Critique théâtre : Mademoiselle Molière
En 1661, il se passe un tournant dans la vie de Jean-Baptiste Poquelin. Avec le succès des Précieuses ridicules, il devient l’auteur favori du roi, Louis XIV et prend le nom de Molière. Dans sa vie personnelle, une nouvelle étape aussi se dessine. Après avoir vécu vingt ans avec la comédienne Madeleine Béjart, au service du théâtre et dans des conditions bien souvent compliquées, il s’éprend de sa fille, Armande. Comment le lui annoncer ?
C’est au Lucernaire que nous pourrons avoir une belle et forte ébauche de réponse. La pièce est écrite par Gérard Savoisien, comédien et auteur, notamment de la pièce historique, Prosper et George. Ce dernier nous plonge dans une période tourmentée mais plutôt méconnue de la vie de l’illustre Molière.
La force de la pièce est justement de réinterroger cet instant T de l’histoire du théâtre, sans jamais chercher à le moraliser.
Comment un homme de théâtre qui, à trente-neuf ans, a déjà réussi à pasticher ses contemporains, à résister à la vie de troupe (alors qu’il était lui-même issu d’une existence bourgeoise parisienne bien confortable) ; se retrouve lui-même, dans sa vie privée, à jouer le mauvais rôle de l’infidèle, de l’hypocrite.
L’autre Molière
Face à celle qui a été, justement, sa fidèle compagne de vingt ans, Madeleine, et qui comme lui, est entrée en religion, celle du théâtre, pour lui justement, qu’il pleuve ou qu’il vente.
C’est un autre Molière que nous fait découvrir cette pièce, beaucoup plus humain, lâche et vrai à la fois. Christophe de Mareuil le campe avec toute sa sensibilité, toute cette colère de son personnage envers lui-même, qui rejaillit parfois sans crier gare.
Face à lui, il y a Anne Bouvier, bouleversante dans ce rôle de femme meurtrie au plus profond d’elle-même. Un moment tragique dans sa vie de comédienne et d’amoureuse qui n’empêche pas l’humour et la malice de certaines de ses réparties. La modernité de son jeu rend un parfait hommage à cette femme de théâtre haute en couleurs.
La mise en scène d’Arnaud Denis, respectueuse de l’époque et de ses personnages, permet que l’échange puisse se faire dans la clarté, dans l’authenticité des sentiments, souvent contradictoires.
L’importance des retours « scène – vie privée » permet ici aussi de rappeler que ces deux comédiens, pendant et après la rupture, ont dû « faire avec » cette nouvelle situation. En effet, la scène n’est jamais loin pour nous faire penser chacun à la folie de nos élans humains…
Mademoiselle Molière De Gérard Savoisien Mise en scène de Arnaud Denis Avec Anne Bouvier et Christophe de Mareuil Le Lucernaire Jusqu’au 4 novembre à 20h du mardi au samedi, dimanche à 17h 01 45 44 57 34 / http://www.lucernaire.fr/