe de champagne qui sous nos yeux se teinte d’or quand on l’emplit, l’apparition de la sublime robe dorée haute couture. Et dès les premières minutes, par le truchement des images projetées, Lazarini fait sienne l’identité originelle des lieux, à savoir celle de l’ancien cinéma.

Elle projette ici sur ces écrans petits ou immenses toutes les peurs et fascinations suscitées par cet homme à la masculinité aussi effrayante que touchante, interprétée avec gourmandise par le génial Pierre Forest. Lola Zidi joue avec les tripes et le cœur cette Saturnine, princesse des temps modernes qui ne se laisse jamais abattre. Cédric Colas incarne Mélaine, un serviteur malicieux et peu rassurant avec beaucoup d’humour et de rythme. Et Helen Ley, qui joue Corinne, l’amie banlieusarde de Saturnine, n’est pas en reste pour explorer la drôlerie et la fantaisie de son personnage.

Enfin ce spectacle doit aussi beaucoup à l’apport sonore et visuel concocté, au son par François Peyrony et à la lumière et aux décors par François Cabanat.

Impossible donc de résister à ce breuvage de théâtre millésimé offert ici avec malice et précision par Frédérique Lazarini et sa troupe, sur les planches de l’Artistic Théâtre, qui, au passage, n’a jamais aussi bien porté son nom.

Barbe Bleue

De Amélie Nothomb
Adaptation et mise en scène de Frédérique Lazarini
Avec Pierre Forest, Lola Zidi, Cédric Colas et Helen Ley
Conseillère artistique : Anne-Marie Lazarini
Costumes : Dominique Bourde et Isabelle Pasquier
Création sonore : François Peyrony
Décor et lumières : François Cabanat
Chorégraphie : Françoise Munch
Vidéo : Hugo Givort

Artistic Théâtre

Mardi 20h, vendredi, samedi 20h30, mercredi 17h (sauf le 8 mars); 
jeudi 19h ; samedi 17h ; dimanche : 16h ; 
relâche le lundi (changement d’horaire en avril).

Réservation : 01 43 56 38 32


 

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