Clémence Rochefort, transmettre à son tour
Dans un café du centre de Paris m’attend, en ce matin de février, la comédienne et auteure Clémence Rochefort. Sur les traces de son père Jean, elle a choisi de faire sienne, à son tour, ce curieux et magnifique destin d’artiste. Au Théâtre de la Scala, de septembre 2022 à janvier 2023, elle a organisé un cycle de soirées autour de son père et de sa passion pour les chevaux. A cette occasion, entourée des proches de ce dernier, elle a pu faire aussi entendre des extraits de son livre (sobrement intitulé Papa* et paru en 2020), avec à ses côtés Vincent Delerm, Thierry Lhermitte, Marina Hands, Guillaume Canet ou bien encore Alexis Vizorek.
Je rencontre Clémence en janvier dernier, lors de la soirée officiée par Guillaume Canet et l’historien de l’art, Edwart Vignot. Accompagnés au piano, le premier lit avec sobriété des extraits du livre Le Louvre à cheval écrit par Jean Rochefort avec le second, tandis que Clémence partage, quant à elle, des extraits de son propre livre.
Cette rencontre avec le public autour de la passion de son père pour les chevaux est quelque chose qui lui tenait véritablement à cœur. « C’était une des dernières volontés de mon père, que de faire Le Louvre à cheval. Et pour mon livre, j’avais toujours eu l’idée d’en faire d’abord un spectacle. »
Ces représentations à la Scala sont aussi un baptême du feu pour la comédienne qui monte alors pour la première fois sur les planches. Sourire aux lèvres, la jeune trentenaire, reconnaît avoir hérité du tempérament terriblement angoissé de son père. « Pour mon père, jouer était un éternel recommencement chaque soir. »
Ecrire sur son père, c’est d’abord répondre à sa propre et véritable peur obsessionnelle du temps qui passe : « risquer d’oublier tous ces petits détails (sa manière de marcher, de dire les choses…) On ne va pas oublier son père, bien évidemment, mais j’ai essayé de me rappeler, coûte que coûte, tout cela. »
Être comédienne, ce désir profond
En compagnie des amis de son père, elle monte ainsi sur scène. Et en profite pour les observer travailler en répétitions. « C’était très émouvant de les voir chacun, avec leurs propres moments d’angoisse et de générosité aussi. Guillaume Canet, par exemple, m’a apporté beaucoup de confiance en moi, Marina Hands, beaucoup de douceur. »
Au fond d’elle-même, Clémence a toujours voulu être comédienne. Elle s’en était confiée d’abord à sa mère. Après avoir débuté sa carrière professionnelle en tant que journaliste, elle sent instinctivement qu’il lui manque quelque chose et en parle finalement à son père. Ce dernier est très surpris par ce désir impérieux mais ne tarde pas à l’encourager. « A propos de ce métier, il m’a surtout appris à travailler beaucoup, avant de pouvoir créer, voire de jouer la carte de la fantaisie. C’est un bel enseignement. »
Le goût de transmettre était justement l’une des principales caractéristiques de Jean Rochefort. « Il « sentait » les gens, comme avec Guillaume (Canet) à qui il avait dit, quand il était allé chercher un cheval chez son père : « eh bien toi, tu devrais être acteur ! ». Mais il ne se gênait pas non plus pour dire ce qu’il pensait : « Tu n’est pas fait pour ça, ne perds pas ton temps ! ».
Jean Rochefort, tout en étant fidèle en amitié (et en particulier envers « la bande du Conservatoire », composée de Belmondo, Marielle, Rich ou encore Noiret) aimait s’entourer de la jeune génération (Delerm, Canet, Edouard Baer…) qui lui apportait aussi énormément. « C’était important pour lui de s’enrichir ailleurs. », précise Clémence.
Tourner avec son père, le passage de témoin
En 2016, c’est Jean Rochefort qui fait tourner sa fille, pour sa première apparition à l’écran. Un rôle dans un téléfilm, Pourquoi pas, produit par Arte et pour lequel il a carte blanche. « C’était l’histoire d’un cordonnier qui rencontre un grand galériste d’art, avec toujours derrière cette histoire de transmission et celle de deux mondes qui n’auraient pas dû se rencontrer. Il avait besoin d’une jeune fille et je me suis proposée. »
Un grand moment d’émotion que ce premier tournage, on l’imagine aisément, qui plus est avec son père, réalisateur. « Devant la caméra, il m’a laissée très libre car il aimait lui-même travailler ainsi. Il m’avait donné le texte la veille. C’était quelques phrases, pas grand-chose. Et quand il a arrêté la scène, j’étais très émue. Il m’a dit alors : « si tu veux faire ce métier, fais-le ! ». Ainsi encouragée, Clémence Rochefort participe, entre autres, au tournage du film de Guillaume Canet, Nous finirons ensemble.
Mais plus tard, en écrivant ce livre consacré à son père, après sa mort en 2017, elle prend véritablement plaisir à prendre la plume. Ce que son père avait également perçu en elle. « Je te sens rôder auprès des mots », lui confiait-il, ému, portant en lui le regret intime de ne pas avoir osé écrire.
Le petit monde des artisans parisiens : témoigner coûte que coûte
Aujourd’hui, Clémence Rochefort, en plus d’un livre en préparation, vient d’achever un documentaire de 26 minutes sur les kiosques de Paris. Un vieux rêve partagé avec son père, que de mettre en valeur ce petit monde des métiers qui tend hélas à disparaître à vitesse grand V. Celui des kiosquiers, épiciers, cordonniers. Cette vie de quartier parisien à laquelle Jean Rochefort avait toujours été sensible. Parce qu’il était particulièrement curieux, observateur fasciné de ce savoir-faire au quotidien. Il venait ainsi chaque jour discuter avec son ami cordonnier, prendre des nouvelles du quartier en achetant son journal.
Déterminée à mettre son projet à exécution, Clémence a trouvé sur Instagram une jeune boite de production, sensible à sa démarche. Et c’est à Vincent Delerm qu’elle a confié la tâche de la voix-off.
Comme pour la publication de son livre, Clémence Rocherfot a appris à se retrousser les manches, à « mettre la main dans le cambouis » et à s’accrocher pour défendre ses projets. Comme son père à l’époque de la bande du Conservatoire puis auprès de la jeune génération, elle a su aussi s’entourer d’une équipe bienveillante pour, avec le temps, mieux prendre confiance en soi et avancer.
Entre journalisme, écriture et jeu, le parcours de Clémence Rochefort, ne cessant de s’étoffer, s’annonce riche et prometteur. Avec pour meilleur des alliés, justement, ce fameux temps qui passe…
*Papa de Clémence Rochefort (éditions Plon, 2020). Crédits photo portrait de Clémence Rochefort : Carole Bellaïche