Dominique Marny : Cocteau reste avec nous
Les voies de Cocteau sont impénétrables. En 2000, je lui consacrais un mémoire de maîtrise de Lettres modernes et vingt ans plus tard, c’est sur Instagram que je suis entrée en contact avec Dominique Marny, romancière, petite-nièce de Cocteau et présidente du Comité Jean Cocteau, ayant consacré aussi plusieurs ouvrages à son sujet. Elle a eu la gentillesse de me recevoir chez elle et d’évoquer Jean Cocteau à travers l’intrigante lorgnette familiale.
Quelles étaient les relations de Cocteau avec son frère et sa sœur ? C’est un aspect moins connu de sa vie…
Mon arrière-grand-mère maternelle, la mère de Cocteau, avait trois enfants : Marthe, l’aînée, Paul mon grand-père et Jean. Marthe s’est mariée deux fois, mais n’a pas eu d’enfants. Elle menait une vie assez bourgeoise et s’intéressait peu aux arts.
Paul, mon grand-père, était agent de change. Il avait aussi un œil de photographe exercé et j’ai conservé ses albums de photos qui constituent un témoignage précieux sur la première partie du XXe siècle. On y trouve des photos de Jean à Maisons-Laffitte !
Marthe et Jean étant déjà adultes au moment où leur père s’est suicidé en 1898, Jean s’est retrouvé seul avec sa mère. Après avoir vécu, rue La Bruyère, puis avenue Malakoff, ils se sont installés 10 rue d’Anjou où ils ont longtemps cohabité.
Combien d’années de différence séparaient Cocteau de son frère Paul ?
Il y avait douze et huit ans entre les aînés et Jean. La famille vivait avec les grands-parents maternels Lecomte dans un hôtel particulier, rue la Bruyère, dans le 9ème arrondissement. A l’entresol, habitaient Georges et Eugénie Cocteau, ainsi que leurs enfants. Au-dessus : les Lecomte. Cocteau a décrit ces lieux dans Portraits Souvenir.
Son grand-père Eugène Lecomte était agent de change et grand collectionneur d’oeuvres d’art (tableaux d’Ingres, Delacroix, Ziem et de nombreuses terres cuites gréco-romaines). Cocteau a grandi à côté des mythes qui ont influencé sa création littéraire et artistique. Jusqu’au suicide de son père au domicile parisien, il a connu une enfance choyée.
Je m’interroge toujours sur ce qu’on lui a dit ou pas dit pour expliquer ce drame qui l’a poussé à se construire sur la peur d’être abandonné. Peu à peu, il a vécu en formant une sorte de faux couple avec sa mère. D’où le chantage affectif n’était pas absent.
Vous-même, vous avez connu Cocteau ?
Je l’ai connu jusqu’à l’âge de 15 ans. Je le voyais chez mes grands-parents, mais aussi chez lui à Milly-la-Forêt. C’était une époque où les enfants ne vivaient pas en compagnie des adultes comme aujourd’hui. J’avais une gouvernante et, quand il venait, on ne nous laissait rester auprès de lui qu’un quart d’heure. Il parlait beaucoup. Je me souviens qu’il était passionné par les soucoupes volantes. Il me disait toujours de l’imiter et de ne pas perdre mon temps à l’école. Je le trouvais original. Elégant. Volubile. Et il n’avait pas à mon égard le discours convenu des grandes personnes. Il m’envoyait des cadeaux achetés au Nain Bleu, une boutique de jouets qui se situait à côté de chez lui. Sans doute les faisait-il acheter par sa gouvernante Madeleine.
Comment Cocteau était perçu dans sa propre famille ?
C’était une famille appartenant à la grande bourgeoisie. Mais ouverte aux disciplines artistiques. Comme je vous le disais, son grand-père maternel collectionnait peintures et sculptures. Sa grand-mère chantait dans des récitals. Ils avaient Rossini pour ami.
Est-ce que Cocteau, dans son acte d’écriture, pouvait faire participer sa famille, parler de ses projets ?
Cocteau écrivait la nuit parce que durant la journée, il était occupé par trente-six mille choses. Il était sollicité, avait des rendez-vous, se rendait à des inaugurations, etc. Donc quand il écrivait, cela ne pouvait qu’être la nuit. Dans des moments de «haute solitude» comme il les a lui-même définis.
Comment cela ?
En 1938, il avait annoncé à Jean Marais qu’il allait lui écrire une pièce. Elle deviendra Les Parents terribles. Ils se sont installés à Montargis pendant sept jours, en plein hiver, dans un hôtel sinistre. Jean Marais était d’autant plus énervé qu’il voyait Cocteau allongé sur le lit, en train de fumer des cigarettes… Jusqu’au moment où il a pris des feuilles de papier et un stylo ! Il a pratiquement écrit la pièce d’un trait. L’histoire avait fomenté dans sa tête et ne demandait plus qu’à surgir. De façon générale, il dormait peu la nuit. Il fumait de l’opium et écrivait dans le silence. Sa démarche ressemblait un peu à un « songe dormi debout ». C’était un temps différent où la réalité s’effaçait devant la solitude et l’imaginaire.
Quel souvenir gardez-vous de Jean Marais ?
Je l’ai connu dans les dernières années de sa vie. Il avait gardé la silhouette et la vivacité d’esprit d’un jeune homme ! Il a été d’une grande fidélité envers Cocteau en continuant de faire vivre son œuvre après sa mort. Je pense que Jean Marais a permis à Jean Cocteau de s’éloigner de sujets classiques ou mythologiques pour aborder un théâtre plus populaire que l’on appelle péjorativement théâtre de boulevard (Les Parents terribles, La Machine à écrire, Les Monstres sacrés) La présence de Jean Marais a été très stimulante et Cocteau a connu un deuxième souffle avec lui. Pour moi, l’apport a été mutuel.
« J’ai eu cette chance de ne pas connaître l’angoisse de la page blanche et d’être publiée tout de suite. »
Vous-même écrivez. Comment êtes-vous devenue écrivain ?
J’adore lire et, comme Cocteau, j’ai adoré toutes les maladies infectieuses qui pouvaient me faire garder la chambre. Dès que je déclarais une varicelle ou une rougeole, j’étais aux anges. (Rires). J’aimais respirer l’odeur des feuilles d’eucalyptus qui brûlaient pour assainir l’atmosphère. J’étais au lit, on me fichait la paix. Je découvrais les livres de la bibliothèque rouge et or, les bandes dessinées de mon époque. J’inventais déjà des histoires pour m’endormir. Un peu plus tard, j’ai commencé à écrire une sorte de journal. Mais je ne pensais pas que je publierai un jour des romans.
A quel âge justement ?
J’ai commencé à écrire après la naissance de ma fille. Autour de la trentaine. J’ai eu cette chance inestimable de ne pas connaître l’angoisse de la page blanche et d’être éditée tout de suite. Aujourd’hui, j’ai publié 35 ouvrages dont 25 romans. J’adore inventer des histoires. Me projeter dans différentes époques, différents pays et cultures. Sans oublier le monde contemporain…
Depuis 10 ans, j’ai une deuxième activité : je monte régulièrement des expositions avec deux thématiques : Jean Cocteau, bien évidemment, ainsi que celle du sentiment amoureux. Un sujet que j’ai étudié à travers la littérature, la peinture, la sculpture et la photographie.
Et sur Cocteau, quand et comment avez-vous commencé à écrire sur lui ?
La première fois que j’ai commencé à écrire sur Cocteau, c’était pour les magazines Madame Figaro et Vogue. En 1989, pour le centenaire de sa naissance. J’avais caché à mon éditeur de romans (Lattès) que Cocteau était mon grand-oncle. Quand cela s’est su, on m’a demandé si je ne voulais pas écrire sa biographie. J’ai répondu : « Ah non, c’est beaucoup trop ardu, beaucoup trop compliqué… » J’ai ajouté que je voulais bien réfléchir à la relation de Cocteau et des femmes qui l’ont accompagné dans sa vie et sa création. Anne de Noailles, Louise de Vilmorin, Coco Chanel, Natalie Paley, etc… Le sujet a été accepté. Je suis sortie des bureaux en me disant : « Dans quoi me suis-je lancée ! On va m’attendre au tournant ! » (Rires) Et j’ai publié Les Belles de Cocteau en 1995. Ont suivi cinq ouvrages : La Belle et la Bête, les coulisses du tournage (2005). Jean Cocteau, archéologue de sa nuit (2010), Jean Cocteau le Magnifique (2013) Jean Cocteau, le roman d’un funambule (2013), Le Paris de Jean Cocteau (2016).
« Ma mission, c’est de continuer à veiller sur l’œuvre de Cocteau ! »
En quoi le sentiment amoureux est une thématique importante dans vos publications et expositions ?
Comme le disait Philipp Roth, « L’amour est la seule maladie dont personne ne veut guérir ».
J’aimerais qu’un jour (mais cela n’arrivera malheureusement pas !) un éditeur me donne carte blanche pour créer un somptueux livre illustré sur le sujet… Une sorte de musée imaginaire et forcément subjectif. Il y a tellement d’aspects à aborder : le cinéma, la littérature, l’opéra, la photographie…
En 2015, j’ai publié une anthologie de grands textes d’amour occidentaux. Ecrits d’amour est illustré de visuels qui répondent aux textes.
En 2012, j’ai partagé le commissariat de L’Art d’Aimer : une exposition temporaire allant de l’amour courtois jusqu’à nos jours. Elle s’est déroulée au Palais Lumière d’Evian, les anciens thermes Art nouveau où Marcel Proust prenait les eaux. Nous avions réussi à rassembler 500 œuvres provenant de prestigieux musées et de collections privées.
Justement pouvez-vous nous parler de cette boutique officielle en ligne et mise en valeur sur Instagram ?
Ma fille Laure connaît beaucoup mieux Instagram que moi ! (Rires). Pour Jean Cocteau Boutique Officielle, elle a créé une gamme de beaux produits dérivés : trousses, tote bags, carnets, tee-shirts etc. Maison Fabre a réalisé des gants inspirés du Testament d’Orphée. Nous avons une collaboration pour une collection Cocteau avec les bijoux Atelier Paulin. Un jeu de cartes a aussi été spécialement créé.
Notre façon de faire découvrir Jean Cocteau aux jeunes générations vers lesquelles il est important de se tourner. A elles de se l’approprier, de l’aimer, de le faire vivre. L’adaptation de La Voix Humaine par Pedro Almodovar nous emballés. Nous avons aussi beaucoup aimé le documentaire Le Poète et le Boxeur de François Levy Kuentz qui est passé sur France 5. Des pièces de théâtre se montent dans le monde entier. Il inspire de jeunes décorateurs et stylistes. Tout cela prouve qu’il « reste avec nous » !
Site officiel de Dominique Marny Crédits photo: Jean Marais et Jean Cocteau à Venise, droits réservés.