Entretien avec Fabienne Périneau, auteure et comédienne
Lors de la précédente édition du Festival Le Paris des Femmes, en janvier dernier, Fabienne Périneau avait écrit une courte pièce sur le harcèlement moral au sein du couple qu’elle a depuis développé sous la forme d’un sublime monologue, incarné avec toute la générosité de Christine Citti dans l’intimité de la petite salle du théâtre des Mathurins et dont la mise en scène est signée Jean-Louis Martinelli.
Avant d’évoquer l’écriture de Je ne serai plus jamais vieille, pouvez-vous nous parler de votre parcours de comédienne et d’auteure ? Est-ce qu’écrire et jouer a toujours été pour vous indissociable ?
J’ai écrit une pièce quand j’avais vingt ans puis j’ai abandonné l’écriture parce que j’avais la chance d’avoir beaucoup de travail en tant que comédienne. J’étais moins en demande d’expression. Puis il y a eu des événements dans ma vie qui ont fait que l’écriture a débordé à nouveau. J’ai recommencé à écrire… Et le problème c’est que quand on commence à écrire, on ne s’arrête plus ! Je sais maintenant que j’aurai toujours une idée, une envie que je développerai dans un coin de mon ordinateur ou sur un petit carnet que je trimballe toujours avec moi dans mon sac. Je viens d’ailleurs, de terminer un roman intitulé « Re-Commencer. »
Je ne vois plus ma vie sans l’écriture. Et sans la comédie non plus ! Parce que finalement, ce sont deux activités qui se rejoignent. En tant que comédienne, quand je travaille un personnage, je le creuse, je le fouille. Et c’est ce qui me plaît aussi dans l’écriture, c’est d’aller fouiller les personnages, leurs intentions, de les faire naître, de les faire vivre. On ne sait pas comment cela vient. C’est comme lorsque l’on est sur un plateau et qu’on répète, tout à coup, on a le déclic d’une scène, d’un personnage. C’est une magie qu’il faut avoir la patience de laisser venir à soi.
En fait, même en tant que comédienne, j’ai toujours été proche de l’écriture, parce que j’ai eu la chance de pouvoir aborder de grands auteurs comme Marguerite Duras, dont j’ai créé la pièce « Agatha ».
Pouvez-vous nous en dire plus, justement sur cette rencontre ?
C’est une rencontre complètement incroyable. J’étais, à l’époque, à l’école de la Rue Blanche. J’étais tombée sur ce texte un peu par hasard. Avant d’entrer à la Rue Blanche, très jeune, j’avais suivi une formation littéraire au lycée à Toulouse (option latin/grec !), et j’étais tout naturellement destinée à faire Hypokhâgne et Khâgne. À la Rue Blanche, notre professeur Pierre Tabard nous demandait sur quel auteur on voulait travailler. J’ai parlé de Marguerite Duras, avec mon habitude un peu littéraire d’éplucher les œuvres, mais avec enthousiasme et passion.(Je ne sais pas trop faire autrement!)
Il se trouve que Pierre Tabard connaissait bien Duras. Chaque matin, il enregistrait tout ce que je racontais, où je mêlais mes capacités littéraires et mes débordements créatifs d’apprentie actrice. Chaque matin je construisais (ou je trouvais) des passerelles entre Duras et moi. Un jour, il lui a apporté un enregistrement. Duras lui a dit « Cette gamine, elle a tout compris ! »
Comme je voulais jouer « Agatha », nous nous sommes rencontrées au théâtre du Rond-Point. En me voyant arriver, elle m’a dit « Mais non, vous êtes beaucoup trop jeune ! Mon personnage a 35 ans. » Je lui ai répondu « Non, je ne suis pas trop jeune ! Et vous le savez».On a parlé longtemps avec une sorte de complicité surprenante puisque nous n’avions ni le même parcours, ni le même âge. J’avais tout juste 18 ans. Mais lorsque nous nous regardions, nous savions que nous parlions de la même chose, que nous avions une histoire, ou plutôt une façon de raconter l’histoire, commune.
Après trois heures de discussions et quelques bouteilles de champagne, nous sommes sortis du Rond Point et sur le trottoir, devant le théâtre, elle nous a dit qu’elle nous donnait les droits. ( Je dis nous parce qu’il y avait donc Pierre Tabard le metteur en scène, et Vincent Garanger qui jouait avec moi. ) Nous nous sommes vus ensuite quelques fois chez elle rue Saint Benoit. Et puis elle nous a laissé travailler en toute confiance. C’était incroyable !
Elle a adoré le spectacle. C’est émouvant… J’ai retrouvé des archives où elle parle de nous, où elle dit à quel point elle aime ce que l’on a fait de son texte… On a joué « Agatha » au théâtre Essaïon d’abord, puis au théâtre du Rond-Point (on revenait à la source de notre rencontre !) au théâtre de la Criée à Marseille, à la Pépinière Opéra, et un peu partout en Europe…
C’était au fond un peu votre marraine de théâtre ?
Je ne mesurais pas à l’époque la chance que j’avais de faire cette incroyable rencontre, dans la mesure où de grands metteurs en scène demandait à Marguerite Duras les droits de ce texte et que jusque là elle les avait refusés à tout le monde. Pour moi, c’était une évidence de jouer ce rôle. Et pour elle ça été une évidence que je le joue. Malgré mon âge !
Qu’est-ce qui vous avait attirée vers le théâtre, finalement ?
J’avais envie de faire quelque chose, c’est sûr ! Quelque chose qui me sorte du ventre ! Puisque malgré tout, c’est de cela dont il s’agit ! Comme je ne jouais pas de piano, que je ne savais ni sculpter, ni dessiner et que j’avais arrêté la danse pour des rasions idiotes, il ne me restait plus que la parole et le corps tout crus ! Il fallait que ça sorte ! Quand j’ai été admise à la Rue Blanche (ENSATT) j’étais tellement heureuse que j’arrivais la première en cours et que je partais la dernière ! Ayant plus ou moins grandi à la campagne, je ne connaissais rien au théâtre, aux metteurs en scènes, aux acteurs emblématiques de l’époque, mais vraiment rien ! J’ai découvert tout ça petit à petit, avec étonnement et gourmandise. J’allais au théâtre tous les soirs, on avait des places gratuites par l’école, et je rentrais à pieds !
Quelles sont les rencontres importantes dans votre carrière artistique ?
Ce sont surtout des rencontres avec les textes, les rôles. Par exemple quand Marcel Maréchal m’a confié le rôle de Leïla dans Les Paravents, c’est-à-dire le rôle d’une Algérienne, et qu’on me voit comme vous me voyez c’est à dire plutôt norvégienne ! Ça a été un vrai cadeau ! C’est un rôle que j’ai défendu jusqu’au bout. J’ai refusé plusieurs tournages pour continuer à le jouer en tournée. Je ne voulais pas le lâcher ! Le jour de la dernière, je me souviens, le matin quand je me suis levée, je me suis dit « maintenant, il va falloir te taire! » C’était un rôle qui me sortait du ventre, sans doute !
Comment vous est venue l’idée de vous emparer de cette thématique de la femme sous l’emprise d’un pervers narcissique ?
Comment ne pas être touchée par cette problématique-là, cet enfermement, ces petits meurtres au quotidien en quelque sorte?
De façon générale, j’ai envie d’aborder des thématiques contemporaines qui touchent les femmes. C’est vrai que j’ai tendance à aborder les blessures, les injustices, les incompréhensions. Quelquefois je l’ai fait avec plus d’humour…. Mais là je n’en ai trouvé aucun ! Et quand je recueille des témoignages de spectatrices, mais aussi de spectateurs, à la sortie du spectacle, parce que ce genre de texte permet aux autres de libérer leurs paroles, je n’ai pas envie d’avoir d’humour ! C’est terrible !
Comment un être sous prétexte d’amour, réussit à enfermer, à faire mourir à petit feu l’être soi disant aimé ? Ce qui est terrible, c’est que nous sommes dans le domaine de l’intime des sentiments, dans ce qu’il y a de plus précieux entre les êtres humains et que le pervers narcissique abuse et abîme ces sentiments-là. C’est l’endroit où il devrait y avoir le plus d’amour de confiance de lâcher prise et là tout est bafoué. C’est terrible.
J’ai voulu écrire ce texte à la fois comme un coup de poing (notamment la scène de viol conjugal) mais aussi comme un remerciement à tous ces gens qui vous tendent la main, et vous sortent la tête, le cœur et le corps hors de l’eau. Cela peut être une association, une femme, un médecin, un homme aussi ! Parce que, heureusement, tous les hommes ne sont pas des pervers narcissiques !
Dans cette pièce, on ressent en effet, cette nécessité à engager le public à agir, à dénoncer ce genre de situation…
Et à montrer l’espoir ! Et à dire aussi, que même si c’est difficile et qu’il faut du courage, qu’on peut être soutenu dans ce genre de situations, qu’il existe des associations, des médecins, des psychologues, des amis aussi pourquoi pas ? Il y a les autres. Il y a peut-être cette personne qui peut vous entendre et vous aider. Même si c’est à soi seul que revient la courageuse décision de se sortir de cette relation mortifère. En tout cas, il faudrait pouvoir dire stop ! Hors d’ici ! Et aller porter plainte.
Dans la construction de la pièce, il y a des moments de pause, de fondu au noir, c’était quelque chose de voulu dans l’écriture ?
Oui, c’était voulu.
De fondu au noir en fondu au noir nous allons de lundi en lundi. Le lundi étant le jour où la femme de ménage Luba vient dans cet appartement où Adèle le personnage de la pièce se retrouve seule à attendre Guillaume son mari. Adèle attend en se balançant sur son rocking-chair.
Au début, Adèle déborde de paroles d’autant, on va le comprendre par la suite, que sa parole auprès de Guillaume n’a plus aucune valeur. Elle parle, le glorifie, se justifie et le justifie, jusqu’à ce que de lundi en lundi elle prenne conscience de l’état dans lequel elle est. De l’état dans lequel il l’a mise. Et si elle en prend conscience c’est parce qu’elle parle avec un autre en l’occurrence ici sa femme de ménage Luba. Luba est en quelque sorte l’électro choc.
Oui, il fallait signifier le temps. Cela prend du temps de sortir du piège. Et du courage. Il y a des femmes qui malgré leur prise de conscience n’en sortent jamais. Ont abandonné.
Dans la pièce, il y a le temps de la première partie qui est le temps de la prise de conscience, et le temps de la deuxième partie qui est celui de la résilience.
Cette pièce c’est aussi l’écriture de trois personnages distincts et le pari aussi d’entrer dans la peau de ce pervers narcissique…
Sans jamais le voir, sans jamais l’entendre parce qu’il était inaudible, irreprésentable pour moi. Comme si il n’y avait aucune justification à ce qu’il soit sur scène. Comme si il n’y avait pas droit !
Ce texte a pris la forme du monologue parce qu’Adèle vit retranchée, enfermée, dans un grand isolement, seule désormais.Coupée de ses amis, du monde du travail de tous ceux qui constituaient sa vie. Elle est devenue la poupée de cet homme avec laquelle il joue à sa guise.
Adèle est la figure de toutes ces femmes bafouées. Donc le texte a deux parties : la première s’appelle Adèle la femme soumise, impuissante, humiliée et presque morte en tout cas déjà vieille et la deuxième partie s’appelle Luba, la femme pleine de courage, de lucidité, de vie et d’envie. Et je voulais que ces deux parties donc ces deux femmes, soient jouées par la même actrice. Comme si ces deux parties étaient les deux parties constituantes d’une même femme.
Le paradoxe de ce personnage, c’est qu’à l’origine c’est une femme indépendante, forte, architecte, créative…
Le pervers narcissique aime s’attaquer justement à des personnalités fortes. Parce que plus il s’attaque à quelqu’un de fort et plus si il arrive à le détruire, il se sent lui même fort, rassuré dans sa capacité de puissance. Marie Hirigoyen dans son livre sur le harcèlement moral*, dit que « les pervers narcissiques sont comme des seigneurs qui s’attaquent à des citadelles imprenables ». C’est très amusant de chercher le chemin de l’intelligence pour mieux détruire. Plus la conquête est belle et plus le conquérant se sent fort et puissant.
Avez-vous travaillé avec Jean-Louis Martinelli sur la mise en scène de la pièce ?
Non ! Ce n’est pas la place de l’auteur, je crois. Et puis Jean-Louis est un metteur en scène que j’estime énormément. Il s’est penché sur ce texte avec une grande humanité, une vraie délicatesse. Je lui ai fait totalement confiance.
Vous avez beaucoup échangé sur la pièce ?
Oui, on a eu beaucoup de discussion sur le texte avant le début des répétitions. Comme si nous voulions être sûrs de nous être bien compris sur toutes les intentions, tant les intentions de jeu, que les intentions de travailler sur ce spectacle. Et puis Jean-Louis Martinelli et Christine Citti ont répété à l’abri de l’été et de ses tentations, et ils nous ont donné ce petit bijou.
Christine Citti est sublime dans le spectacle, généreuse, belle, fine et quelquefois mutine, forte et sensible, elle est toutes les femmes. Elle est à la fois brisée et révoltée. Christine Citti a cette capacité à réunir en elle les composantes multiples d’un être humain. Dès qu’elle entre sur le plateau on est avec elle. On a de l’empathie pour elle, tout de suite. C’est une qualité rare.
Elle dégage tant de générosité. Vous avez entendu son rire. Son rire est incroyable.
Un mot de conclusion ?
Je ne serai plus jamais vieille !
—- *Marie Hirigoyen, Le Harcèlement Moral : la violence perverse au quotidien,© Éditions La Découverte & Syros, 1998. Pour en savoir plus sur Fabienne Périneau, découvrez son site web: http://www.fabienneperineau.net/—–
Je ne serai plus jamais vieille De Fabienne Périneau Mise en scène de Jean-Louis Martinelli Avec Christine Citti Du mardi au samedi à 21H et en matinée le samedi à 17H Théâtre des Mathurins Réservation: 01 42 65 90 00 Rejoignez la page Facebook de la pièce: https://www.facebook.com/JeNeSeraiPlusJamaisVieille Ou son compte Twitter: https://twitter.com/JamaisVieille Crédits photo: Pascal Victor / ArtComArt