Critique théâtre : Les Créanciers d’August Strindberg
Deux hommes conversent avec la complicité d’amis de longue date, du moins le croit-on au début de cette pièce d’August Strindberg, cinglante dans ses répliques, froide et volcanique à la fois. Au Studio-Théâtre, où elle se joue jusqu’au 8 juillet, Anne Kessler la met en scène avec précision: par petites touches et comme un kaléïdoscope incessant, elle nous fait ressentir tous les méandres de ces trois cœurs piétinés.
Probablement parce que grande comédienne, la sociétaire Anne Kessler, sait parler à ses comédiens, les diriger. Aussi, l’on est frappé dès les premières secondes de cette forme de huis-clos, combien cet édifice tient parce que chaque personnage a son propre parcours, sa propre logique et sa propre forme de perversité, de dépression et d’humour à la fois.
Et en cela, chaque comédien va camper son personnage à multi-facettes avec beaucoup d’engagement. Il y a Gustaf (Didier Sandre magnifique), l’ex-mari heureux de mettre enfin sa vengeance à exécution, Adolf (Sébastien Pouderoux, touchant dans ce rôle d’artiste, qui perd pied) et Tekla (sublime Adeline d’Hermy), cette femme-enfant, sans âge, solaire et perverse à la fois, qui a su tant profiter de chacun de ses amants.
Rappelons que le sous-titre de cette pièce est « tragi-comédie ». Le propos de Strindberg sur ce malheureux et très commun ménage à trois est justement d’en souligner l’absurdité, jusqu’au sentiment amoureux qui en vient à être moqué, renié par chacun des personnages ; d’en permettre le rire aussi ; tout en révélant les moments intimes et poétiques de chacune de ces histoires d’amour.
Le décor de ce huis clos, est paradoxalement très lumineux. Sa tonalité boisée rappelle la forte identité nordique. Ses grandes fenêtres ouvertes vers la mer (à n’en pas douter), avec cette passerelle où des ombres de personnes peuvent parfois intervenir, encadrent cette mise à nu de chacun des protagonistes.
Peu à peu, le spectateur construit lui-même l’intrigue à travers chacune de ces confidences, posées comme un mille-feuilles et le décor permet alors justement cela : faire notre propre cinéma de cette double histoire d’amour en souffrance.
Les Créanciers Une pièce de August Strindberg Mise en scène de Anne Kessler Avec Adeline d'Hermy, Sébastien Pouderoux, Didier Sandre Crédits photo: Brigitte Enguerrand. Jusqu'au 8 juillet 2018, Studio-Théâtre www.comedie-francaise.com