Critique cinéma: La Fille de Brest
Grâce à Canal + et le distributeur du film Haut et Court, les blogueurs, ces spectateurs privilégiés que nous sommes, étaient invités récemment à une projection de presse de La Fille de Brest, suivie d’une rencontre avec sa réalisatrice et co-scénariste Emmanuelle Bercot (La Tête Haute, Elle s’en va) ainsi que son comédien Benoît Magimel. Un échange passionnant à l’image de la figure d’Irène Frachon, le médecin qui s’est battu pour dénoncer le Médiator et le faire retirer de la vente (magnifique Sidse Babett Knudsen à l’écran, révélée dans la série Borgen, et en France dans le film L’Hermine, aux côtés de Fabrice Luchini).
Les premières images du film sont importantes : une femme nage dans une mer tourmentée qui semble la submerger. Symboliquement, Irène Frachon dès les premiers instants du film est montrée comme une battante. Elle lutte contre des éléments violents (une mer bretonne déchainée) et elle se révèle dans cette lutte. L’identité brestoise dans le film est également très bien soulignée dans le film. C’est en effet, au CHU de Brest que tout débute.
Irène Frachon, pneumologue, découvre que ses patients diabétiques en surpoids souffrent tous d’un sérieux voire mortel problème cardiaque, après plusieurs années d’utilisation du Médiator, sensé les aider à perdre du poids. Soutenue par son équipe, dirigée par le Dr Antoine Le Bihan (courageux médecin campé avec beaucoup de sensibilité par Benoit Magimel), Irène Frachon ira jusqu’au bout pour dénoncer les crimes de ce médicament, qui causa des milliers de décès. Fille de chirurgien, Emmanuelle Bercot, nous plonge avec beaucoup de souffle et de réalisme dans cet univers médical où les luttes intestines entre laboratoires, médecins et agence de la Santé sont légions.
Le poids d’un cœur humain
Les séquences fortes du film sont notamment deux opérations chirurgicales précises qui se répondent en miroir en même temps qu’elles traduisent ce qui motive intimement le médecin Irène Frachon, qui se bat avant tout pour ses patients, blessés dans leur chair : celle d’une première opération où le cœur de la patiente est soigné puis plus tard dans le récit celle de son corps autopsié. Une scène-choc qui met littéralement le corps humain en pièces et nous révèle avec effroi la sensation physique du poids d’un cœur humain.
Dans ce film, on est d’emblée surpris par la grande vivacité, mêlée de fantaisie qui habite Irène Frachon. On se demande même si parfois l’actrice n’en fait pas un peu trop. Mais non, nous assure, Emmanuelle Bercot : le modèle est même encore plus surprenant que l’interprète. C’est justement cette pugnacité indécrottable, cet humour et cette forte sensibilité qui ont poussé Emmanuelle Bercot à prendre sa plume puis sa caméra pour raconter le point de vue de cette femme, dans la tourmente d’une affaire qui la dépasse. David contre Goliath, Erin Brockovich « made in Brest ». Emmanuelle Bercot, heureuse d’échanger sur ce film, qui a mis six ans à se faire (!), assume les références américaines (le côté film d’investigation à la Spotlight aussi).
Au fond, on se dit au sortir de cette rencontre très généreuse que la réalisatrice du film ressemble étrangement à son héroïne : dynamique, charismatique, enjouée, elle est tout comme cette dernière passionnée par l’univers médical qu’elle connaît tout aussi intimement, éprise de justice et fidèle en amitié. Ce n’est, par ailleurs, pas un hasard si elle a confié à Benoît Magimel, son comédien fétiche et ami, le rôle du médecin Antoine Le Bihan, un homme de l’ombre, honnête et courageux.
A ce propos, Benoît Magimel a évoqué la difficulté pour un comédien d’interpréter le technique, la vie au quotidien d’un tel personnage : « Il faut être le plus simple possible. Se plonger dans ce quotidien à eux, ces médecins, des gens assez calmes. C’est un personnage très fin, un rôle un peu particulier. Un type extrêmement prudent, qui anticipe les conséquences mais qui est poussé par l’admiration qu’il a pour sa collègue. Je n’ai pas eu besoin de rencontrer le vrai Antoine Le Bihan pour l’incarner. Je l’ai imaginé aussi comme un nounours qui mange des bonbons (rires). Quelqu’un d’enfantin, tendre, attachant, un peu comme moi… »
La Fille de Brest Adapté du livre d’Irène Frachon « Mediator 150 MG » Un film de Emmanuelle Bercot Avec Sidse Babett Knudsen, Benoît Magimel Distributeur: Haut et Court Sortie en salles le 23 novembre 2016.