Au Théâtre des Bouffes parisiens, le sociétaire de la Comédie-Française, Clément Hervieu-Léger convoque sa troupe (celle de la Compagnie des Petits-Champs qu’il codirige avec Daniel San Pedro depuis 2009) pour redonner vie à cette comédie méconnue du Molière italien, Carlo Goldoni, qui fait ses adieux à sa ville natale, Venise.

Entendre

La configuration du Théâtre des Bouffes du Nord, avec le parterre directement en contact circulaire avec le plateau, se prête parfaitement aux exigences de jeu, de musique et de danse de cette nouvelle création de la Compagnie des Petits-Champs. Le travail sur le son et la musique dans cette mise en scène est à souligner. En plus des parties chantées de cette comédie, le spectateur entend tout au long de la représentation des sons diffus dont la source vient également des coulisses.

Voir

Carlo Goldoni a quitté Venise pour Paris, en raison d’importants différends avec ses congénères dramaturges et metteurs en scène qui refusent d’écouter sa vision d’une comédie italienne enfin libérée d’une écriture grossière héritée de la commedia dell’arte. Il prône une comédie plus réaliste, inspirée de celle de Molière. En guise d’adieux à sa ville, et dans cet état d’esprit, il écrit L’une des dernières soirées de Carnaval.

Clément Hervieu-Léger est fidèle à la volonté de l’auteur de raconter une histoire de groupe, simple, moderne, joyeuse et fluide. Il confie le soin des costumes à Caroline de Vivaise qui a déjà travaillé avec lui par le passé et notamment auprès de Patrice Chéreau, dont il fut l’assistant à la mise en scène.

La scénographie pour raconter ces nombreux mouvements d’humeur, ces petites intrigues diverses auxquelles chaque personnage est l’acteur ou le témoin, est pensée avec beaucoup d’efficacité et par le truchement des lumières et de ces grands panneaux verticaux qui se déplacent, permettant que le spectateur se sente à la fois à Venise mais au théâtre aussi, dans son propre théâtre mental, si j’ose dire.

Sentir

Tandis que cette soirée de Carnaval se prépare, et que le banquet ne va pas tarder à avoir lieu, des effluves réels de repas viennent titiller nos papilles. Le poulet cuit en coulisses ! Il sera dégusté par toute la troupe, comme il se doit, au moment du repas, précédant les moments de danse, inhérentes à la fête et au carnaval vénitien.

Ressentir

Cette quinzaine de personnages (musiciens et chanteurs inclus) interprète avec un enjouement constant, cette comédie de Goldoni, peut-être la plus intime de ce dernier, qui à Paris, hélas finira dans la misère. Chaque note à jouer par chaque comédien a son importance.

En ayant convoqué ainsi nos divers sens, cette mise en scène nous en fait ressentir sa très forte poésie et modernité. Que dit Goldoni de l’amour, des femmes, de la difficulté des métiers d’artisans, en constante concurrence ? Des choses toujours d’actualités, qui nous parlent toujours autant.

Un flamboyant Goldoni

Récemment dans une émission, j’entendais quelqu’un comparer l’expérience commune du théâtre à celle de partage autour d’un bon feu, comme un moment social chaleureux mais éphémère.

Ici j’ai le sentiment que cette comparaison est totalement exacte et que Clément Hervieu-Léger s’occupe de ce « moment de feu » avec tout son talent : il a choisi son bois, son emplacement, de quoi le faire partir. Il le titillera pour qu’il délivre constamment sa chaleur, son odeur entêtante, qu’il crépite même. Pour notre plus grand bonheur.

Une des dernières soirées de Carnaval

De Carlo Goldoni

Mise en scène de Clément Hervieu-Léger
Avec : Aymeline Alix, Erwin Aros, Louis Berthélémy, Clémence Boué, 
Jean-Noël Brouté, Adeline Chagneau, Marie Druc, Charlotte Dumartheray, 
M’hamed El Menjra, Séphane Facco, Juliette Léger, 
Jeremy Lewin, Clémence Prioux, Guillaume Ravoire, Daniel San Pedro

Crédits photo : Brigitte Enguerrand

Jusqu’au 29 novembre au Théâtre des Bouffes du Nord

Réservation : 01 46 07 34 50 / www.bouffesdunord.com

En savoir plus sur le spectacle et sa tournée : 
https://www.lacompagniedespetitschamps.com/