Entretien avec Laurent Muhleisen, conseiller littéraire à la Comédie Française (2ème partie)
Alors quand vous travaillez ici, c’est à plein temps ? Comment cela se passe ?
Je suis conseiller littéraire à mi-temps et directeur artistique de la maison Antoine Vitez à mi-temps.Sans compter que je n’ai jamais abandonné mes activités de traducteur… C’est une forme de sacerdoce. (Rires). Je veux continuer à découvrir des auteurs, à les faire connaître au monde.
« Il ne faut jamais oublier que Molière de son vivant était un auteur contemporain. »
En quoi le théâtre contemporain est-il si important à vos yeux ?
Il parle d’aujourd’hui avec les outils et les formes d’aujourd’hui, les rapports sociaux de notre époque, son vocabulaire, et rend compte de l’état de notre monde. On peut dire, bien sûr, que les textes de Molière et Tchekhov sont éternels. Mais les textes de Molière ont été écrits à une époque où la question du pouvoir, de la religion, de la division entre classe sociale n’avait rien à voir avec ceux d’aujourd’hui. Chaque époque a un art qui lui correspond.
Il est primordial de savoir ce que disent les auteurs vivants du monde dans lequel ils vivent. On oublie parfois, et je ne manque jamais de le rappeler à chaque lecture publique d’un texte contemporain dans cette maison, que Molière a été, de son vivant, un auteur contemporain ! Tchekhov, Musset, Marivaux, Racine, Hugo, Claudel ont été des auteurs contemporains, au moment où ils ont été joués. Il serait absurde que cette maison ne poursuive pas cette mission.
Comment justement se passent ces lectures que vous organisez ?
Elles sont publiques. Le Bureau des Lecteurs est constitué d’à peu près une douzaine de membres (des acteurs et actrices de la troupe et des personnalités extérieures). La Comédie Française reçoit entre 400 et 450 pièces d’auteurs vivants par an, qui sont distribuées à ces lecteurs. Ils se réunissent six fois par an, débattent, et en sélectionnent un certain nombre. Parmi cette sélection, ce qui constitue à nos yeux la « crème de la crème » (on sait qu’une telle démarche est toujours subjective), constitue le programme de trois cycles de lectures, de trois pièces à chaque fois : un cycle d’hiver (ou de fin d’automne) au Studio et deux cycles de printemps au Théâtre du Vieux Colombier.
Le principe est toujours le même. Une fois que les textes sont sélectionnés, nous nommons des directeurs de lecture (il peut s’agir de comédiens, ou de nos jeunes académiciens metteurs en scène – un très bon exercice pour eux !). Ils ont trois services de répétitions de quatre heures et ils présentent une lecture publique de la pièce, dans une distribution faite d’acteurs de la troupe.
Il existe un public extrêmement friand de cet exercice, très fidèle à la Comédie Française et qui nous rappelle à chaque fois à quel point il trouve important de venir dans cette maison pour y entendre du théâtre contemporain, porté par ces acteurs qu’ils voient par ailleurs dans Brecht, Marivaux, Molière, Racine…
C’est une chance énorme d’avoir cette troupe au meilleur de sa forme, qui cultive une vraie curiosité, une vraie envie de se mesurer aux textes, de se les approprier, d’être les vecteurs d’une parole dramatique d’aujourd’hui.
Les acteurs de cette maison se connaissent très bien. Quand l’un d’entre eux ou l’une d’entre elles trouvent la porte d’entrée pour aborder une pièce, sa tonalité, sa couleur les autres le sentent immédiatement, et lui emboîtent le pas. La cohésion dans ce travail se fait d’elle-même ; on peut donc travailler vite et de façon efficace, comme ça, sur le détail, les intentions… Ce qui donne des lectures d’assez bonne qualité !
Vous assistez vous-même à certaines de ces répétitions ?
J’en diriges certaines, oui et j’assiste absolument à toutes les lectures. Le cycle de lectures d’auteurs contemporains de la Comédie Française est placé sous ma responsabilité.
« On est un rouage de la machine, une petite alvéole de la ruche. C’est l’anti-routine (…) »
Dans la fabrication du programme, on voit souvent intervenir des archivistes sur les questions relatives à l’histoire de la pièce, les coutumes, etc. Cela fait partie de votre travail éditorial de tout coordonner ?
Non, je n’ai pas un travail de coordinateur dans la fabrication des programmes et des dossiers de presse. C’est l’équipe du secrétariat général qui en est chargé.
Certains types de recherches dramaturgiques, certains entretiens peuvent m’être confiés, mais les articles ayant attrait à l’histoire de la maison sont confiés à Agathe Sanjuan notre bibliothécaire-archiviste, qui a une idée très claire des archives de la maison, et de ce qu’elles révèlent. Bref, je ne coordonne pas, j’apporte mon savoir…
Est-ce que votre travail se fait aussi en collaboration avec le service de communication ?
Oui, lequel relève également de la responsabilité du secrétariat général. Il arrive que le Bureau des lecteurs que je dirige signale tel texte ou tel artiste qui pourrait être intéressant.
Autre élément important : une contribution régulière avec le service pédagogique, notamment lors de rencontres avec des enseignants ou des classes, pour les préparer à une meilleure réception des spectacles. J’interviens dans les rendez-vous qu’organise Marine Jubin, responsable du service éducatif, à raison de trois ou quatre fois par saison. Par exemple, sur la reprise d’Arturo Ui, pour expliquer dans quel contexte la pièce s’est créée en Allemagne (puisqu’elle n’avait jamais été créée du vivant de Brecht), de ses répercussions lors de sa création, à la fin des années 50, au Berliner Ensemble, etc. Pour que les professeurs soient armés, équipés pour préparer leurs élèves.
Nous envisageons aussi de créer, avec Marine, un jeune bureau des lecteurs, avec des élèves de lycées, consacré à la découverte du théâtre contemporain.
J’accorde une très grande importance à la transmission. C’est une chose absolument capitale.
C’est un bien beau métier que le vôtre, qui touche à tout et placé sous le signe de la rencontre. Il est injustement méconnu.
On est un rouage de la machine, une petite alvéole de la ruche, placée sous le signe de l’anti-routine ; chaque nouveau projet est une nouvelle aventure – comme chaque nouvelle traduction pour le traducteur que je suis. Bien sûr, on a des acquis, mais à chaque fois, il faut explorer de nouveaux territoires. Dans chaque rencontre avec un nouveau metteur en scène, à chaque nouveau projet, on découvre un nouvel aspect, une nouvelle approche du lien qui nous unit au plateau, aux acteurs, à la dramaturgie ; une nouvelle vision du monde, en somme.
PS: Merci à Laurent Muhleisen pour sa confiante et bienveillante attention.
Image à la une: La Maladie de la Famille M de et mise en scène par Fausto Paravidino, Théâtre du Vieux Colombier, 2011. Droits réservés, Comédie Française.