Entretien avec Maxime d’Aboville
Dans sa loge du Poche Montparnasse où Maxime d’Aboville joue en ce moment son nouveau spectacle Je ne suis pas Michel Bouquet, tout en reprenant ses fameuses Leçons d’Histoire de France, ce dernier me reçoit pour me parler de ce spectacle qu’il porte en lui depuis si longtemps.
Quelles sont les origines du spectacle ?
Les origines du spectacle sont très lointaines : j’ai découvert Michel Bouquet au cinéma en 2000. J’avais 20 ans et j’ai été ébloui par cet acteur alors âgé de 75 ans. Le film d’Anne Fontaine s’appelait Comment j’ai tué mon père. Michel Bouquet jouait aux côtés de Charles Berling qui, à l’issue du film, lui a proposé de faire un livre d’entretiens, intitulé Les Joueurs.
Ses propos m’ont vraiment touché, moi qui, du haut de mes 20 ans, voulait être acteur.
J’étais à l’époque en droit et je faisais du théâtre amateur. C’était une passion absolue et j’aimais donc beaucoup son rapport au théâtre quasi mystique, quasi religieux.
Le théâtre, c’était mon sanctuaire de joie et de travail. Or, chez Bouquet, il y avait une sorte de religion pour le travail d’acteur qui me parlait et qui me faisait du bien.
Après Les Joueurs, j’ai dévoré tous ses autres ouvrages et trois ans plus tard, j’ai pris la décision d’en faire un spectacle, même si à l’époque je ne savais même pas ce que c’était qu’un seul en scène ! (Rires).
J’ai eu cette idée, en 2004, de jouer sur scène les textes de Bouquet dont j’avais appris des extraits par cœur. J’avais même déjà trouvé le titre ! (Rires).
Ce spectacle est un peu le détonateur de ta carrière finalement, non ?
Oui, tout à fait. Une fois que j’ai été reçu à mon concours d’avocat, j’ai tout lâché pour vraiment me consacrer à ma passion. Je me suis formé chez Jean-Laurent Cochet où j’ai commencé à vraiment travailler une scène des entretiens (celle où Bouquet rencontre Maurice Escande, qui est peut-être la plus belle scène, tout du moins la scène la plus forte).
Je travaillais ce texte en cours et j’allais voir jouer Bouquet au théâtre dans L’Avare, puisque je vivais à Paris à ce moment-là. Un jour, j’ai décidé de lui réciter ce passage. On était en 2007. Je l’ai donc attendu à la sortie de son spectacle et je lui ai dit ce texte, saynète que j’ai repris à la fin de mon spectacle.
Comment s’est passée cette première rencontre ?
Ça s’est passé exactement comme je le raconte dans mon spectacle. Je lui ai dit simplement son texte et effectivement il m’a répondu : « Vous avez une bonne voix et une bonne diction ! » Ce qui était drôle car c’est exactement la même phrase que lui avait dit Maurice Escande. Mais il ne s’est pas rendu compte qu’il redisait la même phrase et j’ai trouvé ça très beau !
Ensuite, je l’ai laissé partir parce que je voyais bien que sa femme essayait de le protéger et qu’un taxi les attendait. A partir de ce moment-là, je l’ai recroisé de temps en temps, à la sortie du théâtre.
Plus tard, je lui ai donné à lire mes « Leçons d’Histoire de France » : il les a lues et il est venu me voir jouer. Il a vraiment aimé ça et il m’en reparle tout le temps, d’ailleurs ! (Rires). Après je l’ai revu aux Molières, une année où j’avais fait un sketch avec Michel Fau tiré de L’École des femmes et qui l’avait fait bien rire.
Il y avait après un dîner à la Closerie des Lilas où je l’ai vu assis à une table, un peu tout seul. Je suis allé le rejoindre et on a passé trois heures tous les deux à parler. C’était merveilleux !
A partir de ce moment-là, il m’est arrivé de l’appeler un peu, mais pas trop ! Car je n’ai jamais voulu être trop intrusif, trop l’embêter. De toute façon, à quoi bon ! Le compagnonnage avec lui existait déjà dans ma tête et ça me suffisait.
Alors maintenant que j’ai mis en branle le spectacle, je l’ai vu plus souvent et avec beaucoup de joie. Il m’a vraiment pris en affection et il est très heureux du spectacle. Il est venu le voir et il m’a dit de très belles choses.
Comment s’est passé le montage de ton texte sur Michel Bouquet ?
Quasiment tout le texte est issu des entretiens avec Charles Berling et j’ai pris quelques petites choses dans le livre qu’il a fait avec Fabienne Pascaud, Mémoires d’acteur. Elle m’a gentiment dit qu’il n’y avait pas de problème parce que c’était un pourcentage très faible dans le texte final. Je lui en suis très reconnaissant. Il fallait que je crée une structure, qu’il y ait une continuité et que ça puisse constituer un monologue de théâtre.
Je me suis aussi autorisé à écrire des petites choses pour dramatiser un peu et pour donner une patte plus théâtrale, de temps en temps mais de façon très légère. J’ai inclus une petite dramaturgie où je joue devant un rideau de fer, en journée et où l’on comprend que mon personnage va se préparer pour aller jouer. De temps en temps, il regarde sa montre, etc.
Ce travail de montage t’a pris combien de temps finalement ?
Il faut savoir qu’en 2004, à l’époque où j’étais étudiant en droit à Bordeaux et que j’avais déjà envie de ça, j’avais commencé un premier montage.
Je me souviens l’avoir fait lire à une cousine avec qui je m’entends très bien, dans notre propriété familiale en Bretagne.
Et en fait, il y a tout juste un an, quand j’étais en tournée, cette idée que je trimballe et qui n’avait pas disparu, est revenue soudain très fortement. Je me suis dit qu’il fallait que je le fasse maintenant. J’ai repris le bouquin d’entretiens et c’est là que j’ai vraiment commencé à le monter et à sélectionner tout ce qui me plaisait. Ensuite, j’ai énormément nettoyé et j’ai fait une première lecture où tu étais là, au Théâtre Hébertot. Mais depuis cette lecture, j’ai encore retravaillé le texte…
Comment s’est mise en place ta collaboration avec Damien Bricoteaux que tu as choisi comme metteur en scène ?
Je tenais effectivement à avoir un metteur en scène mais il fallait que je le choisisse bien parce que c’est un projet qui m’habite personnellement depuis longtemps.
Il fallait quelqu’un qui accepte un peu de rentrer dans mon univers, qui vienne à moi. J’ai fait une tournée avec Damien qui gère aussi des tournées et on a sympathisé. On a parlé beaucoup théâtre et je trouvais que ce qu’il disait était très pertinent. On s’entendait bien dans notre conception du métier. Il est venu aussi à la lecture où je l’avais invité. Je pensais naturellement à lui mais aussi à d’autres gens.
Il m’a parlé très intelligemment du spectacle et petit à petit, ça m’a paru une évidence de travailler avec lui.
Ce qui est frappant dans ce parti pris de jeu, c’est que tu assumes pleinement sur scène la carte de la jeunesse dans ce propos qui est celui d’un comédien beaucoup plus âgé.
Je ne voulais pas jouer Bouquet, l’imiter, en fait, ça ne voulait rien dire. Il tient ses propos à plus de 75 ans et je voulais les faire entendre ! Mais je ne voulais pas me défaire de ma jeunesse, c’est-à-dire que je trouvais intéressant de s’approprier complètement le texte avec ce que je peux représenter.
Je voulais faire entendre cette parole de manière nouvelle, avec mon propre filtre, sans chercher la performance d’acteur à tout prix. La parole résonne ainsi de manière plus percutante, plus étonnante.
Je suis un acteur qui a fait sienne la parole d’un autre. L’idée était quand même de créer un personnage, même si je n’aime pas beaucoup ce mot et que je ne fonctionne pas vraiment comme ça comme acteur.
C’est-à-dire ?
C’est-à-dire que le personnage existe, bien sûr. Et je ne suis pas du tout l’acteur qui dit : « Il faut être soi-même ». Dans ce cas, je ne ferai pas ce spectacle car Bouquet dit tout l’inverse. Selon moi, on restitue une pensée, un mouvement, un sens, une situation et le personnage ne nous appartient pas, il s’impose, en fait.
Jamais je ne travaille le personnage. Je ne peux pas le construire parce que sinon ça voudrait dire que je le fabrique.
Par exemple, quand j’ai fait Les Jumeaux vénitiens, on m’a toujours dit : « mais c’est incroyable comme ils sont différents ! ». Il y a même des gens qui pensaient que ce n’était pas le même acteur qui les jouait tous les deux. Et bien pourtant, je n’ai jamais travaillé le personnage. Je l’ai laissé venir…
Dans une critique récente* sur Je ne suis pas Michel Bouquet, on te reproche de ne pas avoir restitué la bonté de l’acteur. Comment as-tu réagi ?
D’abord, j’ai beaucoup aimé ce papier parce Jean-Luc Jeener peut être très dur. Je l’ai trouvé globalement très élogieux. Ensuite, il dit en gros qu’il y a une chose qu’il trouve que je n’ai pas bien restitué, c’est la bonté que dégage Michel Bouquet.
Alors c’est vrai que je voulais faire d’abord entendre le propos, son énergie, sa vitalité, son enthousiasme. Concernant la bonté, je pense qu’il y a quand même une forme d’innocence de lumière qui se dégage dans ce spectacle…
Mais oui, je n’ai pas vraiment travaillé là-dessus. Et encore une fois, je n’ai pas voulu jouer Michel Bouquet. J’ai inventé un personnage qui porterait cette parole, dans mon corps, avec mon énergie aussi… Et le problème de Jeener aussi c’est qu’il parle de ça parce qu’on a fait une interview ensemble avec Bouquet. Et c’est vrai que maintenant Bouquet dégage beaucoup ça. Mais il ne l’a pas toujours fait transparaître : c’était quelqu’un de dur, de génial, d’enfantin aussi, de plein de choses, de colérique… Quand on revoit des enregistrements de lui, d’il y a plus longtemps, on voit beaucoup moins ça que maintenant.
Tu t’es justement servi de ce support audiovisuel pour ton travail ?
En fait, si, parce que je l’adore. J’ai toujours tout regardé mais ça n’était pas pour préparer le spectacle. Mais c’est vrai que je me suis quand même nourri de tout ça. J’ai la prétention de dire que je le comprends vraiment puisque je m’intéresse énormément à lui depuis 20 ans. Je l’aime comme une figure, comme un ami vraiment. Je m’intéresse donc à lui et je comprends comment il pense, je le crois. Et c’est très important car si on m’avait proposé demain de jouer ce texte sans que je ne le connaisse, j’aurais fait ce travail.
Il s’agit quand même de restituer sa pensée. Il faut la comprendre dans ses moindres recoins.
*Critique de Jean-Luc Jeener, Valeurs actuelles, 25 septembre 2019.
Crédits photo : Victor Tonelli
Maxime d'Aboville est en ce moment à l'affiche de Je ne suis pas Michel Bouquet au Théâtre de Poche Montparnasse et dans Une Leçon d'Histoire de France : De l'an mil à Jeanne d'Arc / De 1515 au Roi Soleil. Loc : 01 45 44 50 21 www.theatredepoche-montparnasse.com