Chronique théâtre: les pépites du moment
Le printemps peine à arriver, les politiciens perdent la boule, tout le monde est fatigué… Qu’à cela ne tienne, réfugions-nous au théâtre ! Oui, mais attention, aux grands maux, les grands remèdes. Non aux pièces expérimentales, celles qui nous foutent le cafard ou nous enfument dans tous les sens du terme (il y a un théâtre dont je tairai le nom qui m’a fait beaucoup tousser récemment) …
Place, en effet, à la comédie OU à la poésie ! Mais ces deux ingrédients ne sont pas incompatibles. La preuve en est avec La Garçonnière, (mon coup de cœur en ce début d’année) actuellement à l’affiche du Théâtre de Paris. Drôle, enlevé, touchant, ce spectacle adapté du scénario de Billy Wilder est mis en scène par José Paul qui n’a plus à prouver son sens indéniable de la comédie et du rythme.
Il y a tout ce qu’on aime au théâtre : une vraie intrigue, des personnages en qui on peut s’identifier aisément, de grands comédiens et des décors aussi surprenants dans leur agencement qu’efficaces pour servir l’histoire de ces deux amoureux éconduits, qui croient pourtant malgré tout mordicus en l’amour. Claire Keim compose avec une grande justesse cette « fille de l’ascenseur » dont on découvre progressivement les fêlures, élégamment masquées par sa bonne humeur à toute épreuve.
Face à elle, il y a le génial Guillaume de Tonquédec qui sait apporter toute la subtilité de son jeu pour ne jamais rendre son personnage ridicule, permettant progressivement d’en dévoiler la noblesse, avec cet humour toujours à la boutonnière qui nous charme tant. Dans ces décors qui rappellent les sixties à la sauce hollywoodienne (un peu de glamour ne fait jamais de mal), les nombreux personnages secondaires qui entourent ce couple, apportent chacun leur dose d’humour, de rythme et d’humanité. Un divertissement qui fait tant de bien…
Pour les amateurs de polars et de comédie, il y a également une pièce à ne pas manquer en ce moment au Théâtre La Bruyère. Il s’agit de Piège mortel, adapté par Gérald Sibleyras et mis en scène par Eric Métayer. Nicolas Briançon campe avec brio ce personnage d’auteur de polars à succès qui reçoit soudainement un manuscrit dont il rêverait d’être l’auteur. En recevant ce dernier dans sa maison de campagne où il vit retiré avec sa chère épouse (Virginie Lemoine, parfaite dans son rôle d’épouse fidèle, soudainement projetée dans la tourmente), la possibilité de mettre en place le crime parfait va germer en l’esprit de celui qui a l’habitude de les inventer par écrit au quotidien. De l’idée à l’acte, toutefois, rien n’est simple. Peu à peu les masques tombent et les rebondissements s’accélèrent. C’est ce mélange d’humour noir, de cynisme et de violence sous-jacente qui fait tout le sel de Piège mortel.
Attention, plus beaucoup de temps pour aller voir le nouveau spectacle de Camille Chamoux, L’Esprit de contradiction, jusqu’au 25 mars, au Petit Saint-Martin ! Comme à son habitude, l’humoriste décortique avec brio les us et coutumes de sa génération, celle qu’elle pensait à l’image de Valéry Giscard d’Estaing (Cf. son spectacle précédent Née sous Giscard) sans réelle identité et qui depuis les attentats de novembre 2015, vit justement autrement. Habitant dans le quartier où ces attentats ont eu lieu, Camille Chamoux en observe les singulières répercussions. Les bobos trentenaires continuent d’en prendre pour leur grade (et le plus étonnant est justement que la salle ne contient à proprement parler que des bobos trentenaires riant (parfois jaune) de leurs propres coutumes)…
Le propos est plus personnel et plus touchant aussi. L’écriture toujours incisive des scènes et des personnages est très adroitement mise en scène par Camille Cottin, amie et complice de toujours de Camille Chamoux.
Et la poésie dans tout cela, me direz-vous ? Un petit conseil, prenez la direction du Poche Montparnasse pour entendre un grand texte, celui de Christopher Hampton Rimbaud/ Verlaine : Totale éclipse adapté, mis en scène et joué par Didier Long. Un projet qui le questionnait depuis de nombreuses années.
Julien Alluguette campe un Rimbaud rocailleux et solaire à la fois face à un Verlaine pétri de doutes et d’enthousiasme déraisonné pour la poésie, l’alcool et les femmes. Et sa femme surtout, la fragile et non moins charismatique Mathilde (incarnée par une Jeanne Ruff très juste dans son rôle d’épouse bafouée et voulant toujours croire, malgré tout, en son amour pour son mari).
Didier Long n’avait pas joué au théâtre depuis vingt ans, absorbé par sa passion de la mise en scène. Il insuffle à cette histoire et à ses comédiens (avec qui il a déjà travaillé par le passé), une véritable énergie, quasi électrique parce que sincère et passionnée.
Dans la petite salle du Poche Montparnasse, c’est cette électricité poétique et théâtrale entre deux monstres de la poésie mais aussi deux cœurs humains tourmentés qui fait justement sens.