Christophe Perton, à la rencontre de Jean Cocteau

Aimer Cocteau, c’est avoir l’assurance de faire toujours de belles rencontres. Celle de Christophe Perton ne le démentira pas. Celui qui est à la fois metteur en scène, scénographe, scénariste, directeur de compagnie et ancien directeur du Centre national dramatique de Valence durant plusieurs années,  met en scène actuellement Romane Bohringer au Théâtre de l’Atelier dans Le Bel Indifférent. Il est aussi à l’origine de la lecture-spectacle de Richard Bohringer, orchestrée par sa fille Romane et qui se joue avant à 19h.

On serait tenté de penser que mettre en scène Cocteau au théâtre, soixante ans après sa mort, est un pari plus que risqué. « C’est vrai que certaines personnes trouvent les textes de Cocteau datés mais d’autres toujours complètement universels. Pour ma part, j’ai tenu à ne surtout pas toucher au texte de Cocteau. », m’explique Christophe Perton, dans la salle encore déserte du bar de l’Atelier.

Rappelons ici l’histoire de cette pièce que Cocteau avait écrit pour Edith Piaf et fait représenter pour la première fois en 1940 au Théâtre des Bouffes-Parisiens. Il s’agit d’une courte pièce. Celle d’un monologue. Un second personnage est en scène mais il ne parle pas. La scène se passe dans une « pauvre chambre d’hôtel ». Une chanteuse de caf’conce, de retour de son tour de chant, attend son homme, Emile, un « gigolo », très beau, qui n’est toujours pas rentré. A son arrivée, elle lui fait une scène de jalousie terrible, lui demande où il était et le couvre de reproches. Mais pendant toute la scène, l’homme ne lui répondra pas…

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 (…) Tu as oublié que je suis une femme, pas une chose, que je chante, que j’ai du succès, que je gagne ma vie et que j’ai une foule de personnes prêtes à me défendre. Mon public. »

Cocteau écrivit deux version de ce récit, un texte pour le théâtre, un autre pour des chansons que Christophe Perton décide ici de compiler pour imaginer cette comédie musicale résolument moderne.

Il s’empare alors de cette histoire et explore à sa façon le personnage de « cette femme à la fois extrêmement dans la lumière et en même temps vivant dans l’ombre d’elle-même ». Avec Britney Spears en tête pour modèle, il choisit « de montrer cette chanteuse pop à succès, à l’existence peu commune, victime justement de ce succès et entretenant des rapports toxiques dans le privé ». Le thème de la toxicité amoureuse est au cœur de ce récit (comme dans celui chez Cocteau des Parents Terribles ou de La Voix humaine). « Cette femme, dans cette souffrance amoureuse d’avec les hommes, c’est bien sûr de Cocteau, en filigrane, dont il s’agit. »

Le Bel Indifférent est ainsi une œuvre de Cocteau plus personnelle qu’on aurait pu imaginer. Christophe Perton a ainsi travaillé dans ce sens. « Le final que j’ai choisi de mettre en scène ne correspond en rien à celui de 1940. Il est pourtant totalement fidèle à la volonté de Cocteau dont j’ai retrouvé une note manuscrite ultérieure, d’une quinzaine de lignes où il renverse totalement la situation de son héroïne qui finit par dire stop à son addiction, à cet empoisonnement amoureux dont elle a été aussi elle-même sa propre victime. Sans la découverte de cette note, je n’aurais pas monté cette pièce. »

« Le téléphone est devenu un instrument de supplice. Il y avait l’ascenseur. Il y avait les pas dans le couloir. Il y avait les bruits de porte. Il y avait l’horloge. Maintenant il y a le téléphone. »

Cocteau, justement, Christophe Perton avoue n’en connaître l’écriture dramaturgique que très récemment. En 2019, en effet, le projet d’aborder un « cartel » d’auteurs moins joués du XXème siècle est évoqué par Perton et des amis metteurs en scène. Mais si ce projet ne se concrétisera finalement pas, il se plonge dans la lecture du théâtre de Cocteau et s’attelle lui-même à un projet de trilogie « autour de trois portraits de femmes dessinés par Cocteau, où l’Amour et la Mort se mélangent et se fondent comme une drogue puissante et vénéneuse ». Les Parents terribles, créé en 2020 avec Muriel Mayette et Charles Berling en constitue le premier opus.

Grand cinéphile et scénographe expérimenté Christophe Perton, qui se reconnaît volontiers adepte du spectaculaire au théâtre (« créer des fictions, des images un univers, c’est vraiment dans mon ADN »), plante le décor dans une chambre d’hôtel ultra-moderne, cinq étoiles avec vue sur les toits de Séoul et ses tours déshumanisées. Après avoir fait débuter la pièce par une scène de concert « avec un public incroyable » et de vrais musiciens, il montre le hiatus qui suit avec cette descente progressive en enfer de l’héroïne vers la solitude et la souffrance. « C’était ce cheminement qu’il m’intéressait de montrer en images. Je l’ai scénarisé ainsi en faisant débuter cet objet de théâtre par de la musique et un univers purement cinématographique. »

Bien qu’il ait déjà auparavant mis en scène des opéras, c’est la première fois que le metteur en scène se frotte à l’univers de la comédie musicale. Un beau challenge à relever qui implique un travail de dix-huit mois, à travers une collaboration intense avec des musiciens dans la création et celui sur la danse et le chant pour lequel Romane Bohringer s’est pleinement engagée.

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 Puisque de trop aimer en somme tu m’accuses

Mieux vaut ne pas répondre et vivre loin de toi. »

« On s’est totalement trouvé l’un l’autre. Au début, elle était plutôt perplexe. Elle me disait sans cesse : « il y a plein de comédiennes qui sont de merveilleuses chanteuses et même des chanteuses qui sont parfois de merveilleuses comédiennes. Mais c’est vraiment elle que je voulais pour ce rôle et chaque soir, elle m’éblouit par son engagement, sa capacité à passer du chant, au théâtre, à la danse et de rester dans cette émotion à vivre qui la caractérise. Elle est singulière de ce point de vue-là. Authentique. Romane ne force jamais et transmet cette vérité, dans son corps de femme, d’être humain finalement. »

A l’image de son travail sur Le Bel Indifférent, le cap que Christophe Perton s’est fixé, à travers sa compagnie théâtrale Scènes et Cités, est celui de trouver des textes peu connus, peu souvent montés et de les faire redécouvrir et réentendre. Mais aussi de travailler avec des auteurs contemporains, sur des commandes de textes inédits.

« Avec ma compagnie, par exemple, nous sommes en répétitions pour monter une pièce adaptée du De natura rerum du philosophe latin Lucrèce qu’il a écrit il y a 2016 ans (!). C’est un travail de collaboration avec Marie Ndiaye qui l’a co-traduit avec moi et qui sera joué au TNS de Strasbourg en décembre prochain.

Je travaille aussi sur un autre projet d’adaptation d’un texte de Bergman et je souhaite, bien sûr, poursuivre ma trilogie dédiée à Cocteau. »

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Le Bel Indifférent

De Jean Cocteau
 Adaptation, mise en scène et scénographie Christophe Perton
 Avec Romane Bohringer et Tristan Sagon
 Composition musicale originale Maurice Marius et Emmanuel Jessua

Interprètes : Lead guitare et claviers Emmanuel Jessua - 
Chant et claviers Maurice Marius - Guitare Jonathan Maurois  
Batterie Pierre Rettien - Basse Charles Villanueva

Théâtre de l’Atelier
Jusqu’au 12 novembre : à 21h du mardi au samedi, le dimanche à 17h.
Réservation : 01 46 06 49 24

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